Comment être respectueux de la culture et des gens de son pays d'accueil

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Publié le 2021-09-13 à 10:00 par Asaël Häzaq
Valeur universelle, le respect va de soi : respect des individus, du bien public, des lois. Si la norme peut être entendue dans son propre pays, elle semble se diluer dans le pays d'accueil. L'expatrié s'approprie parfois un statut et une place qui ne sont pas les siens. Il se fait observateur d'un peuple, d'une culture, d'une nation - un observateur suspicieux, qui tombe dans le travers de la comparaison systématique. Comment respecter la culture de son pays d'accueil, et éviter l'écueil du sentiment de supériorité ?

Individualisme et collectivisme

Qu'est-ce que la culture ? Lors de sa conférence mondiale sur les politiques culturelles, l'Unesco la définit comme « l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances [et] donne à l'homme la capacité de réflexion sur lui-même. C'est elle qui fait de nous des êtres spécifiquement humains, rationnels, critiques et éthiquement engagés. C'est par elle que nous discernons des valeurs et effectuons des choix. C'est par elle que l'homme s'exprime, prend conscience de lui-même, se reconnaît comme un projet inachevé, remet en question ses propres réalisations, recherche inlassablement de nouvelles significations et crée des œuvres qui le transcendent ». (déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, 1982)

« Projet inachevé », l'homme est en perpétuelle construction. Ses voyages l'invitent à l'humilité, si tant est qu'il admette sa position réelle. Car avant même de parler de respect de l'autre, il convient d'examiner son propre rapport à soi. Évoluer dans un pays dit individualisme ou dans un État favorisant la culture de groupe influe grandement sur nos propres perceptions. L'individualisme est une « doctrine qui fait de l'individu le fondement de la société et des normes morales » (Larousse). Le collectivisme, ou culture de groupe, perçoit plutôt l'individu comme le maillon d'une chaîne ; dépendant des autres, il participe et garantit la stabilité du corps entier. Les pays occidentaux sont réputés pour leur culture individualiste. Les pays orientaux et africains embrassent plutôt une culture collectiviste.

Liberté et respect de l'autre

Chacune de ces notions sous-entend des normes et valeurs, qui induisent des comportements appréciables dans certaines conditions, mais pas dans d'autres. L'individualisme amène l'autonomie, l'indépendance, l'initiative personnelle : des atouts recherchés, notamment dans les milieux professionnels. Mais l'individualisme peut aussi flirter avec l'égoïsme, le sentiment de supériorité, et l'autocentrisme. Une prise d'initiative saluée en France ne le sera peut-être pas au Japon, qui n'y verra que de l'arrogance. Jouer collectif est perçu positivement dans le milieu professionnel, car implique une capacité d'écoute, d'observation, d'empathie, de remise en question. Mais il peut aussi laisser craindre une passivité qui pourra jouer en la défaveur de l'expatrié. La pression du groupe peut aussi nuire à l'épanouissement personnel. Ceci vaut autant pour le monde de l'entreprise que pour les autres milieux sociaux.

Étranger dans son nouveau pays, l'expatrié se trouve dans une position parfois délicate, avec le sentiment, justifié ou non, de voir sa liberté étouffée. Valeur fondamentale, la liberté d'expression est bridée dans certains pays. Loin d'embrasser toutes les valeurs de son pays d'accueil, une observation attentive peut permettre à l'expatrié d'adapter au mieux son comportement à sa nouvelle culture. Critiquer ouvertement le régime chinois paraît cavalier. L'on risque bien moins à critiquer la famille royale d'Angleterre, quoique l'on froissera les locaux avec lesquels on souhaite sympathiser. Plus largement, arriver en terre étrangère en revendiquant son statut d'expatrié tel un passe-droit permettant la critique systématique sera rarement vu comme un signe d'ouverture et de respect. Parfois galvaudée, l'idée de liberté glisse vers « ma liberté d'abord et partout », prétexte pour adopter des comportements contestables. Ainsi se forgent des « réputations » bien ancrées dans l'inconscient collectif des locaux. Romantiques et raffinés, les Français sont prétendus être de grands fraudeurs. Le cliché est démenti par ceux bien intégrés dans leur pays d'accueil. Las, d'autres expatriés, usant du droit illusoire d'être étranger, fraudent régulièrement les transports. Impensable au Royaume-Uni, au Canada, ou en Corée du Sud. Impensable aussi en France, où la fraude est un délit. La pratique est cependant si répandue que certains n'y voient aucun mal, et reproduisent le comportement à l'étranger. D'autres traversent hors des passages piétons, ou au feu rouge. Pratique habituelle en France, extravagante au Japon. À Tokyo, des policiers sont placés devant certaines artères, prêts à siffler tout piéton qui osera traverser au feu rouge.

Le comportement individuel fait passer sa perception et son intérêt avant ceux des autres. Il est cultivé par le trompeur : « Je suis expatrié. J'ai le droit. Les gens me comprendront ». Mais en s'expatriant, l'étranger apprend justement à comprendre l'autre, pour mieux se remettre en question. Il apprend à désapprendre, pour mieux embrasser sa nouvelle culture.

Désapprendre et réapprendre

Pourquoi s'expatrier ? Si l'espoir de gagner plus est le seul moteur de la décision, le bonheur sera peut-être dans la nouvelle entreprise - quoique l'expatrié devra s'adapter à sa nouvelle culture d'entreprise - mais la vie ne se limite pas au travail. Visualiser la seule sphère professionnelle fait craindre de s'enfermer dans un cercle d'expatriés. On ne parle pas la langue du pays, on y vit juste, sans pour autant être intégré. La question mérite davantage de réflexion si l'expatriation se fait en couple, en famille. Les personnes non impliquées dans le projet professionnel voient d'emblée les nouveaux défis qu'elles devront remplir : marché du travail local pour retrouver un emploi, intégration dans la nouvelle école, activités du quotidien...

Loin d'être figée, la réponse à cette question pourra se réactualiser au fur et à mesure de l'apprentissage. Car respecter la culture et les locaux nécessite de désapprendre certaines des normes acquises dans le pays d'origine, pour mieux apprendre celle du pays d'accueil. Il faut oublier d'où l'on vient pour se redécouvrir dans son nouveau pays. Un pseudo-oubli qui n'enlève pas ses origines, mais qui évite l'écueil du passe-droit « Je suis expatrié », « je suis de telle ou telle nationalité ». L'expatrié n'est pas plus important qu'un autre local. L'expatrié, quel que soit son statut social, n'est rien de moins qu'un individu parmi d'autres.

Désapprendre et réapprendre, c'est découvrir de nouvelles traditions, de nouvelles pratiques culturelles. C'est parler une autre langue. Vecteur de communication, la langue véhicule de nombreux codes sociaux. Certains expatriés disent ne pas souffrir de leur non-maîtrise la langue locale. Parler le même langage permet néanmoins d'éviter l'entre-soi, de mieux appréhender sa nouvelle culture, et d'en embrasser les codes. Comme un enfant apprend par mimétisme, l'expatrié apprend. La frustration qu'il ressent au début est salutaire, car poussant à l'humilité et au respect. L'expatrié aura besoin des locaux, surtout durant les premiers mois de son installation. Locaux qui seront d'autant plus enclins à l'aider qu'ils verront les efforts faits pour s'intégrer. Il n'est, bien entendu, pas interdit aux expatriés de sortir entre eux, ni même de cultiver un réseau, pourvu que cela n'empêche pas leur ouverture à l'autre. Sinon, il convient de se redemander quel est le but de l'expatriation.

L'expatrié peut craindre d'être continuellement observé par les autres, surtout si sa couleur de peau le trahit. L'expatrié lui-même observe ses nouveaux voisins. Cette observation mutuelle, respectueuse et sans jugement, permet à chacun de se repositionner. Les locaux sont les premiers à différencier les expatriés intégrés des autres. Les premiers se reconnaissent à leur démarche, leurs gestes, leur capacité à communiquer, très proche, voire similaire à ceux des locaux. Il peut néanmoins arriver que l'étranger soit toujours perçu comme étranger, même après de nombreuses années passées dans son nouveau pays. La frustration peut être grande. Elle invite paradoxalement à plus d'humilité encore.

Quand les dérives du volontourisme touchent l'expatriation

Pointé du doigt depuis quelques années, le « volontourisme » ou « tourisme humanitaire » a aussi son pendant côté expatriation. Le Service Volontaire International (SVI) alerte contre cette pratique, qu'il qualifie de « voyeurisme » et de « nouvelle forme de racisme ». Popularisé depuis l'utilisation massive des réseaux sociaux, ce tourisme entend conjuguer voyage et action solidaire. Les dérives sont nombreuses, devant une offre de missions humanitaires trop faible pour répondre à la demande des aspirants au voyage. En 2017, 40 % des Français de moins de 35 ans disent vouloir s'engager (source : France solidaire). En pratique : une mise en danger de la population locale par des touristes incompétents, dont les objectifs sont parfois contestables (course à la popularité sur les réseaux sociaux etc.). Les vrais humanitaires contestent la pratique, qui dévalorise leur métier et nuit également aux touristes, qui paient souvent de lourdes sommes pour un pseudo voyage missionnaire.

Les mêmes écueils touchent une certaine catégorie d'expatriés. On les retrouve dans les pays dits en voie de développement, où, cultivant un entre-soi massif, ils dénoncent la pauvreté dudit pays tout en développant un sentiment de supériorité associé à des comparaisons systématiques entre leur pays d'origine et le pays d'accueil. À grand renfort de photos les présentant au milieu des locaux, ils entendent booster leur popularité sur les réseaux sociaux, affichant une philanthropie de façade. L'attitude rappelle celle de certains volontouristes (les autres, partis avec de bonnes intentions, sont aussi victimes du système). Difficile, dans ces conditions, de respecter la culture de l'autre : ces expatriés pensent avoir tout à enseigner, et n'avoir rien à apprendre. Et lorsqu'ils vivent dans un pays dit riche, l'attitude varie peu. S'ils ne peuvent souffrir la comparaison concernant l'économie, ils traquent toute prétendue « anomalie » du pays d'accueil. Les expatriés bien intégrés se désolidarisent de ces étrangers, craignant que les locaux ne fassent l'amalgame. Le respect et l'humilité permettent justement à chacun de se définir comme un « projet inachevé ». L'autre aura toujours quelque chose à nous apprendre. Encore une fois se pose la question de l'expatriation : pourquoi partir ?

La diversité culturelle est une chance, l'expatriation, un bon moyen de saisir l'infiniment grand (les autres) et l'infiniment petit (l'expatrié). Ainsi placé à sa juste échelle, l'étranger pourra d'autant mieux apprécier sa nouvelle vie, et tous les changements qu'elle provoque, en lui-même, et dans son quotidien.