Voyage responsable : le pari d'un couple d'expatriés suisses au Sri Lanka

Interviews d'expatriés
  • couple d'expats au Sri Lanka
Publié le 2021-05-07 à 12:00 par Veedushi
 Parisienne d'origine, Clémence est mariée à Fabien, un Genevois qui est aussi devenu son partenaire d'affaires. Cela fait deux ans et demi depuis qu'ils se sont installés au Sri Lanka où ils tiennent une « guest house ». Ayant à cœur le tourisme responsable, ils espèrent diversifier leurs activités malgré la crise sanitaire. 

Pouvez-vous vous présenter brièvement et nous parler de votre parcours ?

Nous sommes Clémence et Fabien, deux trentenaires qui, avant de vivre au Sri Lanka, habitaient en Haute-Savoie près de la frontière Suisse.

Je suis Parisienne et Fabien est Genevois. Avant de me lancer dans l'expatriation, je dirigeais une salle de sport à Genève avec ma maman. En plus d'y être co-gérante, j'étais également coach sportif. Fabien lui, avait monté sa boîte et il construisait des « tiny houses ». Vous savez, ces petites maisons en bois écologique.

Au Sri Lanka, c'est une nouvelle vie que nous avons construite, nous avons une « guest house » : De Paris à Kandy. Nous avons également monté notre propre agence de voyages responsables et éthiques qui s'appelle Green Walk Tours et enfin nous avons créé un blog voyage spécialisé sur le Sri Lanka : Un passeport en cavale.

Le but est de faire découvrir aux voyageurs l'île de Ceylan comme nous l'aimons et comme nous la connaissons.

Qu'est-ce qui vous a poussés à quitter la Suisse ?

Quelques mois avant notre premier voyage au Sri Lanka, je me suis fracturé le pied et, cerise sur le gâteau, j'ai eu une belle entorse. La guérison a été longue et compliquée, il m'était impossible de continuer à exercer mon métier.

Quant à Fabien, bien que les « tiny houses » aient le vent en poupe, il était confronté à plusieurs problèmes. En Suisse il n'existait encore aucune loi concernant la réglementation des « tiny houses » et les futurs propriétaires étaient, eux aussi, confrontés à de nombreux problèmes, ne serait-ce que pour installer leur « tiny house » sur leur propre propriété. Côté France, la situation n'était guère mieux, la réglementation était terriblement compliquée et la production était bien trop coûteuse.

À la même période, nous revenions d'un voyage paradisiaque sur l'île de Ceylan. Nos situations professionnelles étaient plus que bancales, nous n'avions pas encore d'enfants, nous sentions qu'il était temps de faire autre chose et pourquoi pas vivre un rêve, celui de l'expatriation.

Depuis combien de temps vivez-vous au Sri Lanka ? Qu'est-ce qui vous y a amenés ?

Un voyage coup de cœur quelques mois plus tôt, nous a poussés à nous installer sur cette belle île. Nous sommes ici depuis presque deux ans et demi.

Avez-vous eu du mal à vous intégrer ? Quels étaient les principaux défis et comment les avez-vous surmontés ?

Honnêtement, pas tant que ça. Nous avions plutôt bien préparé notre expatriation et nous avions déjà quelques connaissances dans la ville où nous avions choisi d'habiter.

L'intégration auprès des locaux s'est vraiment bien passée, nous avons toujours travaillé avec eux et fait en sorte de respecter leurs coutumes et traditions.

Là où les choses ont été plus compliquées, c'est avec les expatriés de la région. Nous nous sommes vite rendu compte que, contrairement à ce que nous pensions, être dans la même branche et notamment dans le tourisme peut provoquer parfois tensions et jalousies.

Au niveau des défis à surmonter, et c'est toujours d'actualité, le plus difficile est tout ce qui est en rapport avec l'administration.

Ici, les choses sont extrêmement compliquées et prennent beaucoup de temps. Nous n'avons jamais les mêmes informations. Ce qui est « marrant » c'est que, même dans l'enceinte d'un même bâtiment administratif, pire encore d'un même service, les informations ne sont pas les mêmes et il faut parfois compter des semaines entières pour obtenir une simple attestation.

Parlez-nous de votre projet de « guest house » et des difficultés que vous avez eues à le mettre en œuvre.

Effectivement, nous avons ouvert une guest house qui s'appelle De Paris à Kandy. Pour tout vous dire, c'est la seconde que nous avons ouverte au Sri Lanka, car nous venons tout juste de déménager. Nous avons « profité » des baisses de l'immobilier liées à la crise sanitaire pour trouver une maison plus grande pour le même loyer.

Honnêtement, là encore, nous n'avons pas eu de grosses difficultés, car pour nous le projet était plutôt clair. Nous savions ce que nous voulions et surtout ce que nous ne voulions pas.

Je dirais que ce qui a été le plus compliqué, tout comme pour notre première « guest house », c'est la recherche de la maison.

Les standards européens et sri lankais sont extrêmement différents. De plus, ici, il y a beaucoup d'humidité, il faut donc être vigilant. Ensuite l'enregistrement au Tourism Board (sorte d'office de tourisme national) a été un peu plus compliqué mais pas impossible. Il faut juste suivre les procédures, et être patient, très patient…

Depuis, vous avez également ouvert une agence de voyages. Ensuite, c'était le début de la crise. Quel en a été l'impact sur votre activité professionnelle ?

On ne va pas se mentir : l'impact a été terrible. D'autant plus que notre première année d'expatriation avait elle aussi déjà été difficile.

Nous avons ouvert l'agence en avril 2019. Malheureusement, à la même période, de terribles attentats ont frappé l'île et forcément qui dit attentat dit absence totale de touristes. Et puis, à peine une année plus tard, la crise sanitaire est arrivée.

C'est triste à dire mais en Europe nous sommes malheureusement « habitués » aux attentats, et nous savons qu'il faut du temps mais que les gens reprendront le cours normal de leur vie. Il fallait juste être patient et c'est ce que nous avons fait, et dès juillet 2019 les touristes revenaient, timidement mais ils étaient là.

Avec la crise sanitaire, c'est une toute autre histoire. Le Sri Lanka a fermé très vite ses frontières pour ne les rouvrir que 10 mois plus tard.

Si depuis peu il est possible de voyager sur l'île de Ceylan presque normalement pour les personnes vaccinées, c'est bien plus compliqué pour les non-vaccinées.

Vous l'aurez compris : notre activité est au point mort depuis maintenant une année.

Ce qui nous réconforte, c'est que nous continuons à recevoir des demandes d'organisation de voyages et ce même au plus fort de la crise. L'envie de voyager n'a donc pas disparu.

Les demandes que nous recevons sont bien ciblées, les voyageurs savent exactement ce qu'ils veulent, ils souhaitent se rapprocher de plus en plus du voyage responsable.

Le voyage responsable et le « zéro déchet » sont des concepts qui vous tiennent à cœur. Comment comptez-vous atteindre ce but ?

Effectivement oui, ce sont même les maîtres mots de notre collectif de créateurs de voyages Green Walk Tours.

Ce que nous souhaitons avant tout, c'est sensibiliser les voyageurs sur l'importance de limiter ses déchets et de voyager responsable.

Voyager au Sri Lanka est un très bon exemple pour les mettre en pratique.

Pour nous, il est important de montrer que chaque personne à un rôle important à jouer à son niveau. Nous ne sommes pas dans les extrêmes et nous nous adaptons en fonction des voyageurs.

Nous pouvons très bien avoir des personnes qui sont déjà très impliquées et donc qui ont des demandes assez particulières comme loger dans une cabane perchée en pleine jungle sans aucune commodité. Mais nous avons aussi beaucoup de voyageurs qui prennent conscience de l'importance de changer leurs habitudes et qui ont besoin d'un coup de pouce pour ça.

Voyager responsable, c'est par exemple limiter les intermédiaires, ce qui nous permet de faire directement profiter la communauté locale des bénéfices du tourisme. Nous privilégions les petits hébergements comme les guest houses et les maisons d'hôtes mais ce n'est pas tout. Pour nous, voyager responsable c'est aussi sortir des sentiers battus, aller à la rencontre des habitants, partager, échanger avec eux et découvrir leur façon de vivre. Par exemple, nous aimons particulièrement envoyer nos voyageurs à la découverte de la péninsule de Jaffna. Une région qui sort tout juste d'une longue guerre civile et qui a énormément à offrir tant sur le plan culturel que pour la beauté de ses paysages.

Voyager responsable, c'est aussi voyager éthique, nous boycottons par exemple les soi-disant orphelinats d'animaux comme les fermes de tortues et les « refuges » d'éléphants qui ne sont que des pièges à touristes et où le bien-être animal est loin très loin d'être une priorité.

Les parcs nationaux, connus pour les safaris, sont aussi au centre de nos priorités. Là encore, nous sortons des sentiers battus et privilégions les parcs moins fréquentés. Nous sommes loin, bien loin de la traque aux léopards observée dans certains parcs nationaux.

Au niveau du zéro déchet, une fois encore nous ne travaillons qu'avec les petites structures qui, contrairement aux grands hôtels, ne vont acheter que ce dont ils ont besoin. Il n'y a donc pas ou très peu de gaspillage alimentaire, comme lors des petits-déjeuners.

Ces petits établissements sont bien souvent équipés de panneaux solaires et tentent de limiter au maximum l'utilisation de plastique à usage unique.

Le bien-être de nos chauffeurs guides est également primordial. Nous avons fait le choix de les payer convenablement et de veiller à ce qu'ils soient logés dans de bonnes conditions lorsqu'ils sont en circuit avec les voyageurs.

Les conditions décentes de travail que nous offrons à nos collaborateurs leur permettent d'offrir à nos voyageurs un séjour des plus éthiques.

Bien entendu, ce ne sont que des petits exemples des nombreuses choses que nous mettons en place. Nous ne prétendons pas être irréprochables dans nos démarches, mais nous travaillons continuellement à changer les choses et à nous améliorer.

Le Sri Lanka est-il réceptif à vos idées ? Quel est votre constat de la pollution dans le pays ?

Le constat est dramatique.

Si dans la capitale il existe un système de voirie, c'est très loin d'être le cas dans le reste du pays. Par exemple, à Kandy, dans la ville où nous habitons, il n'y a que dans certains quartiers résidentiels que les ordures sont collectées, et ce, une seule fois par semaine.

Dans le reste de la ville, les résidents ont le choix entre brûler ou enterrer leurs déchets.

Il est également quasiment impossible de trouver des poubelles sur la voie publique. Un constat dramatique !

Ce qui est encourageant c'est qu'on trouve de nombreuses initiatives mais, gros point noir, par manque de communication, elles ne sont pas connues des locaux.

Il y a par exemple, à côté de chez nous, un point de collecte pour tout ce qui est déchets électriques et petit électroménager. Il me semble d'ailleurs que c'est le seul de la ville. Une très bonne initiative puisque les produits collectés sont apportés à Colombo afin d'être recyclés. Malheureusement, les personnes ayant connaissance de ce point de collecte se comptent sur les doigts de la main.

Je dirai que les deux plus gros problèmes du Sri Lanka concernant les déchets sont l'absence de système de voirie et le fait que personne n'ait jamais sensibilisé ni éduqué les habitants à ces problèmes et à leurs terribles conséquences.

Mais les choses changent petit à petit. La nouvelle génération elle, prend peu à peu conscience de ce qui se passe et, là encore, de nombreuses initiatives voient régulièrement le jour.

Plus ou moins grandes, mais elles ont le mérite d'exister. Elles participent, chacune à leur niveau, à changer les choses et à sensibiliser la population.

Il existe, par exemple, une start-up qui recycle certains déchets en plastique pour fabriquer des montures de lunettes ou des tongs.

Au Sri Lanka, il est dorénavant tout à fait possible de limiter au maximum sa consommation de plastique à usage unique et de privilégier des produits naturels qui respectent l'environnement comme notamment de la lessive naturelle.

Mais voilà, tout ceci a un coût et, financièrement, la grande majorité des Sri Lankais ne peuvent en profiter.

Qu'en est-il de la situation sanitaire actuelle ? Comment les autorités réagissent-elles face à la situation ?

Jusqu'à il y a encore quelques semaines, la situation était plutôt sous contrôle.

Mais voilà, les festivités liées au nouvel an cingalais qui ont eu lieu mi-avril ont quelque peu changé la donne.

L'année dernière, les rassemblements avaient été interdits car nous étions en couvre-feu total.

Les Sri Lankais n'avaient pas pu se réunir et célébrer ensemble le nouvel an.

Cette année, tous ont eu le même désir, celui de se rattraper.

Malheureusement, suite à ça, de nombreux clusters ont éclaté. Certains quartiers et certaines villes sont confinés depuis. Afin d'enrayer au plus vite cette nouvelle vague, le gouvernement a décidé d'interdire les réunions et mariages jusqu'à nouvel ordre. Depuis quelques jours, les bars, théâtres et cinémas sont également fermés pour une durée indéterminée.

Une situation assez inédite puisqu'avant ça nous vivions presque normalement depuis juin 2020.

Au début de la crise en mars 2020, le gouvernement avait rapidement fermé tous les lieux publics (parcs nationaux, jardins, musées, restaurants, bars, etc.), dans la foulée l'aéroport avait emboîté le pas pour ne rouvrir qu'en janvier dernier.

En l'espace de quelques jours, le pays était complètement fermé et un couvre-feu national très strict avait été décrété pour n'être levé que plusieurs semaines plus tard.

Après ça, quasiment la totalité des magasins avait installé devant leurs entrées des lavabos avec du savon. Le masque est devenu le nouvel accessoire de mode indispensable, et la prise de température, elle, est obligatoire avant de pénétrer dans un endroit.

Mis à part ces mesures, et avant les festivités d'avril dernier, nous pouvions voyager sur l'île, se réunir, sortir et voir nos amis, bien loin de ce que les gens vivent en Europe.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui souhaiteraient s'expatrier au Sri Lanka pendant ou après la crise ?

Pendant ou après la crise, mon premier conseil serait de bien préparer votre expatriation. Venir en voyage et vivre dans un pays sont deux choses qui n'ont rien à voir.

Ensuite, si la crise sanitaire nous a appris quelque chose, c'est qu'il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier et donc diversifier ses activités.

Par exemple, nous qui ne vivons que du tourisme, n'avons aucune rentrée d'argent depuis un an.

Je conseillerais également aux futurs expatriés de bien garder à l'esprit que nous ne sommes pas chez nous, et que les mentalités ainsi que la façon de fonctionner sont bien différentes. Enfin, un dernier conseil : soyez patients, très patients. Encore une fois, ici, tout prend du temps.

Le Sri Lanka est un merveilleux pays avec ses bons et ses mauvais côtés. Malgré la situation, malgré l'absence de revenus, malgré les difficultés rencontrées, notre expatriation sur l'île de Ceylan est la plus belle aventure de notre vie.

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