Immigration au Royaume-Uni : quel avenir après le Brexit et la crise ?

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Publié le 2021-12-06 à 10:00 par Asaël Häzaq
Le Royaume-Uni revient-il de loin ? Terminée, l'année noire 2020 et ses vagues de départ d'étrangers, dus au Brexit et à la pandémie ? 2021 marque-t-il un retour à la normale ? Oui, assure le gouvernement, chiffres à l'appui.

Avec le nouveau système d'immigration à points, le Royaume-Uni se libère du carcan européen et reprend le contrôle de ses frontières et de sa politique migratoire. Du moins, c'est là le discours officiel, et l'un des arguments piliers de la campagne pro Brexit. Mais le naufrage tragique du 24 novembre dernier au large de Calais rappelle que non, le Royaume-Uni ne joue pas cavalier seul concernant le contrôle de ses frontières. Quel est l'impact réel de la nouvelle politique britannique sur l'immigration ?

Immigration au Royaume-Uni : après la baisse, les jours heureux ?

Tout va bien. Le 24 novembre dernier, l'Institut des Stratégies Urbaines de la Mori Memorial Fondation sort son Global Cities Power Index (GCPI), index mondial classant les villes les plus puissantes. Principaux points étudiés : l'économie, l'accessibilité (transports), la qualité de vie, l'environnement, la culture et les interactions sociales, la R&D. En 2021, Londres décroche la première place pour la 10e année consécutive, devant New York et Tokyo. Paris termine au pied du podium. Mais l'attractivité de la capitale britannique baisse, principalement à cause de la Covid-19, selon GCPI. D'autres études mettent en avant les effets délétères du Brexit. L'Office des Statistiques Nationales [britanniques] (ONS) reconnaît une baisse significative de l'immigration en 2020, imputable au Brexit et à la pandémie. Environ 100 000 personnes auraient quitté le Royaume-Uni rien qu'entre mars et juin 2020.

Mais tout va bien. Le gouvernement britannique recense 61% de visas de travailleurs qualifiés (skilled workers) délivrés en 2021. C'est la plus forte hausse enregistrée, comparativement aux autres visas. Et le gouvernement de conclure au succès de sa nouvelle politique migratoire. Le ministre en charge de l'immigration Kevin Foster analyse : « notre système d'immigration à points encourage les entrepreneurs à se concentrer sur la main-d'œuvre britannique, à miser sur les Britanniques et sur leurs compétences, tout en stimulant la croissance. » Si le ministre reconnaît le besoin de main-d'œuvre étrangère, surtout dans des domaines spécifiques, il estime que, là encore, le visa à points permet une meilleure régulation, pour un recrutement des talents internationaux. « Toutes les personnes voulant contribuer à notre société sont les bienvenues. On se basera sur leurs compétences et leur talent, pas sur leur origine. » Tout va bien, donc. L'économie repart, à peine perturbée par le nouveau variant Omicron.

Système d'immigration à point : promesses et réalité

Ian Wright, président de la Food and Drink Federation (FDF - fédération représentant les intérêts des fabricants britanniques d'aliments et de boisson), est plus mesuré. Les secteurs agricoles et agroalimentaires sont en crise depuis le Brexit. La Covid-19 n'a fait que masquer à quel point le pays dépend de la main-d'œuvre étrangère dans certains domaines. Par « main-d'œuvre qualifiée », il faudrait se garder de ne considérer que les data analyst, financiers, community managers et autres métiers du tertiaire. Les ouvriers qualifiés, transporteurs, livreurs et saisonniers manquent. Devant les rayons vides des supermarchés et les récoltes pourrissant dans les champs faute de main-d'œuvre, Wright alertait déjà en septembre dernier : « Je pense même que cela va empirer. Le temps où le consommateur britannique pouvait trouver à peu près tout ce qu'il souhaitait est terminé. » Le gouvernement conteste fermement.

L'Office for Budget Responsibility (OBR - organisme public de prévision budgétaire) partage les réserves des septiques, et prédit un effet pervers du Brexit sur le long terme. Richard Hughes, président de l'OBR précise : « un impact plus important que la pandémie », et avance une baisse du PIB de 4% sur le long terme, quand la pandémie ne le fera reculer que de 2%. Les nouvelles arrivées de main-d'œuvre étrangère qualifiée masquent une situation tendue sur le long terme. Venir au Royaume-Uni est plus compliqué. Le Brexit a un impact, non seulement sur l'immigration, mais aussi sur l'économie et la vie des Britanniques et des étrangers. Un impact qui s'observera davantage sur le long terme, pour l'OBR.

À court terme, quelques effets se font déjà sentir. La croissance s'essouffle (5,5% au deuxième trimestre, 1,3% au troisième trimestre), de nouveau malmenée par la Covid-19. L'immigration devient de nouveau un sujet sensible, avec des arrivées clandestines trois fois plus nombreuses en 2021. Les pro-Brexit avaient pourtant établi leur campagne sur une reprise du contrôle des frontières, une fois le pays sorti de l'UE. Impossible, avec les accords du Touquet. Signés en 2003, suite à la crise du « camp de Sangatte », ils permettent aux agents britanniques et français de coopérer pour renforcer le contrôle aux frontières. En clair : la France peut contrôler sur le territoire britannique, et vice-versa. Le récent drame qui a coûté la vie à 27 personnes a marqué la population britannique. Est-ce sa nouvelle vision de l'immigration ? L'opposition crie au scandale. Le gouvernement Johnson renvoie la balle vers Paris. Une chose est sûre : là encore, le Brexit complique le respect des accords binationaux. La question migratoire n'a pas fini d'agiter les débats. Le gouvernement, lui, continue de mettre en avant son bilan, pariant sur de nouvelles arrivées de talents étrangers en 2022. Les critiques, elles, rappellent que certains de ces talents étrangers se trouvent aussi dans ces « small boats », embarcations de fortune, coincés entre les tractations des passeurs et le rejet des États.