Réussir à l'étranger : s'expatrier ou construire sa carrière en premier ?

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Publié le 2024-01-19 à 10:00 par Asaël Häzaq
Vaste question. On pourrait se mettre au vert et soutenir (à raison) qu'il ne suffit pas de voyager pour « faire carrière ». Il existe certainement bien des postes intéressants dans sa région. Mais l'on pourrait aussi supposer qu'un ou deux voyages pour « faire carrière » justifient bien quelques hectolitres de kérosène. Le débat (côté pollution et côté carrière en expatriation) refait régulièrement surface. C'est qu'il interroge sur la notion même de la valeur travail, de la place du travail dans la vie, et de l'image de l'expatrié.

L'expatrié.e est-il/elle cool ?

Bien sûr, l'expatrié est cool. On ne connaît pas la personnalité de chaque expatrié, mais on sait que l'expatrié est cool. L'idée continue de flotter dans l'inconscient collectif. L'expatrié est cool parce qu'il vient d'ailleurs. L'immigré, son jumeau, vient aussi d'ailleurs, mais n'a pas la chance de l'expatrié. L'expatrié est cool, car il exerce forcément un métier passionnant. Tous les métiers qui offrent une rémunération conséquente sont passionnants. Exagération assumée, pour souligner le rôle de l'argent dans le potentiel attractif de l'expatrié. On les imagine encore trop souvent noyés sous un salaire à 3 ou 4 chiffres, occupant un poste à responsabilité, vivant entre deux avions et trois chambres d'hôtel. Cette image désuète du serial expat continue de façonner une certaine image de l'expatrié.

Carrière, une histoire de vie ?

La « carrière » peut représenter deux éléments. Il y a tout d'abord la carrière côté domaine professionnel, qui nous suit tout au long de la vie. C'est le cas d'une personne qui, par exemple, a embrassé la carrière de chimiste. Elle a étudié pour être chimiste et exercer dans son domaine professionnel de prédilection. Il existe aussi la carrière au sens d'expériences professionnelles. Ce sont toutes les expériences qu'on retrouve dans le CV. On aura peut-être navigué entre plusieurs secteurs professionnels, eu des poses, etc. Faut-il donc s'expatrier pour être sûr d'avoir une carrière réussie ? Ou faut-il attendre de « faire carrière » pour s'expatrier ?

Ces questions reposent sur des sous-entendus controversés. Comme dit plus haut, la fausse image de l'expatrié cool crée des interférences entre l'imaginaire et la réalité. De nombreuses personnes immigrent pour trouver une vie meilleure à l'étranger, et ce, qu'elles aient ou non des revenus modestes. De plus, la définition actuelle de la carrière n'est plus celle des décennies précédentes. Il faudrait même plutôt parler « des définitions » de la carrière. Car « faire carrière » ou « avoir une carrière » réussie n'est plus forcément gagner beaucoup d'argent et occuper un poste à responsabilité. Des expatriés peuvent estimer avoir « fait carrière » lorsqu'ils accumulent le maximum d'expériences professionnelles différentes. D'autres se sentiront épanouis en ayant des horaires de travail souples pour profiter de leur vie, de leur famille, se promener, faire du sport, visiter leur région d'expatriation...

On est donc loin de la définition rigide de la carrière et de l'expatriation. Une carrière jugée ratée par l'un sera applaudie par l'autre. L'un mettra en avant l'aspect humain et toutes les rencontres établies en expatriation. L'autre retiendra plutôt le nombre de missions réussies.

Carrière réussie, vie accomplie ?

On l'a dit, les idées reçues ont encore la vie dure. Ce sont en partie elles qui laissent sous-entendre qu'une carrière professionnelle serait plus riche avec une ou plusieurs expériences à l'étranger. C'est oublier la tragique mise au placard de ces expats qui rentrent au pays. Nombre d'entreprises ont encore du mal à composer avec ces salariés qui partent, qui reviennent, qui s'en vont ailleurs. Leur parcours, pourtant très riche, n'est pas toujours reconnu à sa juste valeur. On essaie de les enfermer dans des cases alors qu'ils ne remplissent aucun critère et ne veulent pas en remplir.

Et s'il s'agissait d'une question d'équilibre ? Ne pas survaloriser la carrière en expatriation, ne pas sous-évaluer celui qui ne voyage pas, mais plutôt placer chaque situation à sa juste place. Si l'expatriation peut effectivement propulser la carrière professionnelle (selon ce que chacun entend par « carrière »), elle n'est ni la condition ni la conséquence d'une carrière réussie. Si l'expatriation vous tente, inutile donc d'attendre d'avoir gravi mille échelons avant d'oser voyager. Regardez plutôt votre niveau de langue, les secteurs qui recrutent dans le pays étranger, les conditions pour obtenir un visa, le besoin ou non d'entreprendre une formation complémentaire…

Le traumatisme des confinements a obligé à s'interroger sur les véritables essentiels. Qu'est-ce que la réussite ? la vie ? Qu'est-ce qui importe ? Les jeunes générations ne veulent plus se tuer à la tâche comme leurs aînés. Elles n'ont plus pour ultime objectif d'exercer un poste à responsabilité. Le salaire, s'il reste important, n'est plus le moteur qui fait accepter des conditions de travail impossibles. Les jeunes préfèrent gagner moins d'argent et avoir plus de temps pour les autres et pour eux. Voilà, pour eux, la véritable vie accomplie. La carrière sera réussie si la vie personnelle l'est aussi.

Faut-il s'expatrier pour « faire carrière » ?

Il faut quand même reconnaître quelques données objectives. Certaines femmes diplômées disent, par exemple, avoir eu plus d'opportunité en s'expatriant. Elles sont devenues cadres, PDG, ont monté leur entreprise… Les portes fermées dans leur pays étaient ouvertes dans un autre. Elles parlent aussi d'une plus grande liberté qu'elles ont pu vivre dans leur pays d'expatriation.

Autre donnée objective : les salaires. Un même poste ne sera pas rémunéré de la même façon dans tel ou tel pays. Il faut aussi parler de la reconnaissance de la profession. Lorsque son pays ne soutient pas assez un secteur professionnel, on trouve parfois l'herbe plus verte dans le pays voisin.

Peut-on pour autant conclure que l'expatriation est obligatoire pour faire carrière ? Non, bien entendu. Il serait dangereux de partir de cas isolés pour faire des généralités. Au fond, les questions permettent de souligner qu'aucune proposition n'est obligatoire. Elles interrogent également sur le sens profond de l'expatriation. Pourquoi part-on travailler à l'étranger ?

Faut-il s'expatrier pour être heureux ?

Vous avez peut-être déjà entendu cette injonction : « il faut voyager. Ceux qui ne voyagent pas sont étroits d'esprit, passifs, et manquent d'ambition. Les voyages, c'est la vie. » Les adeptes de ces phrases toutes faites sont certains que le voyage conditionne et structure l'être humain. La formule serait transposable au travail ; il serait indispensable de voir ce qu'il se fait ailleurs pour mieux faire son travail.

Mais les mêmes accros au voyage oublient de préciser qu'ils passent peut-être plus de temps à collectionner leurs selfies devant tous les spots touristiques du globe qu'à s'intéresser à la culture des pays qu'ils visitent. On assiste parfois au même phénomène avec l'expatriation. Certains secteurs, comme celui de la Tech, sont particulièrement exposés. Il faudrait absolument voyager pour mieux travailler. On projette sur l'expatriation des éléments qui la dépassent. Sans remettre en cause les bienfaits du voyage en général, il n'est pas dit qu'un voyage débouchera obligatoirement sur un poste de cadre dirigeant. D'ailleurs, ce n'est peut-être pas ce que vous cherchez.

On voyage aussi au bout de la rue. On voyage grâce à ses rencontres avec les autres. Les loisirs, la cuisine, le sport, le cinéma… sont autant de portes sur d'autres mondes. C'est aussi là qu'on peut trouver de la joie. Une joie qui vient même lorsque tout qualifierait notre expatriation de « ratée ». La mission à l'étranger a avorté, s'est écourtée ou n'a pas été renouvelée. Le séjour à l'étranger a été une longue suite de péripéties plus ou moins problématiques… Ces complications remettent-elles en cause la réussite de la carrière à l'étranger ? Non. Cette distinction est tout aussi importante à faire pour bien envisager son expérience professionnelle, qu'elle soit à l'étranger ou non. À chacun d'évaluer la réussite de sa carrière. La valeur travail, certes très importante, est à remettre à sa juste place. La vie englobe le travail, et pas l'inverse. En somme, on ne vit pas (uniquement) pour travailler ; le travail ne conditionne pas la vie.