Menu
Expat.com
Rechercher
Magazine
Rechercher

Chute de l'intérim : signal d'alarme pour l'emploi international

travailleurs temporaires
ckstockphoto / Envato Elements
Écrit parAsaël Häzaqle 18 Novembre 2025

Coup de frein sur le travail temporaire. L'instabilité économique mondiale rend les entreprises plus prudentes. Les recrutements en intérim baissent pour s'adapter à une demande elle aussi en baisse. La situation est-elle temporaire ou s'installera-t-elle dans le temps ? À quoi doivent s'attendre les expatriés ?

Crise du travail temporaire en France

En France, on le prend souvent comme un indicateur de l'activité économique. Très sensible à la conjoncture, le travail temporaire (intérim) est le premier à être affecté par les aléas socio-économiques. La preuve ces dernières années, avec une baisse marquée de l'intérim. D'après le baromètre 2025 de Prism'emploi, organisation professionnelle du recrutement et de l'intérim, l'emploi intérimaire a baissé de 3,3 % entre mai 2024 et mai 2025. La baisse était encore plus forte entre 2023 et 2024 (−7,3 %). En 2025, la chute du travail temporaire touche principalement les employés (-13 %) et les cadres et professions intermédiaires (-8,3 %). Il épargne les ouvriers qualifiés et non qualifiés (respectivement -1,6 % et +0,1 %).

Le secteur des transports et de la logistique est le plus affecté par la baisse du travail temporaire (–7,7 %). Viennent ensuite les services (–6,4 %) et le commerce (–5,2 %). Les secteurs de la construction et de l'industrie parviennent à se stabiliser, malgré des aléas conjoncturels (respectivement -0,8 % et -0,3 %). D'autres secteurs, comme l'e-commerce, le numérique et les soins à la personne, enregistrent une hausse des recrutements d'intérimaires. Causes principales : la progression des ventes en ligne, ou encore le vieillissement de la population et les pénuries dans le secteur médical. La tendance reste toutefois à un recul du travail temporaire.

Comment expliquer ces baisses ?

Les analystes pointent le contexte politique, mais pas seulement. La tempête qui secoue la France depuis l'été 2024 (dissolution de l'Assemblée nationale) a plongé le pays dans un contexte incertain. Inquiètes, les entreprises retardent ou annulent leurs recrutements. D'autres revoient à la baisse leurs perspectives d'embauche. Or l'économie n'aime pas l'incertitude. Mais l'instabilité politique n'explique pas à elle seule ce recul. Le baromètre pointe du doigt la faible croissance (1,1 % en 2024, 0,5 % au troisième trimestre 2025) et la faible consommation des ménages.

Un autre phénomène explique la baisse du travail temporaire : le recours aux micro-entrepreneurs. En France, on distingue le contrat d'intérim classique et le contrat à durée indéterminée intérimaire (CDI intérimaire). Le CDI intérimaire est signé entre une société d'intérim et un salarié ; le contrat est à durée indéterminée, dans la limite de 36 mois. Les chiffres du travail temporaire prennent en compte ces deux formes de contrat. Or, certaines entreprises font de plus en plus appel aux micro-entrepreneurs, au lieu de recourir aux CDI intérimaires. Une concurrence déloyale selon les contestataires, car les micro-entrepreneurs coûtent moins cher aux entreprises (50,8 % moins cher, selon Prism'emploi). Cette concurrence n'est bonne ni pour les intérimaires (l'intérim reste une voie favorisée pour l'emploi pérenne) ni pour les micro-entrepreneurs : ils sont moins couverts que les salariés, et s'exposent à un potentiel travail déguisé, dans le cas où l'entreprise cliente développerait avec eux un lien de subordination.

Baisse des postes en intérim, hausse des CDD

Et si la baisse du travail temporaire n'était pas un si mauvais indicateur pour l'économie française ? Des analystes soulignent que la baisse des postes en intérim doit être mise en parallèle avec la hausse du nombre de CDD (contrats à durée déterminée). Les entreprises en recherche de flexibilité et de fidélisation du salarié y trouvent leur compte. Les processus de recrutement s'affinent de plus en plus pour embaucher les profils les plus adéquats.

Travail temporaire : une baisse au niveau international

Ça baisse en France. Ça baisse aussi ailleurs. Suisse, Australie, Canada, Afrique du Sud, États-Unis, Chine… à quoi doivent s'attendre les expats ? Zoom sur 3 grandes destinations d'expatriation.

Suisse

D'après la Swisstaffing, l'association des services de l'emploi suisse, le recul du travail temporaire est dû à une « détérioration de l'économie mondiale ». L'association pointe en particulier les surtaxes douanières instaurées par l'administration Trump sur les produits suisses. La visite surprise la présidente suisse et son ministre de l'Économie (le 5 août) a viré au fiasco. Le président américain refuse l'entrevue et dépêche Marco Rubio, le chef de la diplomatie américaine, non habitué à ce type de négociation commerciale. Résultat : depuis le 7 août, les produits suisses sont taxés à 39 % (contre « à peine » 15 % pour l'Union européenne).

Depuis, l'industrie suisse est à la peine. Les entreprises réduisent leur production, parfois drastiquement, comme dans la filière fromagère. La Swisstaffing rappelle que d'ordinaire, les entreprises font premièrement appel au travail temporaire, plus flexible et adaptable à la conjoncture. La situation économique actuelle le pousse à freiner leur demande. Les recrutements de travailleurs temporaires chutent, et pas seulement dans les emplois peu qualifiés. Même en informatique, on compte moins de travailleurs temporaires. Entre juillet et septembre, les intérimaires ont travaillé 6,1 % de moins que l'année précédente.

Mais la situation devrait s'améliorer dans les mois à venir. De plus, si le travail temporaire est en baisse, de nombreux postes restent à pourvoir, notamment des postes qualifiés. Les pénuries de main-d'œuvre touchent toujours la Suisse. Le secteur des soins reste l'un des plus importants employeurs de travailleurs temporaires. Ces tensions sur le marché du travail invitent à la prudence. D'un côté, elles sont partiellement comblées par le recours à des expatriés. De l'autre, elles révèlent un problème de pénurie structurelle en Suisse, causé en partie par le vieillissement de la population. Le pays perd environ 25 000 actifs par an, malgré le recours à l'immigration.

Canada

5 millions de dollars canadiens. C'est l'amende que doivent payer des entreprises canadiennes pour manquement aux règles concernant le permis de travail temporaire (PTT). Depuis les restrictions canadiennes, la demande de travailleurs temporaires peu qualifiés (bas salaires) est en chute libre : 70 %. De moins en moins d'expatriés arrivent au Canada avec un PTT. Ils sont 235 000 de moins entre janvier et juillet, par rapport à la même période l'an dernier. Une bonne nouvelle pour les Canadiens opposés au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) : selon un récent sondage d'Abacus Data, ils sont 44 % à demander la fin du PTET. Le mécontentement est plus fort chez les jeunes (48 % chez les 18-29 ans) et les 30-40 ans (50 % des 30-44 ans). Les conservateurs capitalisent sur cette grogne et exigent la fin du PTET. Ils rendent ce programme réservé aux expats en partie responsable du chômage des jeunes (14,6 % des 15-24 ans étaient au chômage en juillet 2025).

Mais pour l'instant, le Premier ministre Mark Carney refuse toute abolition du PTET. Il évoque une réforme plus large de la politique d'immigration et rappelle son objectif : réduire le nombre de résidents temporaires à 5 %. Ils sont actuellement 7,1 %. De nouvelles limites à l'entrée des travailleurs temporaires ont été introduites en novembre. Les « anti-PTET » pointent du doigt les annonces de certaines entreprises, qui continuent de proposer des offres d'emploi « pour les expatriés ». Car selon eux, il n'est pas normal d'offrir des emplois aux étrangers alors que les Canadiens recherchent du travail.

Un recours au travail temporaire indispensable à l'économie canadienne

Les entreprises rétorquent que de nouvelles restrictions à l'immigration risquent de porter un coup dur à l'économie nationale. Au Québec, des entreprises expliquent que les travailleurs locaux ne suffisent pas à combler le manque de main-d'œuvre. Elles constatent déjà les effets du durcissement des règles du PTET acté par le gouvernement en septembre 2024. Les embauches sont plus contraignantes. Or les employeurs ayant recours aux expatriés rappellent qu'ils contribuent à la croissance des entreprises et du pays. Ils confirment ne pas trouver de Canadiens compétents pour occuper des postes spécifiques (machiniste, par exemple); les former prendrait un temps trop long. Les restrictions gouvernementales forcent les entreprises à baisser leur production, et donc à perdre du terrain, dans un marché international déjà très concurrentiel. Pour les employeurs, se priver des travailleurs temporaires serait une « catastrophe ».

États-Unis : recul du travail temporaire et concurrence de l'IA

Les chiffres du Bureau des statistiques (BLS) publiés en septembre dernier confirment les mauvais résultats du précédent rapport (publié en juillet). Le recours au travail temporaire recule « pour la 38e fois sur les 41 derniers mois ». En août, le BLS compte 9 800 emplois temporaires en moins. Le même mois, seuls 22 000 emplois ont été créés aux États-Unis. C'est très loin des 75 000 emplois attendus. Le chômage augmente à 4,3 %. C'est le plus haut niveau depuis 2021. Le président Trump a déjà trouvé les coupables : la précédente administration Biden et le BLS. Suite à la publication des chiffres de juillet, le président avait d'ailleurs renvoyé Erika McEntarfer, la directrice du BLS. Il l'a remplacée par EJ Antoni, l'un de ses fidèles.

D'après les économistes, le recul du travail temporaire aux États-Unis est dû au contexte économique mondial incertain, mais aussi à la politique de l'administration Trump, dont les soubresauts inquiètent les marchés (confère les rebondissements des taxes douanières). Il faut aussi composer avec la concurrence croissante de l'IA. Amazon s'apprêterait à supprimer 30 000 emplois dans le monde, principalement au sein des postes de cols blancs. L'information n'a pas encore été confirmée par la firme, mais elle a déjà fait le tour des médias. D'autres géants ont taillé dans leurs effectifs cette année : Intel (-22 000 postes), Microsoft (-3100 postes). Fin octobre, Salesforce a licencié 4 000 salariés. Meta en a licencié 600 de son département IA. Les grands groupes font le pari de la croissance avec moins de salariés, qu'ils soient à temps plein ou intérimaires, au profit de l'IA. Mais si les géants se séparent d'une partie de leurs effectifs, ils ne ferment pas la porte au travail temporaire. Amazon envisage de recruter quelque 250 000 travailleurs temporaires pour assurer les livraisons des commandes de fin d'année.

Travailler
travail
A propos de

Rédactrice web spécialisée en actualité politique et socio-économique, Asaël Häzaq observe et décrypte les tendances de la conjoncture internationale. Forte de son expérience d’expatriée au Japon, elle propose conseils et analyses sur la vie d’expatrié : choix du visa, études, recherche d’emploi, vie de travail, apprentissage de la langue, découverte du pays. Titulaire d’un Master II en Droit - Sciences politiques, elle a également expérimenté la vie de nomade numérique.

Commentaires