Expatriation au Japon : est-ce de l'histoire ancienne ?

Actualités
  • quartier de Shibuya, Tokyo
    Sean Pavone / Shutterstock.com
Publié le 2022-06-13 à 10:00 par Asaël Häzaq
C'est la dernière fausse bonne nouvelle en date. Mardi 31 mai, Yoshihisa Furukawa, ministre de la Justice, met fin à l'autorisation temporaire de travail de certains étrangers. Cette permission exceptionnelle, prise en 2020, autorisait les étrangers ne pouvant normalement pas travailler (du fait de leur visa) à exercer un emploi à temps partiel. La mesure a donc pris fin.

Les étrangers concernés doivent rentrer chez eux. L'État consent toutefois à renouveler les visas proches de l'expiration, pour laisser repartir ces étrangers en toute sécurité. Est-ce donc le nouveau Japon post-Covid ? Depuis 2020, le pays ne cesse de perdre des points auprès des expatriés et futurs expatriés. Comment expliquer un tel revirement ?

Une réouverture trop timide

Tout le monde y a cru. Jeudi 26 mai, le gouvernement Kishida annonce que le Japon rouvrira ses frontières aux touristes étrangers le 10 juin. Enfin, après 2 ans de fermeture, le pays (l'un des rares toujours fermé) renoue avec les échanges internationaux. Mais l'euphorie n'est que de courte durée. Le Japon ouvre son territoire aux ressortissants de 98 nations, sous conditions strictes : obligation de voyager en groupe sous la surveillance d'un guide, port du masque en intérieur et en extérieur, tests avant le départ et à l'arrivée, isolement de trois jours… Les triples vaccinés échapperont à cette dernière mesure. On est donc très loin de la réouverture aux touristes. Le Japon est encore en phase d'essai. La mesure est un nouveau « petit pas », après l'ouverture des frontières aux étudiants et le doublement des personnes autorisées à entrer sur le territoire (de 10 à 20 000, depuis le 1er juin).

Le gouvernement Kishida renvoie la balle à ses citoyens, toujours inquiets face au retour des touristes. Les plus véhéments – rares, heureusement – n'hésitent pas à afficher des pancartes « interdit aux étrangers » devant leurs commerces. Le gouvernement oublie qu'il a lui-même été moteur de cette vision déformée de « l'étranger porteur de virus ». C'est toute l'ambiguïté de la politique anti-Covid japonaise, qui laisse un goût amer à de nombreux expatriés et candidats à l'expatriation.

Une gestion de la Covid parfois controversée

Mars 2020. Comme tous les autres pays, le Japon ferme ses frontières pour éviter la propagation du virus. Mais au Japon, la mesure revêt une autre ampleur. C'est un mur que le pays dresse entre lui et les autres. Un mur qui exclut ses propres résidents. Des milliers d'expatriés se retrouvent coincés hors de leur pays d'accueil. « Coincé en France à cause des restrictions, alors que les frontières avec le Japon ont été rétablies pour les résidents… C'est OK côté français, mais pas côté Japon. Super. » Les témoignages désabusés se multiplient. « Je vis au Japon depuis 20 ans, s'insurge un chef d'entreprise. J'ai eu la sottise de retourner aux États-Unis en janvier. Excusez-moi d'avoir une entreprise à faire tourner. On m'interdit de rentrer dans mon pays de cœur (enfin, je ne sais pas si j'ai encore le droit de l'appeler ainsi !) alors même que mes collègues japonais continuent de courir la planète. Le virus n'est que chez les étrangers, excusez-moi ! »

Des milliers d'expatriés exclus loin du Japon. D'autres, obligés de rester au Japon par crainte de perdre leur visa. L'impensable concerne plus de 100 000 personnes, à qui le Japon n'offre aucune solution pendant 5 mois.

À ces milliers d'expatriés laissés-pour-compte s'ajoutent ceux qui n'ont pas pu partir. Visa de travail, d'études, stage annulé, PVT supprimé... Certains acceptent de tester des formes hybrides de stage ou de scolarité en télétravail. Le 11 février dernier, le site Kanpai recueille les témoignages « d'étudiants, travailleurs et familles, toujours bloqués hors du Japon. » Pour beaucoup, c'est une vie qui bascule, des espoirs annulés, et un terrible sentiment d'injustice. Problèmes de communication, système à deux vitesses, discriminations. « Le Japon ne veut pas de nous » semblent-ils souffler, encore interloqués par une situation qui aurait pu être mieux gérée. Il faudra attendre le 1e septembre pour que la situation s'améliore… Un peu. Les résidents sont de nouveaux autorisés de séjour. Mais les nouveaux variants font sursauter la politique japonaise. Elles assouplissent puis suppriment leurs mesures au gré des chiffres de contamination. Les étrangers se sentent pris au piège.

Des mesures qui pénalisent les étrangers

Pour l'immigration japonaise, tout est clair. Le 3 juillet 2020, Karyn Nishimura, correspondante à l'Agence France Presse (AFP), rapporte pour le journal Libération les explications de Seiji Matano, juriste de l'Agence des services de l'immigration : « le principe est que toute personne de nationalité non japonaise qui sort du pays et séjourne dans une région visée par les mesures d'interdiction d'entrée au Japon ne pourra pas y revenir, même avec un statut de résident permanent. » Et l'homme d'expliquer l'impossibilité légale de refuser l'entrée sur le territoire à un citoyen japonais. La discrimination envers les autres nationalités est en revanche possible, et semble assumée par les autorités, qui n'imaginent pas accorder les mêmes droits aux Japonais et aux étrangers. Elles reconnaissent que le virus ne sélectionne aucune nationalité, mais justifient leurs pratiques contraires aux droits de l'Homme. De quoi s'attirer les foudres des Ambassades, et la grogne des résidents étrangers. Ils obtiennent quelques victoires, mais la règle demeure. Pire : des médias des politiques entretiennent l'idée de « l'étranger porteur de virus ».

Depuis le début de la crise, certains médias japonais ont pris l'habitude d'associer « étrangers » et « Covid », au point de faire passer les étrangers pour des « virus ambulants » auprès de la population. En janvier 2021, l'État décide de refermer ses frontières aux étrangers non-résidents pour au moins un mois, alors que les nouveaux cas recensés concernent les Japonais. C'est un nouveau coup dur pour les étrangers. Certains ont développé des troubles de l'anxiété. D'autres sont tombés plus gravement malades. Aucune étude n'a évalué l'impact psychologique de ce ballottage continuel loin des frontières japonaises.

Quel avenir pour l'expatriation au Japon ?

En 2019, le Japon a accueilli 31,9 millions de touristes étrangers. Il comptait améliorer ce chiffre en 2020, le tourisme constituant l'un des piliers de son économie. La Covid plombe tous les objectifs, et la position du gouvernement interroge. Contrairement aux autres puissances touristiques, qui mettent vite en place un « plan d'urgence tourisme » (comme aux Émirats arabes unis), le Japon préfère lancer un « GoTo Travel » en juillet 2020. Le programme, réservé aux personnes vivant au Japon, permet de bénéficier de réductions si l'on voyage dans le pays. De quoi compenser l'absence des étrangers, donc, mais de quoi aussi raviver la polémique. Car si le GoTo Travel est techniquement ouvert à toutes les personnes vivant au Japon, avec les frontières fermées, il concerne principalement les Japonais.

Les touristes passeront sans doute sur toutes ces controverses, car ils ne séjourneront que pour un temps limité. Pour eux, le Japon reste ce pays hospitalier aux beaux paysages. Pour les expatriés, la réalité est plus nuancée. Oui pour les beaux paysages. Mais la crise sanitaire a révélé un Japon toujours fâché avec lui-même. Confronté à une hémorragie démographique accentuée par la Covid, il peine pourtant à s'ouvrir à une plus large immigration. Il mise sur le tourisme pour relancer son économie, mais semble avoir parfois du mal à considérer les résidents étrangers comme des citoyens à part entière. Il bataille pour maintenir sa vision d'un Japon homogène alors qu'interagissent, depuis toujours, diverses ethnies ; alors que résident de plus en plus d'étrangers qui contribuent aussi à l'essor du pays. Ironie : les étrangers chassés du territoire lors de la Covid continuaient de payer loyer et impôts. Bien entendu, les expatriés savent qu'ils restent « les étrangers ». La discrimination subie durant la Covid a cependant réveillé des problématiques bien plus profondes. Pour les étrangers, il y a définitivement un avant et un après Covid.