Expatriation en Chine : quel avenir au coeur de la crise ?

Vie pratique
  • Pekin, Chine
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Publié le 2022-02-07 à 10:00 par Asaël Häzaq
Panique à quelques jours de l'ouverture des Jeux Olympiques de Pékin. La « bulle sanitaire » laisse filtrer des foyers épidémiques. Pour les locaux et les expatriés, cela veut dire plus de tests, plus de contrôles, plus de restrictions. Les frontières restent fermées. Et tant pis pour les échanges internationaux, qu'ils soient commerciaux ou dans le cadre éducatif. Les étrangers semblent de plus en plus nombreux à se poser la question du départ. Assiste-t-on à un exode des expatriés ?

Expatriés en Chine : entre inquiétudes et désillusions

« On essaie de se réveiller tous les jours et on se dit que ça va aller. Mais après, à la fin, ça nous affecte énormément. Je n'ai pas encore vu mon enfant, c'est ce qui fait le plus mal », confie Thony à Sébastien Berriot, reporter pour Franceinfo. À la tête d'une entreprise de trading à Wuhan, l'expatrié congolais de 27 ans emploie six salariés. Côté professionnel, les affaires marchent très bien pour Thony. Côté personnel, la pandémie a tout bouleversé. Thony n'a jamais vu son fils, né au Congo en pleine crise sanitaire. La Chine s'enferme dans une politique zéro Covid qui pèse sur le moral des habitants. Pour les expatriés, la question du départ se pose. Mais revenir en Chine sera-t-il possible ? « Oui, mais avec des complications », pourrait répondre Yann. L'homme revient de loin. Il témoigne également auprès de Sébastien Berriot, et raconte son périple pour regagner la Chine. Rapatrié en France au début de la crise sanitaire, le cinquantenaire quitte une activité prospère à Wuhan. Coiffeur, il s'occupe alors d'une clientèle à majorité française. Il lui faudra 2 ans pour retrouver son visa. Arrivé il y a quelques semaines, Yann doit affronter une autre épreuve. Son salon de coiffure n'existe plus ; sa clientèle française aussi. Sans revenus, il doit tout recommencer à zéro. « La clientèle étrangère a diminué carrément de 70%. Maintenant, on va faire la bascule de l'autre côté. Il faut que je me mette en tête que j'ai 70% de clients chinois et 30% de clients étrangers. » Les habitants de Wuhan, locaux comme étrangers, restent particulièrement marqués par la pandémie. Montrés du doigt dans leur propre pays et sur la scène internationale, soumis à des confinements drastiques dès le début de la crise sanitaire… Même si la vie a repris son cours, difficile de tourner complètement la page.

Les étudiants internationaux sont tout aussi impactés par la politique zéro Covid de la Chine. Park Kyung-su, coréenne de 22 ans, était censée étudier à l'université de Zhejiang (province de l'est de la Chine). Rentrée en Corée du Sud pour les vacances d'hiver, en décembre 2019, elle ne se doute pas qu'elle effectuera le reste de sa scolarité en ligne. Park Kyung-su n'aura passé qu'un seul semestre en Chine. Elle revient dans son université en novembre 2021 et témoigne auprès du South China Morning Post (SCMP) : « […] J'ai décidé de retourner à l'université parce qu'un jour, j'ai soudainement eu la sensation de passer à côté de ce qui fait tout l'intérêt de la vie universitaire. […] Quand j'ai parlé à mes amis déjà sur place, à Hangzhou, ils m'ont dit que tout était revenu à la normale, du moins, au sens de « vivre malgré la Covid-19 ». C'est là que j'ai décidé de rentrer. » Park a de la chance. Si la Chine a stoppé les visas étudiants dès le début de la crise sanitaire, elle a signé un accord avec la Corée du Sud en juillet 2020. Accords aux modalités et contours flous, qui permet aux étudiants Coréens de revenir étudier en Chine. Malgré l'accord, le chemin du retour reste parfois compliqué pour eux. « L'université nous a dit que comme beaucoup d'étudiants chinois venant de tout le pays étaient revenus sur le campus, il serait mieux que les étudiants internationaux arrivent plus tard, après qu'elle se soit assurée que tout était réglé », raconte Park Seon-yeong, autre étudiante Sud-coréenne.

Tom, homme d'affaires américain, venait de décrocher le job de ses rêves en Chine. Il déménage avec toute sa famille. Peu de temps après, la crise sanitaire éclate, et Tom rentre aux États-Unis avec sa famille. Les frontières ferment, il se retrouve bloqué aux États-Unis. Tom obtient finalement un permis d'entrer, grâce aux autorités locales de la ville chinoise dans laquelle est implantée son entreprise. Mais sa famille n'obtient aucun permis. Tom les attend en Chine. « Vous pensez « ok, on va juste essayer un mois de plus », mais finalement, tout tombe à l'eau. Je suis déprimé. Ma famille est déprimée. Nous voulons juste nous voir » confie l'homme au média américain NPR. Finalement, Tom déménage en Thaïlande. C'est là qu'il retrouvera sa famille, après plus d'un an de séparation. 

Impacts de la politique « zéro Covid » sur l'expatriation en Chine

Alors qu'en novembre 2021, il célèbre la « Nouvelle ère » du Parti communiste chinois (PCC, fondé en 1921), Xi Jinping martèle et signe : il est l'homme fort du pays et du monde. Il vente sa maîtrise de la pandémie alors qu'ailleurs dans le monde, le variant Delta fait exploser le nombre de contaminations. La hausse du PIB, +8,1%, pourrait presque lui donner raison. Le chiffre rattrape en réalité le fort ralentissement de 2020 (+2,3%), ralentissement qui s'est poursuivi en 2021. La situation sur place est compliquée. La politique « zéro Covid » nuit au commerce international et fait partir les expatriés. Ker Gibbs et Alan Beebe, présidents des Chambres du commerce américaines de Shanghaï et Pékin, tirent la sonnette d'alarme. « La Chine s'est rapidement développée grâce au travail acharné et à l'esprit d'entreprise du peuple chinois, mais l'ouverture au monde a également joué un rôle important », analyse Gibbs dans les colonnes du Financial Times. « Faire entrer et sortir les dirigeants – et leurs familles – de Chine est extrêmement difficile, depuis la pandémie. » D'autres experts parlent d'exode des expatriés, de chute du nombre d'étudiants étrangers, de menace pour les échanges commerciaux actuels et à venir… Selon la Chambre américaine de commerce basée à Shanghaï, 53,4% des entreprises affirment que les restrictions anti-Covid les rendent moins attractifs auprès des talents internationaux. 45,1% ajoutent subir un impact négatif sur leurs activités.

Pour Gloria Luo, la crise sanitaire et les restrictions font fuir la clientèle. Directrice principale des ventes d'un fabricant de pièces automobiles et de moules industriels de Guangdong, elle doit faire face à la hausse du coût des matières premières. « Les prix des matières premières et les coûts logistiques des moules automobiles ont monté en flèche. […] » Une hausse qui « ronge la plupart des bénéfices. » A cela s'ajoute les relations délétères avec les pays occidentaux, États-Unis en tête. « On dirait que les entreprises chinoises de moulage automobile ont soudainement perdu toute leur compétitivité en 2021. Beaucoup de clients européens et américains se tournent désormais vers la Corée du Sud ou l'Europe. » Gloria Luo rapporte au journal SCMP qu'il ne reste plus que 4000 entreprises de moulage automobile, contre 9000 en 2019.

Pour Kibbs, « Il est clair que la population expatriée rétrécit de jour en jour. » Il explique à Stéphane Lagarde, journaliste Radio France International (RFI) : « Il y a deux choses. D'abord le fait que depuis plus de 18 mois, il est très difficile pour les familles expatriées d'obtenir la validation de leur retour en Chine par les autorités chinoises. La Covid a donc un impact majeur sur la vie des expatriés, ici. Mais la décrue a commencé avant l'épidémie en réalité, et la question est de savoir si le gouvernement chinois est réellement intéressé d'avoir des expatriés en Chine. » La Chine peut-elle se passer des expatriés ? À en croire la détermination avec laquelle le pouvoir maintient ses restrictions sanitaires, il est clair que les appels des chefs et représentants d'entreprises étrangères sont poliment ignorés. Pour certains, la Chine prépare la même opération que Singapour : remplacer peu à peu les talents internationaux par des talents chinois. En mars 2021, Joséphine Tao, alors ministre de l'emploi à Singapour, exhortait les entreprises à privilégier la main-d'œuvre locale. Réserver les postes de cadre au peuple chinois serait un nouveau moyen, pour le pouvoir chinois, de maintenir son emprise.

Quel avenir pour les expatriés en Chine ?

Loin de s'épancher sur leurs difficultés, le pouvoir préfère parler des « bons expatriés » bien intégrés au sein de la population chinoise, à l'instar d'Ismail Daurov. Le média d'info Xinhuan met l'étudiant Kazakh à l'honneur. Volontaire pour aider la ville de Xi'an à lutter contre la Covid-19, il affirme : « I am a foreigner, but I am not an outsider. » Étranger, oui, mais bien intégré dans la société. Le président Xi Jinping cite l'étudiant à l'occasion d'un discours prononcé lors du sommet virtuel commémorant le 30e anniversaire des relations diplomatiques entre la Chine et cinq États d'Asie centrale, le 25 janvier dernier. Et le président d'ajouter : « la jeunesse représente l'avenir du pays ». Une jeunesse triée sur le volet ? Daurov, lui est « honoré et très heureux » d'avoir été cité par le président chinois. Pékin semble de plus en plus déterminé à marquer son influence dans toutes les sphères de la société.