Brexit : les conséquences s'amplifient pour les expats

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Publié le 2021-10-01 à 07:06 par Asaël Häzaq
Quel avenir pour l'immigration post-Brexit ? Contrairement à l'enthousiasme des premiers temps, l'inquiétude semble de mise. La crise de la Covid-19 est venue complexifier une situation déjà complexe. Pénurie de main-d'œuvre, crise du secteur de la pêche, désillusion des couples mixtes... quel sera le nouveau visage de l'expatriation au Royaume-Uni ?

Pénurie de main-d'œuvre

10 500. C'est le nombre de visas provisoires (3 mois) que délivrera le Royaume-Uni. C'est l'une des conséquences du Brexit. Le gouvernement Johnson entendait ne plus recourir à la main-d'œuvre étrangère pour redonner l'envie aux locaux d'œuvrer dans certains secteurs traditionnellement boudés. Mais alors que l'économie repart, la main-d'œuvre ne suit pas. Sous tension, les secteurs du transport (chauffeurs routiers en tête), de la restauration, de l'agroalimentaire et de la logistique réclament un assouplissement des règles depuis des mois. Leurs représentants sont formels : sans la main-d'œuvre étrangère, impossible de survivre. Boris Johnson reste inflexible, mais finit par céder et modifie sa politique migratoire. « Insuffisant », juge pourtant Ruby McGregor-Smith, présidente de la Chambre de commerce britannique. « Cette annonce équivaut à vouloir éteindre un feu de camp avec un verre d'eau ».

En effet, bien loin des 10 500 visas, le pays a besoin d'environ 100 000 travailleurs supplémentaires rien que dans le secteur routier. Les autres branches sont tout aussi impactées. Les chaînes de restaurations rapides Mc Donald's, KFC et Nando's mettent en garde le gouvernement. Nando's a dû fermer temporairement 12 de ses établissements par manque de poulet. Chez Mc Donald's, plus poisson ni de milk-shake. Idem chez KFC, contraint de supprimer certains produits de ses menus. Noël arrive, et aucun secteur ne veut rater la saison. Pour eux, les travailleurs étrangers font « tourner l'économie du pays ». Le manque de chauffeurs routiers a des impacts jusque dans les pompes à essence, avec des stations-service prises d'assaut. Le gouvernement multipliait pourtant les messages rassurants. L'inquiétude l'emporte, et aggrave la pénurie. Le manque de chauffeurs routiers se fait plus que jamais ressentir. 30% des stations-service britanniques n'ont plus de carburant. Face à la panique générale, le gouvernement infléchit une nouvelle fois sa position : lui qui ne voulait pas recourir à l'armée de dit prêt à faire intervenir « un nombre limité de chauffeurs de camions-citernes militaires ».

D'aucuns pointent le manque d'anticipation de l'administration Johnson. Les visas délivrés ne suffiraient pas et seraient trop courts : à peine trois mois (d'octobre à décembre); pas assez pour attirer les travailleurs étrangers. Installation, logement, salaire... les critiques soulèvent le cynisme relatif du dispositif, qui tend à assimiler le salarié étranger à une main-d'œuvre bon marché, facilement exploitable et malléable. Mais le gouvernement assume et reste sur son idée : ne plus dépendre des salariés immigrés. Les autorités en sont convaincues : le Royaume-Uni n'a rien perdu de son attractivité, au contraire. Après avoir perdu sa place de première place boursière en mars 2021 (au profit d'Amsterdam), La City remonte sur le podium dès le mois de juillet. Preuve, pour Boris Johnson, que Londres reste une place économique forte, même hors de l'UE. D'autres observateurs nuancent, rappelant que 440 entreprises du secteur financier ont quitté La City, soit une perte de plus 1 154 milliards d'euros pour Londres. En 2020, 1,3 million de travailleurs étrangers, soit 8% de la population active, ont quitté le Royaume-Uni. La pandémie a amené une nouvelle vague de départs volontaires ou forcés. Départs forcés, ou arrivées annulées : les étudiants étrangers désertent les facultés britanniques. Brexit oblige, le Royaume-Uni est sorti du programme Erasmus. Étudier au Royaume-Uni coûtera en moyenne plus de 20 000€, contre moitié moins avant le Brexit. Les universités déplorent une baisse de près de 40% du nombre d'étudiants étrangers. Côté expatriés, on regrette cette politique, à revers des valeurs européennes. 

Crise de la pêche

La pêche irlandaise souffre. Privés des côtes britanniques, menacés par les quotas de pêche, les pêcheurs irlandais en appellent à l'UE. Appel entendu par la Commission européenne, qui débloque en urgence 8,6 millions de livres pour soutenir l'industrie piscicole irlandaise. Sur fond de crise de quotas de pêche, le plan européen prévoit des subventions accordées aux pêcheurs irlandais pour qu'ils restent à quai pendant au moins un mois, entre septembre et décembre. Mais le gouvernement irlandais reste amer : « À tort ou à raison, l'affirmation de la Commission est qu'il y a eu surpêche de notre quota et qu'elle veut récupérer une partie de ce montant », déclarait le Premier ministre irlandais en juin dernier. Ministre qui envisageait alors de recourir à la justice pour « réinitialiser les relations avec l'Europe en matière de pêche ». De son côté, Bruxelles concède à resituer « 25% du poisson capturé en valeur dans les eaux britanniques ». Au final, le gouvernement irlandais estime qu'il perdrait jusqu'à 15% de quotas de pêche d'ici à 2026. Les Français, eux, perdraient le double.

« Certaines familles (de pêcheurs) connaissent aujourd'hui de véritables drames humains », s'alarme David Margeritte, vice-président de la région Normandie, en France. L'enjeu est grand : les eaux britanniques et celles de Jersey et Guernesey sont réputées plus riches que les françaises. Mais Brexit oblige, les pécheurs français doivent désormais présenter une licence pour pouvoir continuer de pêcher dans les eaux britanniques. Officiellement, le Royaume-Uni a accordé 12 licences sur les 47 demandes. Les pêcheurs sans licence ont un mois pour quitter la zone britannique. Un drame économique et humain. David Margeritte prévient et demande des mesures urgentes. Les gouvernements Jersey et Guernesey doivent rendre leur décision le 30 septembre : Jersey a d'ores et déjà rejeté 75 demandes sur les 170 dossiers reçus. Guernesey a reçu un nombre quasi similaire (168). Désespérés, certains pêcheurs français seraient prêts à « couper les câbles d'alimentation électrique » des îles anglo-normandes sur la plage d'Armanville en Normandie, ou à attaquer Saint-Hélier, capitale de Jersey. 

Le retour des frais de roaming

Roaming : itinérance. Fait d'utiliser son téléphone avec un autre réseau que celui auquel on a souscrit. Des frais d'itinérance s'appliquent donc à tout abonné utilisant son téléphone dans un autre pays que le sien, frais pouvant vite devenir très élevés. Le 15 juin 2017, fin du roaming, ou plutôt, début du « roam like at home » (l'itinérance comme à la maison). Les pays de l'Union européenne s'accordent pour supprimer les frais d'itinérance. En pratique, tout voyageur en circulation dans l'Espace économique éuropéen (EU, Norvège, Liechtenstein et Islande) peut utiliser son téléphone sans risque d'être surfacturé. C'est le principe du « comme à la maison » : qu'il soit dans son pays ou au sein d'un État de l'EEE, l'abonné jouit des mêmes conditions d'utilisation.

Mais tout change avec le Brexit. Le Royaume-Uni a quitté, et l'Union européenne (1e février 2020), et l'Espace économique européen (1e janvier 2021). Un à un, les trois grands opérateurs britanniques annoncent le retour des frais d'itinérance. Ils assuraient pourtant que « rien ne changerait après le Brexit ». Le premier opérateur à rompre la promesse est EE. En janvier dernier, la filiale de British Telecom affirme que non, rien ne changera. « Les abonnés pourront profiter de leurs vacances en EU en continuant à profiter de l'itinérance incluse ». Changement de ton en juin : 2£ par jour (2,32€). Vodafone lui emboîte le pas : mêmes tarifs, et une explication simple pour le patron Ahmed Essam. Les frais supplémentaires permettront « d'investir », notamment dans « le déploiement ultrarapide de la 5G ». O2 avec une tarification plus complexe. Pour les pays hors EU, les frais grimpent à 5£ par jour. 

C'est aussi le retour des limitations de data. L'opérateur Three réduit sa data de 20 à 12GB par mois avec un surcoût de 3£ pour chaque giga supplémentaire consommé. Vodafone et O2 sont plus généreux : limitation à 25GB par mois avec surcoût de, respectivement, 3,50 et 3,13£ (4,05 et 3,62€) pour chaque giga supplémentaire consommé.

Le gouvernement britannique réagit par une série de mesures censées protéger les consommateurs. Ainsi, il propose de limiter à 45£ par mois les frais de roaming, en attendant que l'abonné choisisse une autre option. Les opérateurs mobiles devront faire preuve de transparence, et informer leurs clients dès que ces derniers atteignent 80% de leur capacité data mensuelle. Ils s'assureront aussi que les consommateurs n'aient pas de « roaming accidentel » s'ils se rendent en Irlande du nord.

Qu'en est-il des États de l'UE ? En février dernier, la Commission européenne propose de « prolonger de 10 ans la suppression des frais de roaming » (la norme actuelle courait jusqu'en 2022). Mais rien sur la politique des autres États membres vis-à-vis du Royaume-Uni. Y aura-t-il réciprocité ? Non, assure l'opérateur français Orange. Il ne facturera pas ses clients pour un roaming au Royaume-Uni. Réaction inverse en Pologne : les opérateurs ont déjà informé leurs clients qu'ils paieraient tout roaming effectué au Royaume-Uni. Voilà un nouveau casse-tête qui s'annonce pour les grands voyageurs.

Calvaire pour les mariages mixtes

C'est une conséquence inattendue du Brexit : s'il est toujours aussi aisé, pour un couple binational, de résider dans un pays de l'EU, l'inverse est moins vrai concernant le Royaume-Uni. Pour les couples binationaux souhaitant vivre au Royaume-Uni le flou administratif engendre de nouveaux drames familiaux. Boris Johnson avait pourtant affirmé que les procédures seraient simples, claires et efficaces. En pratique, les atermoiements administratifs laissent les demandeurs dans une incertitude angoissante, d'autant plus que le gouvernement a fixé une date limite. Les conjoints de citoyens britanniques ont jusqu'au 29 mars 2022 pour demander un permis de résidence provisoire. Problème : ce permis est soumis à l'obtention préalable d'un « titre de séjour familial » délivré par le ministère de l'Intérieur. Le traitement des dossiers accuse un retard important. Les procédures sont confuses, et les refus pas forcément expliqués. Tout cela s'ajoute au contexte critique de pandémie : les conjoints, stressés, inquiets, se sentent abandonnés. 

Olivia et Abdel se confient à The Guardian. Elle est d'origine britannique. Il est d'origine marocaine. Ils vivent en Espagne. Mais lorsqu'Olivia et Abdel tentent de retourner au Royaume-Uni visiter le père d'Olivia, malade, c'est la douche froide. Les époux suivent la procédure et font leur demande sur le site du gouvernement. Ils estiment cependant la procédure peu claire : « On ne sait pas exactement quelles sortes de preuves fournir pour qu'ils acceptent », explique Olivia. La demande d'Abdel est finalement refusée, alors « qu'ils auraient simplement pu demander les documents supplémentaires », regrette le couple. La jeune femme, enceinte, reste bouleversée par le « traitement sévère » de son gouvernement et dénonce son « manque d'empathie ». Des dizaines d'autres couples rapportent les mêmes témoignages. À cela s'ajoute la détresse de nombreuses familles séparées à cause du Brexit. Tous accusent le gouvernement britannique d'avoir sous-estimé les conséquences réelles de la sortie de l'Union européenne. Si certains expatriés optent pour le changement radical (quitter définitivement le Royaume-Uni), d'autres ne peuvent se le permettre : travail, famille... Leur vie est sur l'île, et l'inertie relative des autorités les alarmes. L'échéance, elle, n'a pas bougé : 29 mars 2022. Difficile d'envisager un avenir serein dans ces confusions. C'est un nouveau camouflet pour le gouvernement Johnson.

Un an après l'entrée en vigueur du Brexit, les dossiers à régler restent nombreux et complexes. Tous les secteurs de la vie sont impactés par la mesure, inédite dans l'histoire européenne. À l'heure où les pressions économiques menacent le marché britannique – surtout, ne pas rater l'échéance des fêtes de fin d'année –  tous les regards se tournent vers l'administration Johnson. 2022 s'annonce d'ores et déjà être une année décisive, tant pour les expatriés que pour les citoyens britanniques.