Le marché du travail de Tokyo

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Actualisé 2019-02-28 07:28

Le Japon est la 3e puissance mondiale. Son économie paraît solide : plein emploi, avec un taux de chômage de 2,8%. Le premier ministre, Shinzo Abe, plaide même pour une hausse générale des salaires. Mais cette apparente bonne santé cache de profondes disparités. Tokyo illustre parfaitement cet état : le marché du travail est, en réalité, dual.

Une économie au ralenti ?

Le bilan d'ensemble est plus que positif, pour un Japon qui garde toujours le souvenir de l'éclatement de la bulle spéculative (années 90). S'en sont suivies des années de récession qui ont conduit à une stagnation économique.

Les périodes fastes des années 60-70, avec un PIB dépassant souvent les 8%, sont loin. S'il a connu une baisse brutale due aux chocs pétroliers, le PIB japonais a, rapidement, retrouvé une santé ' sans toutefois égaler les taux de croissance records des années précédentes. Durant les années 80, le PIB oscille entre 3 et 4%, soit une croissance deux fois moins importante qu'auparavant, mais toujours honorable. La crise vient en 1991, avec l'éclatement de la bulle spéculative : chute brutale du PIB, qui passe à -0,52% en 1993. C'est le début du ralentissement économique, et de la déflation (baisse générale des prix). Les salaires sont également maintenus vers le bas, impactant le pouvoir d'achat.

Fort de ce constat, la priorité, pour le gouvernement Abe, c'est la relance, et la relance par la consommation. S'inspirant des politiques occidentales, Abe incite les entreprises à revaloriser les salaires. Des revenus plus importants, pour que les ménages consomment. Mais la croissance reste molle, voire inexistante, avec un PIB moyen de 0,8% par an.

C'est que le Japon a traversé une crise qui a ébranlé le cœur même de son système économique. Après la récession, conséquence de l'éclatement de la bulle spéculative des années 90, il traverse une nouvelle crise, mondiale : la crise des subprimes, entraînant la crise financière de 2008. Le Japon vacille. Symbole de la déroute : la valse des premiers ministres, entre 2007 et 2012. Ils seront cinq à se succéder à la tête du pays, soit un ministre par an.

Depuis 2012, Shinzô Abe a pris la tête du gouvernement japonais, avec sa politique économique « abenomics ». Si les analystes financiers jugent le bilan de ces mesures assez mitigé, ils notent que 2017 marque une embellie économique : le PIB passe à 1,5%. En 2018, il est revu à 1,2%. Croissance faible, donc, mais constante.

Un facteur inattendu explique pourquoi le Japon a continué de s'enrichir, du moins, de maintenir son PIB : la baisse de la population. La diminution du nombre d'habitant contribue, mécaniquement, à faire augmenter le revenu moyen par habitant. Mais ce facteur est aussi le principal frein à une reprise économique plus franche : il y a de moins en moins d'actifs. De plus en plus de personnes âgées. Le Japon se retrouve face à un véritable défi démographique.

Pénurie de main-d'œuvre

C'est cette situation démographique qui explique, en partie, la pénurie de main-d'œuvre. Et les jeunes actifs l'on bien compris : ils sont en position de force. Les syndicats plaident également pour une revalorisation des conditions de travail.

Dans la culture japonaise, l'on recrute dès la sortie de l'université, voire même avant. Dans une économie de plein emploi, les étudiants n'auraient donc aucune difficulté à trouver un emploi. Ainsi, les étudiants en dernière année seraient près de 86% à décrocher une promesse d'embauche (chiffres 2017).

Il existe cependant de grandes disparités entre Tokyo et les autres villes. La capitale attire nombre d'étudiants et de jeunes actifs. De fait, les autres régions font face à une pénurie de main d'œuvre : les étudiants n'hésitent pas à refuser des propositions, préférant les offres d'emploi tokyoïtes. Selon la NHK, la région d'Hokkaido, au nord du Japon, aurait des difficultés à recruter : 60% des postes qu'elle propose seraient boudés par les jeunes diplômés (chiffres 2017).

Des secteurs qui recrutent

Pénurie oblige, des secteurs sont particulièrement sous tension. Une aubaine pour les expatriés, qui peuvent voir une opportunité de trouver un travail à Tokyo.

C'est dans les nouvelles technologies que l'on recrute :

  • IOT (Internet of Things), ou l'Internet des objets : c'est tout ce qui concerne les objets connectés ; les objets utilisant Internet pour agir sur le réel.
  • E-commerce, jeux en ligne, applications sur mobile
  • Informatique, développement web, intelligence artificielle, ingénierie, cybersécurité
  • Banque, finance, conseil, management, communication, marketing digital

Ce sont donc les secteurs de pointe qui sont visés. Une information capitale pour les expatriés. Car s'il est facile d'obtenir un « job d'appoint », un « baito », décrocher un emploi stable est une tâche plus ardue. Dans un marché du travail concurrentiel, l'expatrié devra montrer sa plus-value : parler japonais n'est pas considéré comme un avantage. C'est un préalable. Même pour travailler au sein d'une entreprise internationale, mieux vaut parler japonais.

De plus, plus vous aurez des diplômes, et de l'expérience, mieux vous serez considéré.

Encore une fois, l'entreprise se demandera pourquoi vous embaucher vous ' et s'engager des démarches de sponsoring ' plutôt qu'un Japonais. Une solide expérience et de hauts diplômes sont un gage de votre compétence. Ici, comme en France, le Japon privilégie les hauts diplômes, et les parcours qualifiés « d'exception » (université réputée, grande entreprise).

Côté salaires, ils peuvent varier entre 5 000 000¥ par an, soit, environ 40 000⬠(ex : poste de manager), à plus de 8 000 000¥ annuels (plus de 64 000â¬), pour un financier, par exemple.

Les expatriés trouveront aussi du travail dans l'enseignement. Les établissements scolaires ' notamment, les écoles de langue ' recherchent surtout des professeurs d'anglais et de français. A noter que, bien souvent, les recruteurs souhaitent que la langue enseignée soit votre langue maternelle.

Si le français est toujours aussi populaire au Japon, en pratique, les élèves semblent lui préférer l'anglais, première langue commerciale. Il y a donc plus de postes de professeurs d'anglais que de professeur de français. Mais les écoles de langue française sont, bien entendu, toujours présentes, surtout dans les grandes villes, comme Tokyo.

A noter que le secteur du bâtiment est également en tension. Tokyo recense nombre de chantiers de constructions immobilières, de rénovations et réhabilitations : les Jeux Olympiques de 2020 obligent la capitale à revoir ses infrastructures. Les transports sont clairement visés par le gouvernement, qui craint des engorgements, surtout en heure de pointe.

Temps partiel

Pour lutter contre les différentes crises économiques, le Japon a opté pour la flexibilité. Permettre aux entreprises d'embaucher et de licencier plus facilement, c'est accroître la productivité. Mais cette flexibilité a contribué à la création d'un marché dual. D'un côté, les emplois réguliers, qualifiés, en « CDI » (du moins, sur du long terme), avec des perspectives d'évolution de carrière. De l'autre, les emplois précaires, irréguliers, les « baito » ou « arubaito » (de « arbeit », travail, en allemand) soumis à la pression du marché.

C'est l'autre face du plein emploi. Un plein emploi virtuel, donc, car cachant une réalité moins faste.

« Freeter » (furiitâ, en prononciation nipponne). Le terme est apparu dès les années 80, avec un sens positif : il désigne ces jeunes qui font le choix de travailler lorsqu'ils en ont envie. Ils sont libres (free), loin du carcan rigide et du modèle du salaryman, attaché à son entreprise, cumulant les heures supplémentaires. Les freeters choisissent de rester en « baito » et ne souhaitent pas devenir shain (employé) dans une entreprise.

Mais, bien vite, le terme « freeter » a perdu son sens premier. Ce n'est pas tant la liberté qui pousse les travailleurs à accepter les baito, que l'impossibilité de trouver un travail stable. C'est tout le paradoxe de l'emploi, au Japon : une partie de la population échappe à la précarité. L'autre cumule les emplois irréguliers, sans perspective d'évolution de carrière

Le baito n'est donc pas seulement l'apanage des jeunes. Pour eux, il reste, effectivement, un bon moyen de découvrir le monde du travail, tout en gagnant de l'argent. Devenus grands, c'est dans une « véritable entreprise » qu'ils chercheront à évoluer. Quoiqu'une partie de ces jeunes travaillera pour gagner de l'argent. Ce sont les nouveaux visages d'un Japon qui lutte, silencieusement, pour sa survie.

Le baito devient presque une double peine. Car au Japon, il est encore déconsidéré. On l'assimile toujours au petit boulot d'appoint, qu'il faut quitter pour s'insérer réellement dans la société. Comment, dès lors, considérer les milliers d'adultes en situation précaire ? Depuis 2015, dans le secteur privé, ces employés en contrat irrégulier représentent plus de 40% des travailleurs (chiffres ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales japonais).

Les femmes et les personnes âgées sont particulièrement touchées par la précarisation du marché de l'emploi. Ces femmes ont souvent arrêté de travailler au moment de fonder une famille ; même s'il y a des évolutions ' citons, notamment, une remise en question du modèle familial dominant ' la pratique demeure encore. Lorsque ces femmes reprennent une activité, c'est, le plus souvent, à temps partiel. Les femmes élevant seules leurs enfants sont soumises à une plus grande précarité encore.

Les personnes âgées occupent également des emplois précaires : chauffeurs de taxi, employé de supérette, de ménage etc. Impossible, sans ces « petits boulots », d'assurer le quotidien. Au Japon, un sénior sur cinq travaille toujours. Raison principale : le faible niveau des retraites. On estime que 19% d'entre eux vivraient sous le seuil de pauvreté. En 2018, le Premier ministre s'adresse directement aux séniors, du moins, aux fonctionnaires : l'espérance de vie s'allonge (83 ans, en moyenne), l'on repousse donc l'âge de départ à la retraite à 80 ans. Pour l'instant, la mesure ne vise que les volontaires. L'âge légal de départ à la retraite reste 60 ans. Mais presque personne ne prend sa retraite à cet âge : le salaire baisse, en moyenne, de 30%, si l'on décide de partir à l'âge légal. D'autres mesures visent à repousser progressivement l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans, pour tous les salariés. Dans un premier temps, seuls les hommes seraient concernés. A termes, d'aucuns estiment que l'âge légal de la retraite sera repoussé, pour tous, à 70 ans. Ou plus.

Le gouvernement Abe a également proposé, dès 2016, des mesures visant à améliorer les conditions de travail des plus précaires. Car travailler en baito, c'est bénéficier d'une couverture sociale moindre, comparativement aux salariés ordinaires. Moins de protection sociale, donc, moins d'assurance, et, à terme, une faible retraite. L'idée du gouvernement est la suivante : les droits d'un employé en baito doivent être les mêmes que ceux d'un employé régulier. L'avenir dira si ces mesures permettront d'enrailler la précarisation du marché du travail.

Comprendre la dualité du marché du travail japonais vous sera utile, pour mûrir votre propre projet professionnel. Les langues pratiquées (japonais, anglais, au niveau courant, voire business), l'expertise, les diplômes, votre réseau, mettront en valeur vos potentialités. Il est tout à fait envisageable de travailler au Japon, d'autant plus lorsque l'on emporte avec soi un bagage qui saura faire mouche auprès des recruteurs.

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