Réformes de l'immigration pour attirer plus d'expats : le défi des pays d'Europe

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  • personnes se rendant au travail dans une ville d'Europe
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Publié le 2023-03-29 à 11:00 par Asaël Häzaq
Coup de chaud sur l'Europe. 2022 a été marquée par des pénuries de main-d'œuvre. 2023 suit le même mouvement. 2022 a vu les États se lancer dans des réformes de leur politique d'immigration pour attirer les talents étrangers. 2023 suit encore le mouvement. En quoi consistent ces réformes ? Quelles stratégies les États mettent-ils en place pour gagner en attractivité auprès des travailleurs étrangers ?

Europe : tapis rouge pour les talents internationaux ?

En Europe, la bataille fait rage pour s'attirer les talents internationaux. Allemagne, Slovénie, Royaume-Uni, France ou Espagne, chaque État joue l'équilibriste, entre la main tendue aux talents internationaux, et le tour de vis contre l'immigration clandestine, au risque de s'emmêler dans le vocabulaire (les raccourcis ne voyant trop souvent l'immigration que comme une immigration clandestine). En été 2022, le Royaume-Uni lance un nouveau visa pour attirer les jeunes diplômés de grandes écoles. À la même période, l'Espagne adopte une nouvelle loi sur l'immigration pour faciliter le recrutement des travailleurs étrangers. La réforme leur permet notamment d'obtenir plus facilement leur visa. « Simplifier », « faciliter », « accélérer » sont d'ailleurs les piliers sur lesquelles s'appuient ses réformes.

Gagner en visibilité et en attractivité auprès des talents étrangers

La Slovénie s'aligne sur d'autres pays d'Europe et révise sa loi sur les étrangers. Une révision qui s'articule, comme pour les autres États européens, sur une idée centrale : faciliter les procédures. Le Premier ministre slovène Robert Golob confirme que le gouvernement œuvre en vue de « faciliter les procédures pour obtenir un permis de travail en Slovénie ». Car en Slovénie aussi, les travailleurs étrangers manquent alors que les pénuries de main-d'œuvre sont de plus en plus criantes.

Pour accélérer les démarches, la réforme de la loi immigration slovène prévoit de supprimer l'attestation écrite exigée par l'administration lors d'un changement d'employeur, de délivrer des titres de séjours par courrier, de stocker les empreintes digitales jusqu'à 5 ans, pour faciliter le renouvellement de permis. Les étrangers dont la protection temporaire a expiré pourraient demander un autre permis dans les 8 jours. La Slovénie pense aussi à ses secteurs souffrant le plus de pénurie de main-d'œuvre. Sa réforme envisage de faciliter les recrutements de talents étrangers dans la santé et le social.

L'Allemagne aussi planche sur une nouvelle loi immigration pour attirer les talents étrangers. Hubertus Heil, le ministre du Travail, veut rendre l'Allemagne plus attractive. L'opportunity card, projet phare de la loi, est censée remplir cette fonction. La simplification est toujours de mise, avec cette carte à points qui s'obtiendrait avant l'entrée sur le territoire, et permettrait de chercher du travail durant un an, d'effectuer des périodes d'essais de 2 semaines, et même de travailler à mi-temps.

Accélérer les recrutements, accélérer les expulsions

En Italie, on souffle le chaud et le froid sur la politique migratoire. Début février, le Conseil de l'Europe presse l'Italie de supprimer un décret qu'il juge contraire au droit international. Le décret italien proposait de réglementer les conditions dans lesquelles les ONG pourraient mener leurs opérations de sauvetage des migrants. Le 6 mars, la Commission européenne salue la politique de l'Italie concernant la crise migratoire. Trois jours plus tard, l'Italie adopte un nouveau décret qui amende sa loi immigration. Là encore, il s'agit de simplifier les procédures pour les étrangers. Le décret leur permettra ainsi de renouveler leur titre de séjour tous les 3 ans, au lieu de 2 actuellement. Les étudiants étrangers pourront convertir leur visa étudiant en permis de travail tout en évitant les limitations de quotas. La mesure sera étendue aux étudiants étrangers non diplômés en Italie. Les étrangers pourront également travailler durant le temps d'attente de la signature de leur contrat de séjour.

En France aussi on prend la température. Éclipsé par la réforme des retraites, le projet de loi immigration continue son parcours, non sans tomber sur quelques embûches. Le 22 mars, le président Macron annonce une loi divisée en « plusieurs textes ». Cette loi « pour contrôler l'immigration et améliorer l'intégration » prévoit notamment de régulariser les travailleurs sans-papiers exerçant dans les secteurs sous tension (dont la liste a été établie par le gouvernement). La loi prévoit aussi un volet intégration et un autre, davantage axé sur la sécurité (expulsions facilitées, etc.) Les opposants mélangent toutes les formes d'immigration et rejettent le texte. Le gouvernement, qui pensait séduire la droite et la gauche, ne séduit personne.

Talents étrangers : solution pour contrer la pénurie de main-d'œuvre

Il faut sauver la maison Europe. Construction, restauration, hôtellerie, services à la personne, entretien, santé, transport, agriculture… La liste des secteurs touchée par les pénuries de main-d'œuvre est longue. Pénuries qui interviennent dans un contexte de crise économique et démographique. L'an dernier, le manque de main-d'œuvre frappait déjà les pays d'Europe. On a compté jusqu'à 6 millions d'emplois à pourvoir.

Comment faire rester les talents étrangers ?

C'est le casse-tête de l'Allemagne, de l'Espagne et de la France. L'Allemagne, plébiscitée par les étudiants, perd des points auprès des travailleurs étrangers. Ils lui reprochent une procédure d'entrée trop complexe et un manque de numérisation. La France, l'Italie et Malte souffrent des mêmes maux. L'Estonie, au contraire, est une championne de l'immigration faciliter. Tout a été pensé pour attirer les talents étrangers. Et la recette marche. L'Estonie, nouveau leader du numérique, a construit son image de nouvelle « Silicon Valley » et attire nomades numériques et autres jeunes talents.

La lourdeur administrative n'explique bien entendu pas tout. En Espagne, le problème vient aussi de la faiblesse des salaires et d'un manque d'innovation. Selon DigitalES, l'organisation des chefs d'entreprise de la Tech, il manquerait en Espagne environ 75 000 talents des nouvelles technologies. L'Italie mène une politique d'immigration ambiguë. Giorgia Meloni, Première ministre depuis octobre 2022, avait ouvertement mené une campagne anti-immigration. Mais face aux pénuries, le pays appelle les étrangers à la rescousse.

Immigration : le paradoxe

C'est tout le paradoxe des réformes pour l'immigration. La France illustre bien le phénomène. En marge des manifestations contre la réforme des retraites, d'autres manifestations contre la réforme de la loi immigration continuent de se tenir. En France comme en Italie ou dans d'autres États, la communication du gouvernement est souvent en cause. L'immigration est rarement présentée comme une richesse. C'est, au mieux, un mal nécessaire, et surtout temporaire. Les gouvernements tentent d'apaiser les populations et de concilier des camps diamétralement opposés (l'extrême droite et la gauche). Le problème, c'est que le message est aussi envoyé aux talents internationaux. Difficile d'envisager une installation durable dans un pays qui peine à présenter correctement l'immigration. Dans sa communication, le gouvernement français a évoqué un pilier « intégration » à sa réforme de l'immigration ; une intégration sous forme d'examen de français obligatoire. Mais rien sur l'accompagnement indispensable à toute intégration.

Pour faire rester les travailleurs étrangers, il faudra repenser la politique depuis la base : mieux accueillir les candidats qualifiés et non qualifiés pour faciliter leur insertion professionnelle et sociale. L'Allemagne veut relever le défi, avec son opportunity card inspirée du modèle canadien. Le pays compte bien redorer son image, mettre en valeur ses paysages, sa culture, ses atouts. Les procédures simplifiées d'entrée et les promesses d'emploi stable et bien rémunéré améliorent indiscutablement l'image de l'État d'accueil. Mais ces mesures ne suffisent pas. Pour les associations de défense des étrangers, c'est en termes de projet de vie qu'il faut raisonner : expatriation à plusieurs, logement, réunification familiale, scolarité, réseaux d'accueil et d'aide… Car les étrangers ne sont ni des machines ni des instruments à la disposition des États. Ces investissements qualitatifs et humains contribuent aussi à retenir les travailleurs étrangers.