Allemagne : réforme de l'immigration pour répondre à la pénurie de talents

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Publié le 2023-03-01 à 07:00 par Asaël Häzaq
Confrontée à d'importantes pénuries de main-d'œuvre, l'Allemagne réforme sa politique migratoire pour attirer les immigrants qualifiés. Annonce faite le 20 février par le ministère fédéral de l'Intérieur et de la Patrie (BMI) et le ministère fédéral du Travail et des Affaires sociales (BMAS). Quelles nouvelles mesures l'Allemagne compte-t-elle déployer pour gagner en attractivité ? Décryptage.

Une nouvelle loi pour attirer les travailleurs étrangers

Temps ombrageux sur l'Allemagne. Le pays fait face à un front double, avec un vieillissement inquiétant de sa population, et une pénurie de main-d'œuvre toujours croissante. Selon le patronat allemand, le pays compte 2 millions d'emplois vacants. Une grande partie des entreprises fait part de ses difficultés à recruter. À terme, il pourrait manquer plus de 200 000 travailleurs qualifiés dès 2026.

C'est pour inverser la tendance que le gouvernement allemand se tourne vers les étrangers. En décembre 2022, le gouvernement communique déjà sur son projet de réforme. Il pointe notamment la bureaucratie, qu'il souhaite simplifier, pour faciliter les démarches des immigrants. Il prévoit également une naturalisation dès 5 ans de résidence en Allemagne, voire même 3 ans pour les étrangers bien intégrés (réussite à l'école, au travail), contre 8 actuellement. L'étranger pourrait même acquérir la nationalité allemande sans avoir à renoncer à la sienne, chose pour l'instant impossible.

Expatriation en Allemagne : quels changements apporte la réforme ?

Les mesures annoncées en décembre se retrouvent-elles dans le projet de réforme de l'immigration ? La réforme s'articule autour de 3 piliers : l'expérience professionnelle, la main-d'œuvre qualifiée, et le potentiel de l'expatrié. C'est justement ce dernier point qui était déjà évoqué en décembre, concernant la naturalisation d'étrangers bien intégrés.

Nouveau visa pour les travailleurs étrangers

Pour les candidats à l'expatriation, c'est sans doute l'une des informations les plus importantes. Actuellement, il leur faut encore une offre d'emploi émanant d'une entreprise allemande pour prétendre au visa de travail. La réforme introduit un nouveau visa, Chancenkarte, ou « carte d'opportunité », qui permet aux étrangers de séjourner un an en Allemagne pour chercher du travail. Contrairement aux visas de travail classiques, la Chancenkarte ne liera pas l'étranger à des types de postes précis. Il sera libre de changer d'emploi, de postuler pour un travail à temps partiel ou temporaire.

Plus de souplesse pour attirer davantage d'étrangers qualifiés

Le gouvernement table sur 65 000 nouveaux travailleurs immigrants par an. Un chiffre bien en déjà des prévisions des économistes, qui parlent plutôt de 400 000 nouveaux travailleurs étrangers pour contrer la pénurie de main-d'œuvre.

Mais la mesure d'assouplissement est assortie de conditions. L'étranger doit pouvoir subvenir à ses besoins. Ils devront aussi avoir fait des études supérieures durant au moins 2 ans. Le gouvernement allemand prévoit un système de points pour classer les candidats. Parmi les critères de classification, l'âge, l'expérience professionnelle, la maîtrise de l'allemand ou encore, les liens avec l'Allemagne.

Des qualifications mieux reconnues

C'était un casse-tête pour les étrangers non européens diplômés, expérimentés, mais dont les diplômes n'étaient pas reconnus en Allemagne, faute d'une bonne traduction. Ces diplômes n'ont pas toujours d'appellation anglaise, encore moins allemande. Difficile alors, pour les étrangers concernés, de faire valoir leurs compétences auprès des autorités allemandes, d'autant plus qu'il n'existe pas d'harmonisation fédérale à ce sujet. Chaque État fédéral applique ses propres règles pour reconnaître une qualification.

La réforme vient faciliter les démarches des talents internationaux. Les candidats expérimentés ou « à haut potentiel » échapperont à l'exigence de qualification. Les autres travailleurs étrangers pourront commencer les démarches de reconnaissance de leurs qualifications une fois arrivée en Allemagne. Là encore, c'est une simplification qui leur permettra d'être opérationnels plus tôt, et donc, de travailler plus rapidement.

Plus de souplesse pour le travail des étudiants étrangers

Actuellement, les ressortissants européens sont les seuls à pouvoir bénéficier des prêts étudiants financés par l'État allemand (BaföG, aide à la formation). Or, la crise internationale a fait fondre les économies des étudiants. Loin de leur famille ou dans l'impossibilité de recevoir de l'aide de celle-ci, les étudiants étrangers qui ne bénéficient pas de l'aide de l'État sont particulièrement vulnérables.

Avec la réforme, les étudiants internationaux pourront travailler plus d'heures. Ils auront également accès à plus de formations en parallèle de leurs études (des cours d'allemand, par exemple). Si ce dernier assouplissement semble pensé pour les étudiants étrangers, pas sûr qu'il convienne complètement à leur situation. Les associations étudiantes sont les premières à rappeler que l'augmentation des heures de travail diminue les risques de réussite scolaire. Pour elles, ce type de mesure vise plutôt à endiguer la pénurie de main-d'œuvre en orientant les étudiants vers des métiers précaires, aux conditions de travail parfois difficiles.

Assouplissement des règles de la carte bleue européenne

La carte bleue européenne facilite l'entrée, le séjour et le travail des ressortissants de l'Union européenne (UE) dans un autre pays de l'Union, ici, l'Allemagne. Ses conditions d'obtention sont strictes. Les postulants doivent être titulaires d'un diplôme universitaire et gagner au moins 58 400 euros par an. Les changements de postes se font aussi sous conditions strictes.

Là encore, la réforme de la loi sur l'immigration assouplit les règles. La carte bleue européenne sera ouverte aux réfugiés ayant obtenu l'asile dans un État membre de l'UE. Il n'y aura plus d'exigence de diplôme pour les informaticiens expérimentés. Le montant du salaire annuel sera revu à la baisse. Les changements d'emploi seront simplifiés.

Partenariats ciblés avec certains États

Hubertus Heil, ministre du Travail et des Affaires sociales, et Svenja Schulze, ministre de la Coopération économique et du Développement se sont rendus au Ghana, puis en Côte d'Ivoire, pour présenter leur nouveau plan immigration. « Nous devons utiliser toutes les options possibles dans notre pays comme à l'étranger pour attirer la main-d'œuvre qualifiée », explique Heil. À l'instar du Canada, qui organise des Forums dans les pays étrangers pour y recruter ses futurs travailleurs, l'Allemagne compte ouvrir davantage de « centres pour la migration » dans plusieurs pays d'Afrique.

Accra compte déjà son centre, ouvert en 2017. Mais il s'occupe surtout des Ghanéens en situation irrégulière en Allemagne, qui ont accepté de rentrer au pays. Prochainement, ce centre sera aussi en charge de sélectionner les candidats qualifiés souhaitant travailler en Allemagne. Le gouvernement allemand compte investir 10 millions d'euros dans le centre d'Accra. Une aide européenne devrait également être développée. Berlin envisage d'ouvrir des centres similaires au Nigeria, en Égypte, en Tunisie, au Maroc, au Pakistan, en Jordanie, en Irak et en Indonésie.

L'Organisation mondiale de la santé (OMS) émet toutefois des réserves. Les secteurs frappés par la pénurie sont sensiblement les mêmes dans beaucoup de pays. En Allemagne, on manque d'ouvriers qualifiés en métallurgie, d'ingénieurs, d'électriciens, de soudeurs, de plombiers… et de professionnels de santé. Mais au Ghana aussi, on manque cruellement de professionnels de santé. Pour l'OMS, le projet allemand nuirait à l'économie ghanéenne. L'OMS épingle de la même manière la France, qui prévoit une carte de séjour réservée aux médecins étrangers (elle vise les mêmes États africains que l'Allemagne), au risque d'aggraver les déserts médicaux qui frappent nombre de pays africains. Le gouvernement allemand préfère parler d'un partenariat « gagnant-gagnant » et rappelle que le Ghana et l'Allemagne sont « de proches partenaires depuis 1957 ».