Expatriation : l'herbe est-elle vraiment plus verte en Suisse ?

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Publié le 2021-08-31 à 10:00 par Asaël Häzaq
Selon le FMI (Fonds monétaire international), c'est l'un des pays qui résiste le mieux à la crise sanitaire, avec une économie en situation de plein-emploi. La Suisse recrute, et le fait savoir. Pour les Français, c'est l'opportunité d'un changement de vie radical, avec une hausse significative du pouvoir d'achat. La Suisse véhicule toujours cette image de pays aux salaires élevés. S'expatrier en Suisse pour devenir riche est un rêve pour beaucoup. La réalité est-elle cependant fidèle au rêve ? 

La Suisse ou le rêve à l'international

Avant de s'interroger sur la pertinence d'une expatriation en Suisse, un état des lieux s'impose. Dans l'inconscient collectif, la Suisse, c'est Genève, la richesse, et les avantages fiscaux. Le pays est cependant loin de correspondre à cette image. La Suisse – ou république confédérale de Suisse – est un pays, par nature, international. Il compte 4 langues nationales : le français, l'allemand, l'italien, et le romanche. À cela s'ajoutent de nombreux dialectes. 

Nombreux sont ceux qui considèrent, à tort, que l'on ne parle que français en Suisse. En réalité, le français n'est principalement parlé qu'à Neuchâtel, le Jura, Vaud et Genève, soit 4 cantons sur les 26 que compte le pays. Le français est plus parlé dans l'ouest du pays, appelé la Suisse romande. Les cantons limitrophes Berne, Fribourg et le Valais sont bilingues français et allemands. L'allemand est d'ailleurs la première langue du pays, parlée à plus de 63 %, contre 22,5 % pour le français (8,1 % pour l'italien, 0,5 % pour le romanche, et 6,6 % pour les autres langues). Les candidats à l'expatriation sont parfois surpris par cette place, plutôt modeste, de la langue française. A contrario, une partie de la population suisse dénonce ce qu'elle qualifie de « facilité » de la part de Français qui ne restent que dans la partie francophone, n'essayant pas de réellement d'intégrer, selon eux, la culture suisse. Les mêmes ambivalences s'observent concernant l'emploi.

Une politique libérale au service de l'emploi ?

La Suisse recrute, et le fait savoir. Les expatriés qualifiés sont particulièrement recherchés. Une occasion rêvée pour tous les Français désirant s'installer sur le territoire helvétique. Les expatriés français seraient d'ailleurs mieux considérés par les Suisses, comparativement aux travailleurs frontaliers ; l'expatriation constituant un engagement fort. Des réserves peuvent cependant vite se faire sentir, comme évoqué ci-dessus.

Avec près de 8 fois moins d'habitants que la France (plus de 67 millions pour la France contre un peu de plus de 8 millions pour la Suisse), le pays helvétique affiche un PIB par habitant quasi deux fois supérieur : 75 890€ côté Suisse, 99 960€ côté France (chiffres 2020). Si, en 2020, le PIB annuel français dépasse largement celui de la Suisse (plus de 2 302 860€ contre 655 978€ pour la Suisse), la France est également plus endettée. En 2019, la Suisse affiche un taux d'endettement public des plus faibles au monde, avec 25,8 %. Pour la même période, celui de la France était de 97,6 %. La crise sanitaire a fait exploser les compteurs. La politique française décide de soutenir largement les entreprises. La Suisse est critiquée par les autres États d'Europe pour sa trop grande retenue. Fidèle à sa culture politique très libérale, l'État suisse n'intervient que très peu dans l'économie. Le spectre de la crise immobilière des années 90, qui avait vu la dette suisse atteindre des records, a poussé l'État vers davantage de rigueur. Rigueur qu'il entend maintenir même durant la période actuelle. La Suisse compte sur le rebond économique observé ces derniers mois. L'industrie repart, avec près de 5 % de hausse au premier trimestre 2021. Les commandes repartent, les exportations aussi. Le secteur médical, chimique est pharmaceutique, ainsi que tous les secteurs sous tension, poussent l'économie suisse vers le haut : commandes en hausse, augmentation du chiffre d'affaires, investissement, recrutement. Un rebond de l'économie rapide, qui fait revoir les pronostics de croissance à la hausse. Le KOF (Centre des recherches conjoncturelles) prévoyait une croissance à 3 % pour 2021. Il table désormais sur 4 %. Car dans le même temps, le taux de chômage français environne le 7 %. La Suisse, elle, est en situation de plein-emploi, avec un peu moins de 3 % de chômage (2,8 en juin 2021). Selon l'institut GFK, en juillet 2020, la France est le 15e pays d'Europe au plus fort pouvoir d'achat, avec 19 404€ par habitant, et par an. La crise sanitaire a fait baisser ces chiffres de 4 %. Mais la Suisse s'en sort bien mieux, et se hisse à la 3e place des pays au plus fort pouvoir d'achat (41 998€), derrière le Liechtenstein et le Luxembourg. Le GFK conclut : le pouvoir d'achat suisse est, en moyenne, trois fois supérieur à celui des autres pays d'Europe. De quoi inciter les candidats français au départ. Les experts suisses restent cependant sur la réserve : le rebond actuel ne serait que temporaire. Sur le long terme, la croissance serait plus modeste. 

La Suisse, eldorado de l'emploi ?

C'est l'argument qui revient le plus. Les salaires suisses seraient plus élevés que les salaires français. Les faits l'attestent. Un électricien suisse est mieux payé que son homologue français (76 054€ annuels, contre 42 381€ côté français). Un manager gagne, en moyenne, 107 712€ annuels en Suisse, contre environ 73 400€ en France. Un ouvrier suisse gagne environ 63 880€, contre 35 597€ pour un ouvrier français. Travailler dans les IT est également plus rentable en suisse : 95 613€ annuels pour un webmaster helvétique, 64 893€ côté français. Même constat pour les métiers de la communication. Un directeur de communication suisse gagne 115 792€ annuels, en moyenne. Le chiffre baisse de près de la moitié (63 311€) pour le même poste en France. Le secteur artistique est également touché. Un character animator suisse touche quelque 84 047€ annuels, contre 57 043€ pour un character animator français. 

Ces disparités de salaires s'observent dans tous les secteurs. Combinés avec le rebond économique et les secteurs qui recrutent, ils font de la Suisse un pays attractif et prisé des candidats à l'expatriation. Ces chiffres masquent cependant une réalité bien connue des locaux : le coût de la vie. 

En reprenant les exemples ci-dessus, pour un électricien français, le coût de la vie en Suisse est environ 35 % plus cher qu'en France. Même constat pour les autres professions, avec des coûts de la vie d'environ 27 à 30 % plus élevés en Suisse. En réalité, la Suisse est l'un des pays d'Europe au coût de la vie le plus élevé. Les hauts salaires vont donc de pair avec plus de dépenses à effectuer pour son quotidien. Le coût de la vie en Suisse est, globalement, 30 à 50 % plus élevé qu'en France. Un logement en Suisse est, en moyenne, 30 % plus cher que le même logement en France. Même constat pour les transports : un ticket de bus suisse coûte environ 3€, contre environ 1,7€ en France. Faire ses courses coûte plus cher en Suisse, de même que manger au restaurant (en moyenne, environ 46€ pour un repas complet, contre la moitié pour la France). Se loger, s'assurer et assurer ses biens, s'alimenter, faire garder ses enfants, prendre une mutuelle, consulter un spécialiste, faire du sport, aller au cinéma, prendre un abonnement téléphonique, pratiquer des activités culturelles, aller au restaurant… Tout coûte plus cher en Suisse. Le salaire élevé vient donc plutôt compenser les nombreuses dépenses inhérentes à la vie sur le territoire. Il faut ajouter à cela que ces estimations varient d'un canton à l'autre. Le média Suisse info observe que les cantons les plus abordables se situent en Suisse centrale et orientale. Le canton du Valais serait également compétitif, surtout pour les familles. Si la France observe des variations, parfois importantes, d'une région à l'autre, le coût global de la vie reste inférieur à celui de la Suisse.

Partir en Suisse : avantages et inconvénients

C'est la raison pour laquelle beaucoup de Français se tournent vers l'emploi transfrontalier : travailler en Suisse, mais vivre en France. Un compromis parfois mal perçu côté Suisse. Les Français faisant le choix de l'expatriation sont souvent surpris par leur niveau de rémunération. L'enthousiasme redescend vite, une fois déduites toutes les dépenses du quotidien. Les Français découvrent également la réalité d'un système fédéral : les cantons, indépendants, décident de leur politique fiscale. L'État n'intervient que très peu, contrairement à la France. Un atout et un inconvénient, notamment en matière de protection, de garanties assurées ou non par l'État, de fiscalité, etc. Ainsi, la charge fiscale diffère grandement selon les cantons. La Suisse romande, où l'on parle français, affiche des taux d'imposition largement supérieurs à la moyenne du pays (à l'exception de Genève). 

Selon le cas d'espèce : célibataire, couple, avec enfants (en bas âge, scolarisés, à l'université…), avec des pathologies nécessitant un suivi médical renforcé ou non… Partir en Suisse peut s'avérer être une bonne stratégie, ou un choix risqué. Le pays offre un bon cadre de vie, avec beaucoup d'espaces naturels et bien entretenus. Ce cadre de vie idéal va cependant de pair avec un coût de la vie élevé. Pour mieux évaluer le coût bénéfices/risques, les aspirants à l'expatriation peuvent calculer leur budget : d'un côté, l'ensemble des revenus (salaires, indemnités, patrimoines divers…), de l'autre, l'ensemble des dépenses : les fixes, avec le logement et tout ce qu'il comprend (gaz, électricité, Internet…), assurances, impôts, emprunts, et autres charges fixes (garde d'enfant, forfait téléphonique, frais de santé) ; les dépenses courantes : alimentation, habillement, transports… et les dépenses occasionnelles. Le résultat obtenu, à mettre en parallèle avec les estimations des revenus et coûts d'une vie en Suisse, donnera une bonne indication quant au choix de s'expatrier, ou non.

Sources :