Les expatriés à l'heure de la Coupe du monde 2022

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Publié le 2022-11-18 à 14:00 par Asaël Häzaq
Pour cette 22e édition de la Coupe du Monde, qui a lieu du 20 novembre au 18 décembre, tous les regards sont tournés vers le Qatar, pays organisateur. Comment se préparent les expatriés au Qatar ? Comment s'organisent ceux qui ont choisi de faire le voyage pour vibrer avec le reste de la « planète foot » ? Comment vivent ceux qui assistent aux retransmissions des matchs ? Et les autres, appellent-ils tous au boycott ?

On aura rarement vu des jeux qui suscitent autant de crispations. À moins que la mémoire collective ne flanche et n'oublie les nombreux déboires de la FIFA. Amour du sport, atteinte aux droits de l'homme, passion pour le foot, dérives de l'argent, ferveur populaire, pollution… La parole est donnée aux expatriés.

Coupe du monde : les supporters ont fait le déplacement

On aurait pu commencer par la polémique et ouvrir le bal à grands coups de « #BoycottQatar2022 ». Devenu viral, le hashtag fédère avec lui des causes parfois contradictoires. « Et si on parlait de sport ? » propose Ibrah, faussement naïf, un brin provocateur. « Je veux dire, de foot », précise-t-il avec ironie. Le franco-sénégalais, ingénieur expatrié au Qatar, compte bien profiter de son séjour pour participer à la Coupe du monde de football. « Ce n'est pas tous les jours que ça arrive. Mais j'espère un jour que ça sera mieux. Je ne peux pas juste me voiler les yeux et regarder comme si de rien n'était. Comme beaucoup, j'ai acheté mon billet et j'espère voir du positif. »

2,89 millions de billets ont été vendus (sur les 3,1 millions en circulation). Côté supporters, c'est déjà la victoire. Parmi eux, un grand nombre de Mexicains (environ 70 000), d'Argentins (30 000), de Français (10 000), d'Américains, d'Anglais, de Brésiliens, d'Allemands, de Saoudiens, et bien sûr, de Qataris. Expatrié au Qatar depuis de nombreuses années, Loti, d'origine indienne, confirme « Y'a de l'ambiance, ici. C'est super ! » Et ne lui dites surtout pas qu'il a été payé.

Des fans payés par le Qatar ? Polémique dans les gradins

Ces derniers jours, une nouvelle polémique enfle. Le Comité d'organisation du mondial de foot a invité des centaines de supporters à faire la promotion du Qatar sur les réseaux sociaux. Fabien, porte-parole du groupe de supporters « Irrésistibles Français », confirme. Contacté par le Comité l'année dernière, il explique à l'Agence France-Presse « On a immédiatement refusé, en s'étouffant à la lecture du document. Il fallait utiliser les réseaux sociaux pour promouvoir cette Coupe du monde au Qatar. » Côté Comité, on se félicite d'avoir recruté 450 fans venant de 59 pays. Beaucoup d'influenceurs (notamment sur Tik Tok), que le Qatar inonde de cadeaux.

« Mais beaucoup d'autres ont refusé ! » tempête Loti, qui ne décolère pas. Dimanche dernier, une vidéo a fait le tour d'Internet. On y voit des foules supporters rassemblées sous des bannières « Brazil Fans Qatar », « Spain Fans Qatar », « English Fans Qatar ». Mais pour certains, beaucoup seraient Indiens. « On peut quand même supporter l'équipe de son choix ! » s'indigne Loti. « Oui, on a vu des rassemblements [vendredi 11 novembre] à Doha, oui, il y a des gens qui sont payés pour supporter les équipes, pour faire du nombre, comme on dit. Tout ça, c'est vrai. Mais ça ne veut pas dire que tous les supporters sont des faux. Je n'aime pas l'ambiance que ça crée. On se moque des gens. Vous connaissez le French football fan club India ? Il suit le foot masculin et féminin. Les Indiens sont fans de football, et il y en a de plus en plus au Qatar. Je veux bien qu'on veuille faire des polémiques, mais il faut se renseigner et arrêter de stigmatiser les gens. » Selon le ministère qatari des Affaires étrangères, les Indiens représentent la plus grosse communauté d'expatriés au Qatar (plus de 700 000).

Ces expatriés passionnés de foot

« Et sinon, quand parle-t-on de football ? » demande Loti. « Et je ne dis pas ça pour me mettre des œillères (il faut toujours tout justifier maintenant), mais juste pour dire que voilà, il y a ce que font les États, il y a les complots des entreprises (parce que beaucoup d'entreprises internationales sont dans le coup) et il y a le sport. Alors qu'est-ce qu'on fait ? Moi, je regarde le foot. » Même sentiment pour Sam et Laura, Anglais immigrés au Canada qui ont l'habitude de regarder le foot ensemble « foot féminin et masculin » précisent-ils. « On aime le sport. Le foot, mais plein d'autres sports aussi. » Laura pratique l'athlétisme. Sam préfère regarder les compétitions à la télé. « À cause de toutes les polémiques, on a perdu les valeurs du sport. Y'a trop d'argent, trop de magouilles. On va regarder parce qu'on aime le sport, mais on est conscient que ça ne va pas. Pas seulement au Qatar, mais dans le monde entier. On a vraiment un problème. »

Ibrah partage le même sentiment : « Où est passé le foot ? On parle toujours de gros contrats, de millions et de milliards. Et le sport ? On tape sur les supporters, OK. Mais qui a vraiment la main là-dessus ? Est-ce qu'il ne faudrait pas regarder plus haut ? Franchement, avec tout ce que j'entends, je m'interroge. Est-ce que je dois être coupable parce que je vais voir un match de foot ? Comment faire pour améliorer les choses, pour arrêter d'exploiter les hommes ? » Au contraire, Luv, français résidant en Suisse, ne veut plus qu'on parle de « choses hors football ». Il suivra les matchs à la télé et s'insurge : « Il y aura toujours des voleurs et des pauvres qui se font exploiter. Ce n'est pas la Coupe du monde qui va changer le monde. Les droits de l'homme ? La pollution ? Les LGBT ? Franchement, ça ne va pas m'empêcher de regarder mes matchs. Je suis horrible ? Le monde est pire. » Quand on lui parle du respect de l'intégrité humaine, de la conscience morale, des droits et devoirs des humains, il s'emporte : « Ce n'est pas mon problème ! Mon problème, c'est de suivre mes matchs sur ma télé. Tu peux me dire pourquoi je dois me ruiner pour suivre du foot ? »

Exploitation des travailleurs étrangers : les chiffres de la discorde

Selon une enquête du journal britannique The Guardian parue en février 2021, plus de 6500 expatriés originaires d'Inde, du Sri Lanka, du Népal, du Pakistan et du Bangladesh sont morts depuis 2010, date à laquelle l'organisation de la Coupe du monde de football a été attribuée au Qatar. Le Qatar conteste et ne parle « que » de 37 morts sur les chantiers des stades (pour la Coupe du monde). Une guerre des chiffres et des méthodes de calcul, The Guardian et le gouvernement qatari utilisant des systèmes différents. Mais côté qatari, on remarque aussi des zones d'ombre difficiles à lever. Frileuse, la FIFA semble se ranger derrière l'interprétation du Qatar. Pour Ibrah, « c'est du gâchis. Alors, on fait quoi ? On boycotte, ou on participe en dénonçant ce qui ne va pas ? Ce qui me dérange le plus, c'est qu'il n'y a plus de respect. Le racisme monte en flèche alors que le sport, c'est justement le partage sur un même pied d'égalité. On a perdu les valeurs du sport. On devrait retrouver ça, pour faire passer un message positif. On en a vraiment besoin. »

Ceux qui disent « non » à la Coupe du monde

Le ton monte et le hashtag appelant au boycott de la Coupe du monde inonde les réseaux sociaux. Les questions ironiques « C'est moi où tout le monde s'en fiche de la Coupe du monde ? » et « Coupe du monde de quoi ? » battent des records de popularité. Militants écologistes, LGBTQIA+, défenseurs des droits humains... tous se retrouvent pour dénoncer la Coupe du monde. Pour les écolos, c'est une « d'aberration climatique ». Les militants LGBTQIA+ se demandent s'ils ne risquent pas la prison (les relations homosexuelles sont interdites au Qatar). Les défenseurs des droits humains font pression pour que les États prennent leurs responsabilités. Mais le hashtag traîne aussi nombre de commentaires racistes et homophobes, qui trouvent écho auprès d'une partie des supporters, qu'ils soient « pro » ou « anti » Coupe du monde.

Zak, belge immigré en Espagne s'agace : « Tu tapes « coupe du monde » on te donne direct les infos sur le foot. C'est la seule coupe du monde qui existe ? Y'a pas d'autres sports dans la vie ? D'autres activités ? Est-ce qu'on peut arrêter deux secondes de parler d'un sport pourri par le fric ? » Et quand on lui rappelle les propos de Zinédine Zidane, c'est l'explosion. « Et l'exploitation des hommes, on oublie ? Et le racisme, on oublie ? Et la pollution, on l'oublie ? Il devrait se battre contre les fléaux du foot, au lieu de dire n'importe quoi. » Venu inaugurer sa nouvelle statue au musée Grévin le mois dernier, Zidane s'était exprimé sur les appels au boycott : « Il faut laisser la polémique de côté et laisser la place au jeu et à la Coupe du monde ». Une « honte » estime Zak, pour qui les joueurs ont un devoir moral. « On ne peut pas séparer le sport de l'homme. On ne peut pas tolérer l'intolérable. »

Les navettes du Qatar : très chère empreinte carbone

Jo ne s'attendait pas à ce qu'elle a vu. « Impossible de loger sur place. Me voici à Dubaï. Bonjour l'emprunte carbone », explique Jo, supportrice d'origine américaine. Faute de place pour loger tout le monde au Qatar, le Comité d'organisation a mis en place des navettes desservant les localités proches : Dubaï (Émirats arabes unis), Mascate (Oman), Koweït City ou Djeddah (Arabie saoudite). Des navettes aériennes : plus de 160 vols sont programmés chaque jour pour permettre aux supporters d'aller voir les matchs et de rentrer à leur hôtel. Même constat chez Zora, Allemande qui a fait le déplacement au Qatar avec sa famille : « C'est quand même inquiétant, ces climatisations à l'air libre. C'est la première fois que je viens ici et c'est encore plus incroyable que ce qu'on m'avait dit. Mais pas très bon, aussi. Avec tout cet argent, je pense qu'on pourrait faire autre chose. » Mais Zora compte bien profiter de l'ambiance festive. « Je la sens bien, cette Coupe du monde. »

Au fond, on sent un malaise. Certains expatriés qui vont assister aux matchs semblent presque gênés de le faire. D'autres veulent montrer leur bonne foi : on peut soutenir le foot et dénoncer les scandales. Malaise aussi chez les joueurs, qui rappellent qu'ils ne participent pas aux décisions concernant l'organisation des Coupes du monde. La France va soutenir les ONG de défense des droits humains. Les États-Unis affichent un logo LGBT. Les joueurs du Royaume-Uni, des Pays-Bas, de la Belgique, du Danemark, de l'Allemagne, de la Norvège, de la France, de la Suède, de la Suisse et du Pays de Galles porteront des brassards créés dans le cadre de la campagne « one love », pour lutter contre les discriminations. Les ONG veulent y voir un signal encourageant, assez fort, peut-être, pour faire bouger les grands acteurs, à commencer par la FIFA.

Pays qualifiés

En bonus, petit rappel de la liste des pays qualifiés pour cette Coupe du monde.

Zone Afrique : Cameroun, Ghana, Maroc, Sénégal, Tunisie

Zone Amérique du Sud : Argentine, Brésil, Équateur, Uruguay

Zone Amérique du Nord et centrale : Canada, États-Unis, Mexique, Costa Rica

Zone Asie : Qatar (pays hôte), Arabie saoudite, Australie, Corée du Sud, Iran, Japon

Zone Europe : Angleterre, Allemagne, Belgique, Croatie, Danemark, Espagne, France, Pays-Bas, Pays de Galles, Portugal, Pologne, Serbie, Suisse.