Froid entre les États-Unis et la France - quel impact sur l'immigration ?

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Publié le 2021-09-29 à 11:00 par Asaël Häzaq
Depuis le 15 septembre, rien ne va plus entre la France et les États-Unis. Humiliation pour les uns, jeu des affaires pour les autres, les jours passent, la tension ne faiblit pas. Quand Antony Blinke, secrétaire d'État de Joe Biden, et Jean-Yves le Drian, ministre français des Affaires étrangères, profitent de l'Assemblée générale des Nations unies à New York pour s'entretenir, le ton est donné : la réconciliation « prendra du temps ». Le lendemain, ce sont les présidents Biden et Macron qui échangent autour de l'affaire. La diplomatie n'empêche pas les deux camps de camper sur leurs positions. Quelles conséquences sur les relations entre les deux pays ? Peut-on craindre un impact sur l'expatriation ?

Un conflit diplomatique sans précédent ?

À l'origine du froid : un accord commercial entre l'Australie et la société française Naval Group signé en 2016, brutalement annulé par l'Australie. Mercredi 15 septembre, la France apprend que l'Australie annule l'achat de 12 sous-marins français, au profit de 12 sous-marins américains. Pour la France, c'est une perte d'au moins 56 milliards d'euros. Paris parle de « coup dans le dos » et de « trahison ». Washington admet tout au plus une maladresse. Londres sourit. Plus qu'une simple friction, cette perte de contrat révèle une alliance militaire tissée depuis des mois entre l'Australie, les États-Unis, et le Royaume-Uni. Appelé « AUKUS », ce pacte repose sur une étroite coopération et un partage d'informations technologiques sur le plan de la défense. Objectif : contrer la Chine dans l'espace indopacifique. C'est oublier que l'UE, et la France, ont aussi des intérêts sur cette zone. D'où la colère de Paris qui s'estime exclue, trahie, humiliée, et qui reste surprise par l'attitude de Joe Biden. « La France demeure un partenaire clef dans la zone indopacifique », rassure pourtant le président américain, dès le 15 septembre. Des propos qui ne calment pas la colère des Français. Le 18 septembre, la France rappelle ses ambassadeurs de Canberra et de Washington. L'ambassadeur de Washington devrait retourner aux États-Unis cette semaine, signe d'une volonté d'apaisement entre les deux pays. Mais aucune annonce n'a encore été faite concernant l'ambassadeur de Canberra.

Pour les observateurs, cette tension diplomatique serait la plus grave depuis la crise de l'Irak de 2003. Vu de Paris, l'humiliation est double : d'un côté, et, contrairement à ce qu'elle pensait, la France n'est pas perçue comme un puissant allié international. De l'autre, le Royaume-Uni parvient à prendre part à l'alliance inédite contre la Chine. L'UE pariait pourtant sur une fragilisation du Royaume-Uni suite au Brexit. Le pacte AUKUS révèle des Britanniques assez solides pour nouer une alliance internationale. Mais après la joie des premiers jours, Boris Johnson multiplie les gestes vers Paris. Le 24 septembre – deux jours après les échanges Macron/Biden – Johnson s'entretient par téléphone avec le président français. Le ton est définitivement à l'apaisement : Paris et Londres « continueront à travailler en étroite collaboration ». Du côté des États-Unis, on cherche aussi à calmer les frictions. D'aucuns estiment cependant l'attitude de l'administration Biden cavalière. Les enjeux d'une telle coopération ne sont pas seulement économiques, mais aussi militaires et diplomatiques. À l'heure où le terrorisme menace le monde, les États se doivent de coopérer en toute transparence. C'est justement ce qui est reproché à l'Australie. L'État se défend, estimant avoir prévenu la France depuis des mois, et fait part de ses incertitudes. Faux, maintient Jean-Pierre Thébault, ambassadeur de Canberra. 

Pour la France, le revers n'est pas seulement diplomatique. Le pays s'engage dans des mois de campagne électorale intensifs, sur fond de Covid-19. Les présidentielles de 2022 décideront du sort d'Emmanuel Macron. La même année, la France présidera l'UE. Pour le président français, il s'agit donc d'incarner la posture du Chef d'État fort, tant sur le plan national qu'international. La crise avec les États-Unis a-t-elle réveillé les ambitions européennes ? Mercredi dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a rappelé la nécessité et l'urgence de se doter d'une véritable force de défense européenne. Une position largement soutenue par Emmanuel Macron. 

Quelles conséquences sur l'immigration ? 

Simple coïncidence, ou mesure d'apaisement ? Le 20 septembre dernier, la Maison-Blanche enlève le « Travel ban » pour les Européens. Jusqu'alors, les frontières américaines restaient fermées aux ressortissants européens, alors que l'inverse n'était pas vrai. Mais après plus d'un an de « Travel ban », les Européens pourront de nouveau se rendre aux États-Unis (à partir de novembre).

Le refroidissement des relations franco-américaines influera-t-il sur l'immigration ? Quel regard portent les expatriés sur cette situation ? La crise sanitaire et ses conséquences sont encore palpables : familles séparées, deuils, mariages, naissances, difficultés financières, perte d'emploi, d'entreprise... Avec la fermeture des frontières, les expatriés ont dû vivre tous ces événements – qu'ils soient bons ou mauvais – séparés les uns des autres. Si les événements joyeux restent plus faciles à appréhender, les drames familiaux et professionnels sont autant de nouvelles crises à gérer. « l'inquiétude exprimée par les Français [des États-Unis] n'est pas liée à la situation diplomatique actuelle, elle va au-delà, car elle est le fruit de ces derniers 18 mois de crise », résume Roland Lescure, député des Français d'Amérique du Nord. Roland Lescure qui entendra Naval Group mardi prochain concernant le contrat annulé des sous-marins.

Même raisonnement côté américain : le quotidien a vite repris ses droits. Les expatriés s'intéressent davantage sur l'ouverture effective des frontières, à la gestion de la crise sanitaire, à la reprise économique. Les enjeux du partenariat avortés sont pourtant d'une importance capitale (coopération internationale, lutte contre le terrorisme...), mais restent cependant peu perceptibles par les expatriés. Ce qui les préoccupe, c'est leur quotidien : emploi, vaccins, voyages, éducation... est-il possible de reprendre une vie ordinaire ? 

Les tensions entre la France et les États-Unis restent pour l'instant circonscrites à la dimension diplomatique. L'Australie invoque des frictions connues des parties depuis plusieurs mois ; la France maintient avoir été trahie. Pour la société Naval Group, il s'agit de préserver ses relations avec les autres pays (près de 40% de son chiffre d'affaires est réalisé à l'international). Les plus pragmatiques misent sur un réchauffement progressif des relations, les États ayant, plus que jamais, besoin de nouer des partenariats solides. Les expatriés, eux, espèrent que la réouverture des frontières américaines entraînera d'autres assouplissements au niveau international (le « Travel ban » est toujours en cours en Australie). À défaut de retrouver le monde d'avant Covid-19, peut-être verra-t-on la construction d'un monde post-Covid-19.