Casablanca ma grise, me grise.

Petit texte magnifique Samia Moutawakkil trouvé sur la page facebook Si je t'oublie, O Casablanca !

Tout est dit ....

Casablanca ma grise, me grise.

Casablanca. Putain de merde, Casablanca. On ne peut commencer autrement avec toi. Tu suscites cette passion insensée qui jaillit des tripes. Cette envie de t'insulter et te chanter à la fois. Belle, envoûtante dans ta laideur. Tes murs qui ne sont plus blancs depuis longtemps –l'ont-ils déjà été- mariés au bleu profond renversant de l'océan donnent cette palette de couleurs que tu es la seule à porter ; et qui m'emporte. Quelle parure singulière ! Jamais robe grisâtre ne m'a autant émue.
Tes larges boulevards clinquants, tes ruelles désolantes de misère. Schizophrène ma Casablanca, tantôt luxueuse tantôt populaire. Tu allies tous ces aspects, les brandis presque fière. Tu ne sembles pas t'interroger sur ta cohérence. Belle dans ta dualité. Belle dans tous les secrets que tu comportes.
J'erre dans tes grandes allées, bordées de Palmiers venus d'ailleurs, te donnant un air californien, je longe tes côtes, caresse tes courbes, m'éprends encore et toujours de toi. Tes soleils couchants, ton océan imposant, tout l'amour que tu nous offres. Disparait le brouhaha vrombissant des automobiles hystériques qui s'agitent dans ton ventre. C'est ta musique à toi. C'est ta symphonie ma Casablanca. La symphonie de la ville grise et folle. La symphonie urbaine de la voix de l'Homme qui se mesure aux chants de l'Océan. Tout se mêle, s'entremêle et je vous entends. Vos hurlements splendides font frémir mon corps entier. Les klaxons, les cris des passants, les piaillements des gamins, les gémissements des vieilles dames, les aboiements de chiens enragés, les aboiements des automobilistes enragés, la voix divine de l'océan qui crie encore plus fort que tous. Jamais capharnaüm n'a été si mélodieux à mes oreilles. Car c'est toi Casablanca. Ma ville, ma mère, mon amour. Comment ne pas t'aimer ? Comment t'oublier ?

Au détour d'un virage, j'omets les luttes, entends les luths. C'est ta poésie à toi. C'est ton romantisme si lointain du commun, si singulier, mais si puissant. Me voilà embarquée dans un voyage mélancolique dans ton passé, tes multiples influences, l'illusion de ta beauté fanée, l'explosion de ta beauté présente. Je danse comme un derviche tourneur, tournoie à m'en perdre dans tes allées, Casablanca, ma spirituelle, ma surprenante, mon enchanteresse.
Au détour d'un virage, j'entends l'Andalousie. On la perçoit d'ici. Tes formes, tes coupoles, tes ornements, ta mosquée grandioses. Tu es ce mélange inédit, Casablanca, mon idole, qui devant tes défauts nous attendrit, ma fantastique frivole.

Je quitte la voiture et m'élance dans tes ruelles tortueuses, entreprends un périple fou, dans les recoins dangereux dont tu regorges, que je ne connais pas, étrangers à mon univers. Prête à t'affronter, t'aimer, te caresser dans toute ton adversité. Me voilà dans un quartier que le soleil, semble-t-il, a oublié. Me voilà dans un quartier où ton nom, Casablanca, a perdu depuis bien longtemps son sens. Depuis les immeubles entassés, les appartements confinés, me parvient l'écho de musiques rythmées. Au son des taarijas, des kamanjas, des voix stridentes, le quartier s'anime. Chacun vaque a son occupation, ici le temps semble plus lent, moins exigeant qu'ailleurs. Les kamanjas et taarijas crient depuis les postes de radio et personne ne s'en étonne. Des instruments parmi d'autres de la musique ambiante. Les enfants jouent au foot sur les chaussées. Ils crient, se battent. Ce jeu perd son sens, devient une sorte de catch. Les ballons volent dans tous les sens. Parfois cabossent un capot de voiture mal garée, ou encore la tête d'un passant égaré. Ici les oiseaux ont été remplacés par des sacs en plastique volants. La poésie n'en est pas moins présente. Les sacs en plastique volent, les enfants jouent, les mamans interpellent depuis les balcons, les épiciers discutent et refont leurs comptes, les vieillards vont et viennent dans la mosquée, les vieilles dames partagent les commérages : Tout est comme un refrain incessant, la vie tourne en rond, le temps n'existe plus. Ici on défie la course permanente.

Et quand en ton cœur, Casablanca, mon imprévisible ma charmante, se croisent le monde de l'opulence criante brute et ostentatoire et celui de la misère pas moins ostentatoire brute et criante, c'est ta magie maléfique qui agit. Un enfant en haillons, le visage sale, les yeux ébahis, observe une dame, présentoir de marques, le visage hautain, les yeux emplis de mépris. Casablanca, tu croises ces deux mondes opposés en un même endroit, en deux regards qui se retrouvent sans jamais détruire le mur qui les sépare. Casablanca ma folle, mon insensée !

Voyageant dans tes méandres, je croise un monde entier. Une multitude de personnes le peuplent, un univers de possibilités. Mais à chaque fois que tes injustices me révoltent, me retournent le cœur, me donnent envie d'hurler, te fustiger, Casablanca ma cruelle ; voilà que le souffle puissant de tes vagues iodées m'apaise, je suis sous l'emprise de la sérénité.

Casablanca je te chante, te pleure toi qui es maintenant loin de moi. Tu es ma mère, m'a fait naître, m'a vue grandir, comment vivre sans toi ? Ici tout est calme, ta folie me manque, il me semble que vivre c'est voltiger dans ta démence, être passionné de toi. Il me semble que vivre c'est ne jamais savoir ce que tu nous réserve en ce jour et dormir contre ta poitrine battante chaque soir. Il me semble que vivre c'est courir le long de ton océan, se sentir exister, se laisser envahir par tes exhalaisons puissantes, et que jamais ici je n'ai retrouvées, tu vois. Il me semble que vivre c'est se réveiller et s'endormir dans ta musique qui en nous vibre, résonne jusqu'aux cieux, fait danser tout ce monde dans un désordre de joie. Je m'ennuie ici, m'ennuie de toi. Casablanca, ivre, ivre, ivre de toi. Casablanca, et si je suis condamnée à être loin de toi, encore plusieurs années, toi qui représentes pour moi la vie : c'est entourée de ton linceul gris, que l'on m'enterra.


Je vous souhaite une bonne journée ....

Eliot.

beau texte