Interview : Un conseiller en mobilité internationale nous donne son avis sur le futur de l’expatriation post COVID-19

Vie pratique
  • Bruno Antoine
Publié le 2020-09-01 à 15:16 par Anne-Lise Mty
Bruno Antoine, conseiller en mobilité internationale, parle à Expat.com des changements dans les projets d'expatriation occasionnés par la crise de COVID-19.

En tant que conseiller au sein de l'équipe Mobilité Internationale de Pôle Emploi, que pensez-vous de l'évolution en termes de projets d'expatriation depuis le début de la crise ?

Étonnamment, nous avons toujours un flux assez important de candidats qui souhaitent tenter leur chance à l'international. Le nombre s'est peut-être un peu tari, conscients des difficultés qui les attendent, mais les candidats qui notamment connaissent l'expatriation gardent foi ; ils savent aussi qu'un projet de la sorte prend du temps, que la demande de visa n'est pas une procédure administrative banale, et comme le suivi que nous leur proposons est d'une durée de 12 mois, ils peuvent légitimement espérer que la situation aura évolué d'ici là. Par ailleurs, rechercher à l'international, par exemple en Asie, n'implique pas que l'on s'interdise de prospecter aussi en Europe voire en France. Le temps que le vent tourne, et aussi pour renforcer ses compétences.

Qu'est-ce qui pourrait empêcher un candidat à l'expatriation d'aller de l'avant ?

Je ne peux pas nier que beaucoup de candidats s'interrogent sur la vanité de rechercher à l'international alors que les frontières sont actuellement fermées et que rien ne laisse présager que la situation va évoluer dans les semaines à venir, voire avant 2021. Ce qui assurément détourne certains d'entre eux de ce choix de mobilité. La pression sociale, la perspective de ne plus avoir d'allocations chômage, la concurrence déjà sévère en France les amènent à adapter leur stratégie et à prioriser l'emploi coûte que coûte, même au prix de leurs rêves d'expatriation.

Le changement majeur que je perçois actuellement provient des candidats, suivis par nos équipes, qui avaient déjà conscience des embûches et du défi que représentait pour eux le fait de s'expatrier. Leurs doutes n'ont fait que s'accroître pendant le confinement mais avec la lueur d'espoir qu'en septembre tout reviendrait dans l'ordre. Or, les nouvelles successives annonçant la prolongation des fermetures des frontières, d'est en ouest, du sud ou nord, ont eu raison de leur détermination déjà bien entamée. D'où ces derniers jours beaucoup de changements de cap et de réorientation vers l'emploi en France.

Quels facteurs pèsent plus lourd dans la balance aujourd'hui qu'avant la crise ? 

Pour un certain nombre de candidats déterminés à s'expatrier, le choix qui s'impose aujourd'hui est celui de l'Europe qui offre encore un cadre sécurisé, souvent proche de la France et de la famille, sans nécessité de visa, dans lequel la libre circulation des travailleurs reste facile, notamment par l'action des conseillers de l'Eures et des aides à la mobilité qu'offrent l'Union européenne. Les récits d'expatriés ou d'étudiants bloqués en Australie ou en Amérique latine, par exemple, sont restés gravés dans la tête de nombreux expats en herbe, qui privilégient aujourd'hui des destinations plus « sûrs », moins exotiques, plus rassurantes pour le candidat et sa famille.

Comment s'accompagne-t-on différemment aujourd'hui ?

Les candidats à l'expatriation, à l'aune de cette crise, ont pris conscience de l'importance de la solidarité et des institutions qui les représentent et les protègent éventuellement, comme les services des ambassades (d'où la nécessité de s'inscrire au registre du consulat en arrivant), du Ministère des affaires étrangères, en amont avec les conseils aux voyageurs de Diplomatie.gouv.fr et une fois sur place avec le portail Ariane, mais aussi les représentants des Français à l'étranger, les CCI sans oublier les initiatives multiples qui ont fleuri pour venir en aide, renseigner, accompagner un retour au pays non anticipé etc., à l'instar de la Cellule d'urgences et de veille juridique mise en place par Vincent Ricouleau et Jonathan Trouillon au Vietnam.

Vous vous spécialisez sur le Vietnam, la Malaisie et la Polynésie française. Comment la popularité de ces destinations risque-t-elle de changer après la crise de la crise de COVID-19 ?

Difficile à dire. L'Asie du Sud-est représente toujours et encore un énorme potentiel. Je me rappelle qu'au lendemain du déconfinement, une analyse de CEOWORLD indiquait que la Malaisie était l'un des pays sur lequel il fallait compter (et investir) dans le monde de l'après-COVID-19 (« 10 best countries to invest in post-COVID-19 »), alors que le Vietnam était consacré « meilleure économie de l'ASEAN en 2020 ». L'Océanie bénéficie, quant à elle, d'un « capital rêve » qui n'est pas prêt de s'épuiser malgré le lourd tribut qu'elle paie aujourd'hui du fait de l'effondrement de la filière touristique.

Pour autant, cette crise nous a déjà surpris à bien des égards et l'économie constitue une science très aléatoire, alors je ne me risquerai pas à effectuer des prévisions sur l'après-COVID et ses conséquences sur le marché de l'emploi.

Quel est votre constat du marché du travail pour les expats sur ces destinations ? Et ailleurs dans le monde ?

Je pense que la crise de COVID-19 ne va pas changer diamétralement le type de profils généralement recherchés à l'international, même si chaque pays a ses niches, ses spécificités et ses domaines de prédilection. Il s'agit de candidats très spécialisés, dans l'IT et l' e-commerce, le domaine médical, l'ingénierie, le business development, notamment. Ces experts sont en outre dotés d'un capital humain qui les rend attractifs sur le marché international : capables de s'adapter dans un environnement multiculturel, ils sont innovants, généralement bilingues et très autonomes. Ce qui n'empêche nullement d'autres professionnels, pas forcément dotés d'un Master ou d'un diplôme prestigieux, de tirer leur épingle du jeu, comme c'est le cas des cuisiniers, boulangers, sommeliers et autres techniciens avec une spécialisation (en aquaculture, en logistique, etc.).