La Suisse en faveur du mariage pour tous

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Publié le 2021-10-11 à 10:00 par Asaël Häzaq
La Suisse est le 29e pays au monde à avoir légalisé le mariage pour toutes et tous. Avant, il y a eu le Costa Rica, les Pays-Bas, la France, la Belgique, l'Espagne, la Norvège, la Suède, le Portugal, le Canada, le Danemark, l'Australie, le Luxembourg, l'Irlande, Taïwan, Malte, l'Allemagne, l'Autriche, l'Afrique du Sud, l'Équateur... La Suisse rejoint les défenseurs du « oui » et légalise le mariage pour toutes et tous. Ce « oui » massif sonne comme une victoire pour les militants LGBTQIA+, et comme un appel pour tous les autres États du monde refusant de dépénaliser le mariage. Si beaucoup de pays d'Europe ont légalisé le mariage pour les couples de même sexe, il n'en est pas de même dans le reste du monde. La Suisse, elle, fait son « coming out ». Les premiers mariages devraient avoir lieu dès juillet 2022.

Un jour historique

26 septembre 2021 : le jour historique pour la communauté LGBTQIA+. La Suisse adopte à 64,1% le mariage pour toutes et tous. Le vote est encore plus franc chez les Suisses de l'étranger : 72%. Les couples de même sexe ont désormais les mêmes droits que les couples hétérosexuels. Avec le mariage, la législation suisse légaliste la Procréation Médicale Assistée (PMA), l'adoption, et, pour les couples de femmes, la possibilité de recourir au don de sperme.

La députée socialiste et membre de l'Organisation suisse des lesbiennes Tamara Funiciello salue ce pas historique : « On se bat depuis 1990 pour cette égalité des droits. On n'y croyait pas tout à fait. Maintenant on voit que c'est un combat qui en valait la peine » explique-t-elle à Swiss Info. Même émotion pour Olga Baranova, porte-parole du comité du oui auprès de l'AFP, et Deborah Heanni, membre du collectif Libero. « Aujourd'hui, c'est le reflet du changement de mentalité qu'il y a eu ces 20 dernières années, c'est vraiment le reflet de cette très large et très importante acceptation des personnes LGBT dans la société » se réjouit Olga Baranova.

Fervent militant pour le « oui », le conseiller vert Nicolas Walder tweete : « 64%. Plébiscite dans tous les cantons. C'est fantastique ! Merci à toutes les associations LGBTQIA + pour ces décennies de lutte ». Le conseiller a annoncé vouloir se marier avec son compagnon Jorge Cadena, réalisateur colombien. Le couple a fait le choix de médiatiser sa relation pour mieux soutenir la cause homosexuelle. Pour eux, il ne s'agit plus d'être simplement toléré par la société, mais d'exister, au même titre que les autres. A l'heure où le mariage n'a plus la côte chez les hétérosexuels, il reste un marqueur important pour les couples homosexuels. Interrogé, avec son conjoint par le journal l'illustré, Nicolas Walder conclut : « avoir le droit de se marier participera à la normalisation de l'homosexualité, une différence qui ne devrait plus être marquante, comme être blond ou gaucher. Il ne s'agit pas d'imiter l'hétéronormativité, mais d'une étape importante pour être reconnus citoyens comme les autres ». Même engagement pour Josefa et Eleonore, résidant à Genève. Devant les autocontraintes quotidiennes que s'imposent les homosexuels, elles se tiennent la main en public. Militantes du quotidien, elles voient le mariage pour toutes et tous comme une nouvelle étape pour la normalisation des couples homosexuels. « Le monde sera vraiment libre quand il n'y aura plus besoin de Gay Pride, ou plutôt que ce sera la Pride tous les jours [...] Et quand il n'y aura plus de patriarcat ! », concluent les jeunes femmes au micro de l'Illustré.

Même joie chez la communauté expatriée. Colombien vivant en Suisse, Ger a dû aller en Espagne pour se marier avec son conjoint suisse en 2011. Au micro de Swiss info, il salue lui aussi ce jour historique, qui tend vers plus d'égalité entre toutes et tous. Désormais, plus besoin d'aller à l'étranger pour se marier. Un étranger en couple avec un citoyen suisse du même sexe pourra également accéder à la naturalisation : la procédure sera désormais facilitée, et moins coûteuse. Ger souligne aussi, non sans joie, son droit à préserver sa vie priée : « quand je postulerai pour un emploi, je ne devrai plus dire que je suis dans un partenariat enregistré, qui automatiquement indique aux employeurs mon orientation sexuelle ». C'est l'une des grandes limites du partenariat : réservé exclusivement aux couples de même sexe, il est vécu, selon certains, comme une discrimination supplémentaire. L'orientation d'un hétérosexuel ne figurant sur aucun document, il semblait légitime, pour Ger, que les homosexuels et lesbiennes jouissent du même droit. Des couples français vivant en Suisse confirment : difficile de vivre au quotidien avec ce « partenariat », qui, certes, reconnaissait leur union, mais qui, en même temps, les pointait du doigt. Mariés en France, ces couples n'étaient pas reconnus comme tel en Suisse. Désormais, ils n'ont qu'une hâte : que la loi soit promulguée, afin qu'ils puissent faire reconnaître leur mariage en Suisse. Tous promettent des célébrations peut-être plus grandioses que celles du mariage. « Ce sera un second mariage ! », s'exclame un couple interrogé par France 3.

L'heure n'est bien sûr pas à la fête pour le camp du non. Les opposants à la loi ont massivement communiqué sur la protection de l'enfant, quitte à choquer la population : « le mariage pour tous tue le père », affirment les partisans du « non ». Monika Rüegger, députée fédérale du parti populiste UDC (premier parti de Suisse) est catégorique. C'est un « jour noir » pour les enfants. Réaction plus mesurée pour le député fédéral du parti du Centre Benjamin Roduit. S'il soutient le mariage pour toutes et tous, il reste prudent concernant le don de sperme au couple de lesbiennes. Côté électeurs, des voix s'alarment également quant à l'avenir des enfants. D'autres craignent une porte ouverte vers la légalisation de la gestation pour autrui. Les défenseurs du oui préfèrent saluer le pas historique de leur pays, qui rattrape son retard sur les autres États d'Europe.

Des siècles de lutte

Bien avant la Première Guerre mondiale, juristes et psychiatres suisses s'accordent pour qualifier l'homosexualité de maladie mentale, sur fond de tension avec l'Allemagne. Les idées allemandes influencent les juridictions helvétiques. Les psychiatres suisses, eux, plaident pour la dépénalisation partielle de l'homosexualité, arguant leur supposée maladie mentale, ainsi qu'un souci pour « l'hygiène sociale et morale ». Les intéressés sont absents du débat. Pour les autorités suisses, le glissement du domaine juridique au domaine médical contient les homosexuels dans une sphère bien délimitée, et invisible aux yeux de la société. Le Code pénal de 1942 entérine la mesure : les actes sexuels entre adultes du même sexe, âgés de plus de vingt ans sont dépénalisés.

La communauté homosexuelle est pourtant active. Près de 10 ans avant le Code pénal, Laura Thoma, Anna Vock et une vingtaine de femmes fondent le Club féminin Amicitia (1931), première association homosexuelle suisse. Laura Thomas et Anna Vock se font connaître dès les années 20 comme rédactrices de billets destinées à la communauté homosexuelle. La même année, elles fondent Die Garçonne, le premier périodique lesbien. Il deviendra le premier journal homosexuel de Suisse dès 1932 sous le nom La bannière de l'amitié. Le collectif s'ouvre aux hommes en 1934, et collabore avec l'acteur Karl Meier (connu sous le pseudonyme de Rolf). Durant la période nazie, le journal homosexuel (rebaptisé Der Kreis/le Cerle) par Karl Meier, devenu président de la revue) se diffuse discrètement à l'internationale. La communauté homosexuelle se retranche à Zurich. Vu de l'extérieur, la Suisse devient un pays de liberté et de libération homosexuelle. Les concernés continuent pourtant d'agir en quasi-clandestinité. Opprimé par la guerre, le mouvement homosexuel reste confiné.

Ce n'est qu'au milieu des années 70 que de nouveaux mouvements voient le jour, avec, notamment, la création du Groupe Homosexuel de Genève et du Groupe Homosexuel de Lausanne. Réunis avec les groupes d'autres villes, ils fondent la Coordination Homosexuelle Suisse. En 1978, la communauté homosexuelle organise le premier « Christopher Street Day » (journée de manifestation LGBT) - il deviendra la « marche des fiertés » (Gay Pride). Un an plus tard, Berne accueille la première « Journée fédérale de libération homosexuelle ».  Les lesbiennes et les gays défilent pour la reconnaissance des couples de même sexe, la lutte contre l'homophobie, la suppression des fichiers de police recensant les homosexuels. Les années 80-90 sont marquées par la création de diverses organisations et espaces de dialogues. La communauté homosexuelle entend se forger une place dans le débat public. Au milieu des années 90, de nouvelles voix militent pour la reconnaissance des couples de même sexe. Réponse partiellement entendue en 2004 : la Suisse vote le « partenariat » (entrée en vigueur en 2007), qui reconnaît officiellement les couples homosexuels, mais leur interdit la Procréation Médicalement Assistée (PMA) et l'adoption. Une grande avancée juridique, donc, mais une discrimination toujours présente, les couples de même sexe n'ayant pas l'ensemble des droits des couples hétérosexuels.

2013 : le Parti Vert Libéral (PVL) relance le débat autour du mariage pour toutes et tous. Après des années d'atermoiements, le Parlement consent, en décembre 2020 une modification du Code civil. Opposition des milieux conservateurs chrétiens, qui recourt au référendum. 26 septembre 2021 : le mariage pour toutes et tous est voté à 64,1%. Le plébiscite est encore plus franc concernant les Suisses de l'étranger : 72% ont dit « oui » au mariage pour toutes et tous. La Suisse ouvre un nouveau chapitre de son histoire.