Violences faites aux femmes établies hors de France : mobilisons-nous !

Interviews d'expatriés
  • femme disant non a la violence conjugale
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Publié le 2021-04-21 à 10:00 par Anne-Lise Mty
Chaque année, des milliers de femmes sont victimes de violences domestiques, certaines y laissent leur vie. Une situation que le gouvernement français prend très au sérieux. Amélia Lakrafi, Députée des Français de l'étranger de la 10ème circonscription - Moyen-Orient, Afrique Centrale, Australe et de l'Est, s'engage pour la cause des femmes.

La violence contre les femmes expatriées est une cause qui vous tient à cœur. Pour commencer, comment définir la violence conjugale ?

Oui, cela me tient particulièrement à cœur car les chiffres officiels pour notre pays sont terrifiants : chaque année environ 220 000 femmes sont victimes de violences et 120 femmes sont tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. Les Français de l'étranger, qui sont officiellement près de 3,5 millions (chiffres INSEE), sont tout aussi concernés sachant que le taux de séparation des couples expatriés est supérieur à celui que nous pouvons avoir en France.

La violence conjugale, je la définirais par une relation sentimentale ayant conduit à un concubinage, un pacs ou un mariage en cours ou révolu, et qui bascule dans une maltraitance plurielle. Les hommes en sont essentiellement les acteurs principaux sachant que 15% des victimes de violences conjugales sont des hommes et que la totalité des victimes ne portent pas plainte.

Dans le cadre du Grenelle des violences conjugales, Marlène Schiappa alors Secrétaire d'Etat chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations, a créé un nouvel outil, la roue des violences conjugales, qui liste des cas concrets de violences physiques, psychologiques, sexuelles et économiques auxquelles les femmes sont soumises en général.

Il est impératif d'en prendre connaissance pour identifier plus précisément la maltraitance dont on peut être victime.

Quelle est l'ampleur du problème ? Y a-t-il des données sur ce sujet ?

L'ampleur du problème est sous-estimée car certaines violences comme le harcèlement intrafamilial sont difficilement quantifiables. Plus largement, nombre de femmes victimes de violences ne portent jamais plainte, notamment celles établies hors de France. Les données sur ce fléau sont donc malheureusement sous-évaluées.

Pendant le confinement, on a dénombré cinq fois plus de signalements sur le portail arretonslesviolences.gouv.fr et 36 % de plus auprès des forces de l'ordre. Le numéro 3919 Violences Femmes Info a également été très sollicité avec 3 fois plus d'appels !

Un récent rapport du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) fait état de 140 000 constatations de violences conjugales en 2020, contre 100 000 en 2018, soit une augmentation de 40% !

Par ailleurs, les signalements dans les postes diplomatiques prouvent qu'à l'étranger aussi la violence augmente nettement et qu'il ne s'agit pas seulement de quelques cas isolés. Tous les pays et toutes les zones géographiques (y compris l'Europe) sont concernés.

Pour autant, la problématique reste mal appréciée et mal mesurée. Il y a, par exemple, un décalage statistique sensible entre les plaintes enregistrées par les forces de l'ordre et les estimations sociologiques bien supérieures publiées par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) via l'enquête annuelle Cadre de vie et sécurité (CVS).

Il convient effectivement que nous réfléchissions à mieux remonter, recueillir et fiabiliser les données en phase avec la réalité des violences.

Est-ce que la crise de la COVID-19 a eu un impact sur la violence intrafamiliale ?

La COVID-19 a un impact majeur sur les violences conjugales et intrafamiliales notamment en raison des confinements, des couvre-feux, du télétravail et de la présence continue des enfants, sans omettre les difficultés économiques et sociales qui ont contribué à créer de nombreuses tensions.

Ce fléau endémique touche tous les pays et toutes les cultures et selon l'organisation mondiale de la Santé (OMS), en 2020, plus de 700 millions de femmes et d'adolescentes de plus de 15 ans auraient été victimes de maltraitances majoritairement infligées par un homme (mari, fils, frère, etc.) dont plus de 600 millions de victimes de leur partenaire. Ce sont des chiffres hallucinants et qui en disent long sur l'état de l'humanité confinée et sur la condition féminine !

La pandémie et ses multiples conséquences ont hélas créé de nouvelles violences pour les femmes qui en étaient jusque-là exemptées et ont aggravé l'emprise et la fréquence des violences sur celles qui en étaient déjà l'objet.

La situation s'est donc clairement aggravée et il nous faut prendre toutes les mesures adéquates pour y répondre d'abord en aidant et en protégeant les victimes puis en sanctionnant durement les auteurs de ces maltraitances.

Dans quelle mesure est-il plus difficile d'être victime de violences conjugales à l'étranger ?

Plus spécifiquement à l'étranger, l'isolement familial, amical ou professionnel, du fait de l'expatriation, est un facteur aggravant. La dépendance économique, administrative ou médicale d'une femme à son conjoint et les difficultés linguistiques du pays de résidence sont également des obstacles très significatifs.

De surcroît, certains pays ne combattent pas réellement les violences conjugales, ce qui rend quasiment inopérante la possibilité de porter plainte, d'être protégée et de s'éloigner d'un partenaire dangereux.

La difficulté de quitter, non seulement son foyer mais aussi son pays de résidence - avec un passeport parfois confisqué par le conjoint - et l'absence de point de chute en France ou de revenu permettant l'indépendance, rendent encore plus complexe le départ des victimes.

Enfin, le conjoint, notamment dans les familles binationales, peut obtenir la garde des enfants ou refuser leur sortie du territoire. Ce chantage odieux annihile souvent les volontés de départ ou de séparation souhaitées par la femme, pourtant rendues nécessaires au regard des actes de violences qu'elle subit et qui se répercutent sur toute la cellule familiale.

Quel est le système mis en place pour aider les femmes victimes de violences conjugales à l'étranger ?

Après avoir dressé ce constat bien sombre, je veux dire aux femmes hélas concernées qu'il existe des solutions. Il est essentiel qu'elles sachent qu'elles ne sont pas seules et que leurs voix comptent !

À proximité, comme à des milliers de kilomètres en France, l'État, des fonctionnaires, des élus, des associations, et des citoyens engagés se préoccupent de ces situations intolérables et œuvrent pour aider ces femmes vulnérables et en souffrance afin de préserver leurs droits, leur avenir et celui de leurs enfants.

A l'étranger, le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, nos ambassades, nos consulats, nos élus locaux les conseillers des français de l'étranger, mais également les organismes locaux d'entraide et de solidarité (OLES), les centres médicaux sociaux (CMS) et des associations dédiées sont sensibilisés et mobilisés pour faire face à cette problématique et venir en aide aux femmes victimes de maltraitances.

Pour ma part, avec la plupart de mes collègues parlementaires qui représentons nos compatriotes établis hors de France, nous sommes particulièrement engagés dans ce combat du quotidien.

Alors, comment faire en cas de violence ?

Tout d'abord, ne rien laisser passer, jamais !

Dès la première violence physique ou psychique, il est impératif de réagir vivement car ce qui est anormalement ponctuel ou conjoncturel peut devenir un cycle fréquent, voire courant. L'expatriation rallonge parfois la prise de conscience d'être une victime de violences conjugales.

La culpabilité, le silence et le sentiment d'impuissance renforcé par la peur ne sont pas les réflexes appropriés. Il faut tout au contraire immédiatement matérialiser les faits par tous moyens (photos, vidéos, constat médical, etc.) et s'en ouvrir à l'extérieur car il est intolérable de voir son intégrité menacée ou celle de ses enfants. Par extérieur, il peut s'agir :

  • de prévenir son entourage familial

  • d'informer ses amis

  • d'appeler le numéro d'écoute disponible depuis l'étranger

  • de saisir le poste diplomatique le plus proche pour être assistée et être orientée notamment vers un avocat local

  • d'informer votre élu local, le conseiller des Français de l'étranger

  • de prévenir les associations, les OLES notamment

  • groupe facebook, entre autres celui d'Isabelle Tiné : https://www.facebook.com/groups/229481877243868

  • de déposer plainte dans le pays de résidence dès lors que les violences conjugales y sont reconnues et condamnables et surtout garder toutes preuves possibles (photos des blessures, messages écrits violents ou menaces, etc...)

  • à défaut, de déposer plainte en France car la loi française s'applique à un crime ou un délit commis par ou à l'encontre d'un Français

En effet, l'article 113-7 du code pénal prévoit ainsi que « la loi pénale française est applicable à tout crime, ainsi qu'à tout délit puni d'emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment de l'infraction ».

Dès lors que les violences ont entraîné au moins une incapacité temporaire ou totale de travail, les poursuites sont donc envisageables. Il est également possible pour certaines victimes d'infractions corporelles commises à l'étranger d'obtenir la réparation financière du préjudice consécutif aux violences.

Plus largement, il est important de prendre connaissance des différentes mesures et actions mises en place pour assister nos expatriés comme :

  • la mise en ligne sur le site internet des postes diplomatiques d'une rubrique spécifiquement dédiée avec les coordonnées des services de police locaux auprès desquels déposer plainte ainsi que le numéro d'urgence d'aide aux victimes piloté par l'association France-Victimes, en partenariat avec le ministère de la justice (disponible depuis l'étranger) qui assure une première écoute : +33 (0)1 80 52 33 76 et/ou [email protected]

  • la présentation d'un état des lieux annuel sur les violences conjugales chez les Français établis hors de France par le gouvernement lors de l'Assemblée des Français de l'étranger (amendement déposé avec ma collègue Samantha Cazebonne dans le cadre de la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales du 30 juillet 2020).

  • la rédaction d'une fiche réflexe sur la protection consulaire face aux cas de violences intrafamiliales qui a été adressée à l'ensemble du réseau diplomatique et consulaire le 4 janvier 2021 et qui est également disponible sur l'intranet du MEAE. Cette fiche était accompagnée du guide d'entretien réalisé par la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) ;

  • l'actualisation de l'annuaire des structures d'accueil des victimes de violences : l'objectif de ce document est d'identifier, dans l'ensemble du réseau consulaire, des structures locales susceptibles de pouvoir accueillir nos ressortissantes, victimes de violences et en situation de détresse, avec ou sans leurs enfants ;

  • la sensibilisation des élus de terrain et des conseillers des Français de l'étranger. A ce titre, j'ai eu le plaisir de rencontrer plusieurs d'entre eux et de travailler sur ce sujet en marge d'une Assemblée des Français de l'étranger (AFE). Une vingtaine d'entre eux ont répondu présent et nos échanges ont été extrêmement utiles pour alimenter le rapport sur les violences conjugales que nous avons remis avec ma collègue, Samantha Cazebonne, à la ministre, Marlène Schiappa ;

  • la sensibilisation des agents de l'ensemble du réseau à la thématique des violences faites aux femmes et violences intrafamiliales lors des journées du réseau consulaire (100% virtuel) qui se sont déroulées du 5 au 8 janvier 2021 ;

  • la mise en place de formations spécifiques dispensées par l'Institut de Formation aux Affaires Administratives et Consulaires à destination des agents qui seront amenés à traiter ces situations humainement délicates en poste ;

  • la publication d'un récit d'un cas de violences intrafamiliales dans la Lettre de la DFAE du mois de février 2021, dans la rubrique « Grâce à votre engagement » ainsi que d'un article dans la revue « Correspondances » du MEAE (n°89 – 2e semestre 2020) afin de sensibiliser les agents sur ce sujet sensible et sur l'action de ce ministère.

Par ailleurs, des associations comme Voix de femmes et France Horizon interviennent après un retour ou un rapatriement d'urgence.

En fonction de sa situation, ces associations, avec l'aide des services sociaux, dirigeront la rapatriée (et le cas échéant ses enfants) vers l'un de ses établissements ou vers une autre structure adaptée à ses besoins, notamment en matière d'hébergement. Un suivi psychologique leur sera également prodigué et une réinsertion étudiée.

Enfin, sur un plan plus local, j'avais demandé à ce qu'il y ait dans chaque consulat un référent « violences conjugales » et je réfléchis actuellement à la création dans ma circonscription d'un maillage associatif de « référents écoute et soutien » à l'instar des îlotiers qui, sur la base du volontariat et après une formation adéquate, viendraient en renfort des autres entités concernées. Le cas échéant, ils pourraient accepter de servir structurellement de « zone refuge temporaire » aux femmes qui en feraient la demande.

En tout état de cause, je ne doute pas de la solidarité et de la volonté des Français de l'étranger pour lutter contre les maltraitances faites aux femmes et venir activement en aide à une compatriote victime de violences.

Je suis intimement persuadée que ce combat doit être l'affaire de toutes et tous.

Si vous êtes victime de violences conjugales, parlez-en et faites-vous aider, n'attendez pas de ne plus pouvoir le faire. Il en est du devoir de la France de vous protéger !

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