Le rôle des talents étrangers dans la croissance économique

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Publié le 2021-10-26 à 11:00 par Asaël Häzaq
Les grandes puissances mondiales recrutent et le font savoir. Dans la lutte pour retrouver la croissance, et une croissance pérenne, les États déploient un arsenal de mesures. L'une d'entre elles : le recours aux talents étrangers. Si les secteurs innovants et de pointe apparaissent comme les premiers employeurs de main-d'œuvre internationale, tous les secteurs sont demandeurs. Quel rôle jouent ces talents étrangers dans la croissance économique ? Quels sont les enjeux de la mobilité internationale à l'ère de la Covid-19 ?

Quand les talents étrangers stimulent l'économie

Alors que Boris Johnson mise sur la main-d'œuvre locale, certain que les pénuries actuelles se résorberont dans le temps, d'autres font un autre choix : attirer les talents étrangers, tout en assurant l'emploi des locaux. Suisse, Canada, Australie, États-Unis, France, Allemagne, Thaïlande... tous misent sur la main-d'œuvre étrangère, véritable accélérateur de croissance. Pour ces États, loin d'être un frein à l'embauche des locaux, la présence des talents étrangers booste la croissance, favorise la libre circulation des hommes et des idées, et contribue au rayonnement et au développement du pays. Mais, alors que la croissance mondiale retrouve quelques couleurs, les entreprises peinent à recruter : 70% des sociétés affirment avoir du mal à attirer la main-d'œuvre internationale qualifiée. Les différents pays se lancent dans de véritables campagnes de communication pour attirer les meilleurs profils.

La Suisse, grand employeur de main-d'œuvre étrangère qualifiée avant la crise sanitaire, poursuit sa campagne de recrutement international. La Covid-19 n'a pas freiné ses ambitions, au contraire. Consciente du rôle essentiel des travailleurs étrangers dans la relance économique, la Suisse fait tout pour attirer les meilleurs potentiels. Le pays fait valoir ses atouts : taux de chômage faible (2,6%), PIB à 3,2%, et marché du travail dynamique. Mais tout comme l'Australie ou le Royaume-Uni, le marché suisse subit une pénurie de personnel. 83% des entreprises suisses reconnaissent avoir du mal à recruter (contre 50% en 2019). La Suisse vivrait sa pire pénurie depuis 15 ans. Tous les domaines sont concernés : l'industrie (ouvriers qualifiés), le transport (chauffeurs, notamment de poids-lourds, d'équipement lourd), l'administration (réceptionnistes, assistants administratifs...), l'ingénierie (chimie, électricité, mécanique...), les spécialistes (juristes, chercheurs, notaires...) la finance, la comptabilité, les services à la personne, les cadres. 

Portes ouvertes pour les talents étrangers en Suisse, mais toujours partiellement fermées pour le Royaume-Uni. Le gouvernement campe sur ses positions et ne délivre que des visas de court terme pour éteindre l'incendie. « Insuffisant », jugent les opposants, tant la tempête économique Brexit affecte le pays. Transports, restauration, agro-alimentaire… tous les secteurs sont désormais touchés, et les entreprises alertent déjà sur les importantes pertes de chiffre d'affaires. Une « catastrophe », alors que Noël approche. La catastrophe aurait-elle pu être évitée ? Oui, selon certains observateurs, qui ne partagent pas le plan Johnson. Pour eux, le « réinvestissement de l'emploi par les locaux » n'est pas une arme contre le chômage, ni à court ni à long terme. Pire : il donnerait un mauvais signal aux talents et entreprises étrangères. De quoi faire fuir les investissements et les capitaux étrangers. Le Royaume-Uni paie déjà un lourd tribut du Brexit. L'Autorité bancaire européenne (ABE) a révélé qu'une centaine des banquiers les mieux payés ont quitté Londres avant le Brexit, pour investir ailleurs. Plus de 440 grandes entreprises de la finance ont quitté le Royaume-Uni ou transféré une partie de leurs capitaux vers d'autres puissances européennes. « Mauvais signal » analysent les observateurs, qui rappellent la nécessité de faire appel à la main-d'œuvre qualifiée. Impossible, pour eux, de survivre dans une économie mondialisée sans recourir aux talents étrangers.

Main-d'œuvre étrangère : un enjeu majeur de la mondialisation

Le succès de Pfizer BioNTech illustre bien les retombées positives de l'ouverture aux talents étrangers. D'origine turque, le couple de médecins Özlem Türeci et Ugur Sahin fonde BioNTech. Dès les premiers signes de la menace Covid-19, ils planchent avec leurs équipes : plus de 1500 salariés, dont 500 concentrés sur la recherche d'un vaccin. BioNTech s'alliera à Pfizer pour sortir le vaccin Pfizer-BioNTech, avec le succès que l'on connaît. Même parcours d'excellence pour Albert Bourla, PDG de Pfizer. Né en Grèce, le vétérinaire et docteur en biotechnologie de la reproduction intègre le groupe américain en 1993. Nommé PDG en 2019, il table sur le succès de l'ARN messager pour lutter contre le coronavirus. Un pari gagnant, qui fait de Pfizer un géant de l'économie mondiale.

Les exemples ne manquent pas, et montrent le rôle crucial des talents étrangers dans tous les domaines : recherche et développement, innovation, nouvelles technologies, environnement, santé etc. La finance hongkongaise a connu le succès en partie grâce aux potentiels étrangers. Ces mêmes potentiels lorgnent depuis quelques années sur Singapour (notamment, depuis la crise politique hongkongaise). Les nouvelles puissances de l'Asie du sud-est (Singapour, Taïwan…) ont misé sur les potentiels étrangers pour se développer. La France aussi : dès 2017, elle lance son nouveau visa « French Tech ». L'objectif est clair : attirer les étrangers qualifiés. En janvier 2020, elle démarre sa campagne « choose France ». La crise sanitaire n'a pas éteint les ambitions françaises. Le 7 juillet dernier, le gouvernement dévoile sa nouvelle stratégie : « Welcome to la French Tech », pour accueillir plus de talents internationaux dans l'écosystème tech français. » Le 12 octobre, le président Macron détaille ses ambitions pour la « France 2030 », avec, notamment, « 6 milliards d'euros investis dans l'électronique et la robotique, […] 5 milliards dans les start-up […] 3 milliards dans la recherche et l'industrie de la santé. » Des investissements pour hisser la France au rang de « première puissance de la tech », et attirer les talents étrangers.

Le modèle américain : un exemple pour le monde ?

Pourquoi recruter des talents étrangers ? Pour les États-Unis, la réponse est simple. Le pays lui-même est l'agrégation de vagues d'immigrations. Sa puissance, il la doit avant tout aux talents étrangers. Ils font partie intégrante de l'ADN et de l'écosystème américain. Cette vision multiculturelle a permis au pays d'embrasser les potentialités de chacun. Le principe est simple : tout les talents sont les bienvenus, pour peu qu'ils œuvrent pour la croissance du pays. 

Pour certains observateurs américains, les étrangers ont un atout que n'ont pas les locaux : la vision internationale et la culture de l'entreprenariat. Des atouts plébiscités pour faire croitre les intérêts des entreprises américaines. Le succès de la Sillicon Valley et de ses multiples talents est l'exemple type du « miracle américain ». Le gouvernement Biden relance la machine de l'emploi à l'international. Avec la réouverture des frontières en novembre, il espère attirer les potentiels étrangers dès l'université. Tous les secteurs sont concernés : informatique, nouvelles technologies, finance, santé, luxe, ingénierie, hôtellerie et restauration, communication, agro-alimentaire… En 2020, malgré la crise de la Covid-19, plus d'1,30 millions postes ont été créés rien que pour le secteur informatique. Au-delà du simple savoir-faire, les travailleurs étrangers génèrent des millions d'emploi. Créateurs d'entreprises, dont beaucoup rayonnent à l'internationale, ils contribuent à développer la puissance américaine sur tous les plans : économique, diplomatique, social, stratégique. Parmi ces talents, des prix Nobel : un tiers d'entre eux est né à l'étranger. Les États-Unis ne comptent plus les exemples qui prouvent l'efficacité de leur système. 

Le contre-exemple chinois ?

La Chine oppose son modèle, avec un argument simple : sa population (plus d'1,4 milliards). Inutile, pour  les autorités, de recourir aux travailleurs étrangers. Mais le nombre de naissances chute depuis quelques années, avec une baisse brutale due notamment à la crise sanitaire. Les experts parlent d'une décroissance observable dès cette année, et non plus en 2027, comme initialement pronostiqué. Crise des naissances, vieillissement de la population, inégalités entre les régions du centre et du littoral… l'empire chinois est confronté à de multiples défis. Pas de quoi infléchir sa politique. Faire appel aux potentiels étrangers ? La Chine mise plutôt sur la législation. En 2016, elle autorise les foyers à avoir un deuxième enfant. Nouvelle autorisation en juin dernier, avec la possibilité de faire un troisième enfant. Les Chinois ont cependant accueilli ces différentes nouvelles avec circonspection. Face à la hausse du coût de la vie et aux multiples charges incombant à l'éducation d'un enfant, les mesures incitatives gouvernementales ne suffisent pas. Mais toujours pas de recours à l'immigration envisagé. Frédéric Lemaître, correspondant pour le journal le Monde, analyse : « Le pays ne compte [que] 845 697 étrangers, soit deux fois moins qu'en Ile-de-France. Et encore ne s'agit-il que de personnes vivant dans le pays depuis plus de trois mois. L'immense majorité d'entre elles vont repartir. » 

L'État chinois fait valoir sa position : deuxième puissance mondiale, bientôt première, selon les vœux du pouvoir. La Banque Mondiale et le Centre for Economics and Business Research confirment. La Chine pourrait devenir la première puissance mondiale dès 2030. De fait, Pékin mise avant tout sur l'emploi des locaux, et préfère nouer des partenariats stratégiques avec d'influents étrangers pour mieux percer les économies d'autres pays. L'ancien ministre français Jean-Pierre Raffarin entretient ainsi d'étroites relations avec la Chine depuis près de vingt ans, au point de s'être vu discerner par Xi Jinping la « médaille de l'Amitié », haute distinction « réservée aux proches du régime ». 

Quand la Chine communique sur des recrutements internationaux, c'est pour mieux vendre ses produits. Dans ce télé-achat nouvelle génération (« livestream shopping »), les entreprises chinoises recrutent et forment des influenceurs étrangers (la majorité vivrait sur le territoire) pour promouvoir des produits chinois. États-Unis, Espagne, France… à chaque pays son youtuber. Les intéressés ne voient que des avantages à ce nouveau système. Installée à Shanghai, l'influenceuse Alice Roche officie en français et en anglais et vend toutes sortes de produits. Pour elle, « Le livestreaming est une nouvelle façon de consommer... dans quelques années, ce sera pour nous la principale manière de choisir des produits. » (source : journal la Croix). 

Hormis ces cas, inutile de compter sur l'emploi d'une main-d'œuvre étrangère massive. Jean-Baptiste Onana, professeur de géopolitique africaine à l'Université de Zhaoqing constatait dès 2016. Difficile de se faire une place en Chine en tant qu'étranger, même avec un bagage universitaire. Les populations africaines sont cependant les plus discriminées. Une situation toujours observable à ce jour, qui s'est même aggravée depuis l'épidémie de Covid-19. Le pouvoir semble jouer l'indifférence, et met en avant l'excellence à la chinoise, à l'instar du nouveau géant Tik Tok. D'autres rappellent que le « miracle américain » n'a pas empêché le fléau du racisme.

Talents étrangers et multiculturalisme : la leçon du Canada

Et si l'équation parfaite se trouvait au Canada ? Le pays reste l'une des destinations préférées des expatriés. Avec 9,985 millions de km², c'est le deuxième pays le plus grand du monde après la Russie. Mais il ne compte qu'un peu plus de 38 millions d'habitants. En comparaison, les États-Unis, 3e plus grand pays du monde (9,834 millions km²) comptent plus de 335 millions d'habitants. Le Canada a toujours besoin de nouveaux potentiels. Pour eux, le pays met en place une véritable politique d'accueil. L'objectif est double : accueillir des talents étrangers, et surtout les retenir. Conscient que chaque particularité est une force, le pays a opté, depuis de nombreuses années, pour une politique d'ouverture. Comme les autres puissances, de nombreux secteurs sont en tension : santé, administration, finance, agro-alimentaire, restauration, industrie, recherche, nouvelles technologies, informatique, communication, marketing… Mais gare à l'utopie. S'il résiste aux assauts des extrêmes, le Canada n'est pas épargné par les conflits socio-culturels. Conflits qui n'écornent cependant pas son image. L'histoire du Canada, c'est aussi l'histoire de l'immigration. Ainsi, le gouvernement canadien prévoit d'attirer plus de 400 000 travailleurs étrangers cette année, dont plus de 100 000 travailleurs hautement qualifiés. Le Québec manque également de travailleurs, dans tous les domaines. Selon le quotidien la Presse, il y aurait « 188 000 postes vacants au Québec »

La relance de la croissance mondiale et l'accélération des embauches laissent entrevoir un horizon 2022 peut-être plus clément que les années 2020-2021. Les talents étrangers sont plus que jamais recherchés. En parallèle, de plus en plus de pays rouvrent leurs frontières. La campagne de vaccination contre la Covid-19 se poursuit toujours. Pour les étrangers et candidats à l'immigration, les opportunités se précisent. S'expatrier redevient envisageable à court ou moyen terme. Les États, eux, espèrent que leurs politiques incitatives attireront les leaders de demain.