
De ses premiers croquis d'enfant à ses collaborations avec des institutions comme l'Ambassade de France ou les Alliances françaises, Clémentine Latron a fait du dessin un langage universel pour raconter la vie à l'étranger. Française installée aux Pays-Bas, elle croque avec finesse et autodérision les décalages culturels, les quiproquos linguistiques et les petites nostalgies qui accompagnent l'expatriation. Son trait léger cache un regard aiguisé sur les différences de culture et sur ce qui, malgré la distance, continue à nous relier à notre pays d'origine. Dans cet entretien, elle revient sur ses inspirations, son parcours et cette capacité d'adaptation qui fait de l'expatriation une source inépuisable de créativité.
Vous avez beaucoup déménagé pendant votre enfance et vos études (entre métropole, outre-mer, Erasmus, etc.). Quel déménagement a été le plus formateur pour vous, et pourquoi ?
Je dirais qu'il y en a eu deux : mon premier séjour outre-mer en famille quand j'avais une douzaine d'années (à Saint-Martin, aux Antilles) et mon tout premier séjour à l'étranger, lors d'un semestre Erasmus au Pays de Galles. Dans les deux cas, ce fut la découverte d'un environnement complètement différent (dans le cas de Saint-Martin, on arrivait de Beauvais, donc gros changement !), d'une nouvelle culture. Le Pays de Galles en particulier a marqué le début de mes dessins sur les différences interculturelles.
Qu'est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans l'illustration et quelle a été votre source d'inspiration première ?
J'ai toujours dessiné, depuis toute petite. J'étais une grande lectrice, donc je pense que c'est un peu lié. J'ai récemment retrouvé mon tout premier « livre », écrit et illustré à 5 ans, 1ʳᵉ et 4ᵉ de couverture incluses ! Mon inspiration première a toujours été la vie quotidienne, les mésaventures qui m'arrivaient (je suis très maladroite) et que je traduisais en dessins rigolos. Quand je suis allée en prépa, ces illustrations étaient un peu un exutoire. Et quand je suis partie à l'étranger, c'est devenu le moyen de raconter mes expériences du quotidien.
Quand vous créez une illustration sur l'expatriation, où puisez-vous vos idées ?
De la vie de tous les jours ! On va dire que 90 % de mes illustrations sur ce thème viennent de mon expérience personnelle, de choses que j'ai vécues ou observées, et le reste de discussions que j'ai pu avoir, de choses qu'on m'a racontées.
Quelles différences culturelles (petites manies, coutumes, langue) vous surprennent encore, même après des années à l'étranger ?
Même après dix ans dans le même pays, je continue à découvrir des choses que je note pour potentiellement en faire un dessin : des expressions rigolotes, des coutumes que je ne connaissais pas encore, etc. Mais on ne peut pas dire que je sois encore souvent « surprise », puisque ce qui m'étonnait en arrivant fait maintenant partie de mon quotidien.

Vous observez souvent le rapport au quotidien (nourriture, habitudes françaises). Selon vous, quel élément de la culture française génère le plus de nostalgie chez les expatriés, et pourquoi ?
C'est clairement la nourriture ! J'ai énormément dessiné sur le sujet, d'une part parce que l'accueil réservé à chaque dessin en lien de près ou de loin avec la nourriture reçoit un accueil formidable, mais aussi parce que c'est une part importante de la vie de toute personne vivant dans un pays qui n'est pas le sien. Et puis il y a de quoi faire, entre les camemberts hors de prix, le bonheur de trouver un aliment parfaitement lambda (style des Cracottes) à des kilomètres de chez soi, les aliments plus ou moins bizarres avec lesquels on repart quand on est rentré quelque temps en France...
Vous appréciez de travailler avec des institutions comme les Alliances françaises ou l'Ambassade de France. Quel projet parmi vos collaborations institutionnelles vous a le plus marqué ou donné le plus de liberté créative ?
Dans le cas de ces deux institutions, ce qui me plaît c'est de faire justement avec mes dessins un pont entre la culture française et celle du pays de l'ambassade ou de l'alliance en question. Je suis traductrice de formation, donc tout ce qui touche à la langue m'intéresse. Par exemple, avec le réseau des Alliances françaises aux Pays-Bas, j'ai fait une série de dessins humoristiques sur les mots français utilisés en néerlandais, mais pas dans le même sens. Par exemple, « souterrain », qui désigne là-bas un demi-sous-sol, « infusion », qui désigne une perfusion, « conducteur », un contrôleur, « maillot », des collants en laine, etc. J'ai aussi beaucoup aimé travailler avec l'ambassade de France aux Pays-Bas sur une série de planches autour des JO de Paris 2024. J'avais des sujets à traiter, et plus ou moins carte blanche sur la manière de le faire !
Vous vivez aux Pays-Bas maintenant. En quoi cette installation (et ce pays) influence votre style, vos thèmes ou votre regard sur la France ?
Je ne sais pas si le fait de vivre aux Pays-Bas a influencé mon style, mais c'est en tout cas mon installation à Amsterdam qui a été le déclic de ma carrière d'illustratrice : c'est en arrivant ici que j'ai commencé à illustrer ma vie de Française à l'étranger. C'est un peu devenu mon sujet phare ! Et puis finalement, quand on vit à l'étranger, on prend un peu de recul sur sa propre culture. À force, je me suis rendu compte de tout un tas de petites choses très françaises, dont j'ai d'ailleurs fini par faire une série de dessins puis un livre.

Si vous deviez résumer en un mot ce que l'expatriation vous a appris sur vous-même, quel serait-il, et pourquoi ?
L'adaptation ! Parce que pour partir vivre ailleurs il faut savoir s'adapter à une nouvelle culture, une nouvelle langue, une nouvelle façon de vivre… Et c'est ce qui fait d'ailleurs tout l'attrait de l'expérience !
Vous construisez des ponts entre les cultures grâce à votre art. Y a-t-il une culture étrangère dont vous avez particulièrement envie de croquer le quotidien ?
Pas une en particulier, mais je dois dire que j'ai l'impression d'avoir un peu fait le tour de la culture néerlandaise. Je m'en rends compte dès que je pars dans un autre pays : j'ai alors 50 idées de dessins à la seconde ! J'adorerais pouvoir aller vivre quelque temps ici et là pour croquer d'autres cultures…
Quels sont vos projets pour la suite ?
Ils sont très variés ! Rien qu'en ce moment, j'illustre un album de comptines, une affiche de pièce de théâtre, deux livres… En plus de mes collaborations régulières avec, par exemple, la Cité internationale de la langue française, Courrier international... J'ai de quoi faire !



















