À priori, la situation au Moyen-Orient, et surtout, aux Émirats arabes unis et au Qatar, est loin de ressembler à une crise. Le terme, employé avec insistance par des médias internationaux pour décrire la situation actuelle, peut d'ailleurs paraître trop fort. Dubaï est toujours prisée par les expats. Mais les données sur le long terme montrent un changement progressif. Décryptage.
Ces expats qui quittent le Qatar et les Émirats arabes unis
Aux Émirats arabes unis (EAU), Dubaï, la ville-star de l'émirat éponyme, attire un peu moins. Certes, on est loin des 40 000 habitants des années 60. Dubaï a même fait parler d'elle aux premiers mois de la pandémie ; là-bas, « on continuait de vivre » quand les autres villes étaient à l'arrêt. Les influenceurs vantent ses mérites. Les investisseurs et créateurs d'entreprise profitent de son cadre fiscal. Dubaï rattrape rapidement ses 8,4 % de baisse de la population étrangère (en 2020). Dès la réouverture des frontières en 2020, les expats reviennent : + 100 000 entre fin 2020 et avril 2022. La ville vient alors de passer la barre des 3,5 millions d'habitants, et compte bien atteindre les 5,8 millions de résidents d'ici 2040.
Tous ces bons chiffres masqueraient presque que l'explosion démographique constatée en 2018 n'est plus. La population dubaïote augmente, mais moins. Entre 2012 et 2018, on compte 700 000 habitants, majoritairement étrangers. Depuis 2018, on compte « à peine » +300 000 habitants, avec toujours une majorité d'expats. La crise immobilière est passée par là. Certains expats regrettent « le temps d'avant » où leur salaire leur permettait de vivre décemment à Dubaï. Aujourd'hui, le coût de la vie explose, poussé par les grosses fortunes. Dubaï s'embourgeoise et perd une partie de sa population étrangère.
La qatarisation des emplois pousse-t-elle les expats vers la sortie ?
Au Qatar aussi, la croissance démographique ralentit. Entre 2012 et 2018, la population passe de 1,9 à 2,8 millions d'habitants. Les 6 années suivantes voient un net tassement de la croissance, avec seulement 200 000 habitants supplémentaires. Certes, au Qatar comme à Dubaï, le ralentissement s'explique en partie par la crise sanitaire. Mais dans les deux cas, les frontières ont rouvert assez rapidement.
Selon les analystes, la baisse de la croissance démographique au Qatar serait en partie due à la qatarisation des emplois. Comme le Koweït, l'Arabie saoudite, Oman, le Bahreïn et les EAU, le Qatar promeut la nationalisation des emplois. La politique, en lien avec la stratégie socio-économique de l'État, vise à favoriser l'emploi des locaux sur celui des étrangers. Le Koweït est connu pour avoir accéléré le processus. Le Qatar lui emboite le pas. Confère la récompense décernée à la Banque islamique qatarie (Qatar Islamic Bank) le 7 septembre. Le ministère qatari du Travail profite d'une cérémonie organisée par le Conseil de coopération du Golfe (CCG) portant justement sur le travail pour récompenser les progrès de la banque en matière de nationalisation des emplois.
Vers une nouvelle loi pour accélérer la nationalisation des emplois
Le 10 septembre, le Qatar valide un nouveau projet de loi visant à nationaliser les emplois dans le secteur privé. Le projet oblige les employeurs à rechercher des locaux éligibles au poste vacant. Il instaure non seulement une priorité pour les Qataris, mais aussi pour les enfants d'une Qatarie mariée à un étranger, même si ces derniers ne sont pas considérés comme des citoyens qataris. La plateforme « Ouqoul » annoncée en grande pompe par le gouvernement serait aussi utilisée pour prioriser l'emploi des locaux. Les nouvelles exigences s'appliqueraient au secteur public et privé, ainsi qu'aux organisations privées à but non lucratif. Seule exception : les entreprises privées du secteur pétrolier et pétrochimique.
La nouvelle loi prévoit des aides financières pour les entreprises qui s'impliquent dans la qatarisation des emplois. Ce soutien financier sera étendu aux salariés qataris. D'autres précisions interviendront ultérieurement, notamment une nouvelle liste précisant les emplois réservés aux Qataris. Pour les expatriés sur le départ, le Qatar n'a plus besoin d'eux. Le marché du travail leur semble de plus en plus restreint. Seul le secteur pétrolier est épargné, pour l'instant. Les expatriés peu qualifiés sont les premiers à faire les frais de la qatarisation des emplois. À cela s'ajoute une hausse des loyers et du coût de la vie, qui remettent en cause le projet d'expatriation. Selon le Fonds monétaire international (FMI), la population du Qatar devrait baisser de 3 à 2,5 millions d'ici 2027.
La lente métamorphose de Dubaï
Les travailleurs immigrés à Dubaï stimulent non seulement l'économie du pays, mais aussi celle de tout le Moyen-Orient. On estime qu'ils contribuent à l'économie de la région à hauteur de 115 milliards de dollars. Les EAU ont aussi développé une politique de nationalisation des emplois, mais dans une proportion moins large que le Qatar. L'État préfère surfer sur sa bonne image à l'international et veut attirer les talents étrangers. Vitrine du Moyen-Orient, les EAU (et surtout Dubaï) sont désormais confrontés à un défi de taille : la pression des expats sur les infrastructures. En 4 ans, environ 400 000 étrangers ont posé leurs valises dans la ville star. Ils sont attirés par les perspectives d'emploi et de carrière, le cadre de vie, les salaires, les cryptomonnaies ou encore, les avantages fiscaux.
Le défi de l'immobilier
Nouvelle flambée dans la ville la plus populaire des EAU : + 20 % en moyenne sur les loyers en 2024. Jusqu'à +86 % sur le prix des villas depuis 2021. Mais le phénomène, récent, n'explique cependant pas à lui seul la baisse démographique. Les analystes insistent sur la mutation progressive de Dubaï. À mesure que la ville s'embourgeoise et croit économiquement, elle change de profil. Certains n'hésitent plus à la comparer à Monaco. Une « ville pour grandes fortunes », donc, dans laquelle les autres expatriés ne se reconnaissent plus. Ils lui préfèrent d'autres villes ou émirats, au coût de la vie plus faible.
Mais l'afflux des expats a fait grimper les prix : logements, assurances, établissements scolaires, etc. L'écart se creuse entre les étrangers les plus riches et les autres. Les quartiers les plus prisés sont investis par les locaux et des résidents fortunés. Des expats ayant profité de la chute des prix durant la COVID pour investir dans l'immobilier se retrouvent aujourd'hui endettés et sans logement. Les plus précaires ne peuvent plus habiter Dubaï. Ils se reportent vers d'autres émirats, comme Charjah, encore épargnés par la hausse du coût de la vie. Entre les très riches et les précaires, de nombreux étrangers qui gagnent pourtant bien leur vie, mais ne peuvent plus supporter le train de vie dubaïote. Ils sont repoussés en périphérie ou déménagent dans des villes voisines. Ceux qui travaillent toujours à Dubaï doivent néanmoins supporter de longs trajets sur des routes encombrées.
Pression des expats sur le marché dubaïote : les infrastructures vont-elles suivre ?
En revanche, les entreprises de la finance n'ont jamais été aussi nombreuses à s'installer. En 5 ans, on compte +70 % de travailleurs du Dubaï International Financial Center. Le taux moyen d'occupation des bureaux a bondi de plus de 91 %.
Où inscrire ses enfants ? À Dubaï, les étrangers, trop nombreux, sont exclus des établissements publics. Seule option pour eux : payer des établissements privés surpeuplés et très onéreux. Les listes d'attente s'allongent pour de nombreux élèves. Les quelque 220 écoles sont loin de suffire. Environ 15 nouveaux établissements devraient ouvrir d'ici 3 ans. Les entreprises ont bien compris que pour garder leurs expatriés, elles devaient investir dans les infrastructures scolaires.
Les autorités dubaïotes voient ces pressions comme des défis. Défis des transports publics, limités, avec des routes souvent engorgées. L'État compte investir 5 milliards de dollars pour étendre le métro et 8,2 milliards de dollars pour améliorer la circulation sur les routes. Les investissements visent également à rénover les infrastructures mises à mal par les pluies extrêmes d'avril. Le gouvernement dubaïote reste néanmoins confiant : la rapide hausse de l'immigration est une aubaine pour la croissance. L'émirat compte attirer davantage d'investisseurs, d'immigrés qualifiés et de créateurs d'entreprise. La ville éponyme entend devenir la 3e place mondiale en termes de qualité de vie d'ici 2040.