Recul de l'investissement étranger mondial : quels enjeux pour la mobilité internationale ?

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Écrit par Asaël Häzaq le 10 septembre, 2024
Depuis 2022, la tendance est à la baisse. Une baisse qui pèse sur la croissance et freine le développement des États. La baisse des investissements impacte aussi les projets des entreprises et les perspectives d'expatriation. L'ONU Commerce et Développement appelle les États à une plus forte mobilisation. Analyse.

Coup de froid sur l'investissement étranger mondial

Les grands projets de construction et autres plans d'envergure sont très souvent synonymes d'embauche à grande échelle. Les investissements massifs permettent aux locaux, aux travailleurs étrangers et aux entrepreneurs de participer à l'économie de leur pays et à la croissance mondiale. Mais le cercle vertueux peine à se consolider dans un contexte géopolitique toujours très tendu. L'invasion de la Russie en Ukraine continue de déstabiliser les économies. La guerre d'Israël contre le Hamas impacte également les relations internationales. D'autres conflits, moins médiatiques, provoquent pourtant des bouleversements à grande échelle. Il faut ajouter à cela un ralentissement économique mondial, qui se compose de sursauts inflationnistes, de crise énergétique et de crise des matières premières.

Le 20 juin 2024, l'ONU Commerce et Développement (ex-CNUCED) présente son rapport sur l'investissement dans le monde. Le ton est à la prise de conscience : l'investissement direct étranger (IDE) mondial diminue et impacte négativement les économies. Le rapport parle d'une baisse de 2 % (1 300 milliards de dollars d'IDE en 2023). Mais l'ONU précise que la baisse s'établit en réalité à -10 % si l'on exclut les variations notables de flux provenant de quelques pays européens. 2022 était déjà une année de recul des IDE (-10 %). L'ONU Commerce et Développement ne se montre néanmoins pas alarmiste.

Une « croissance modeste » des investissements mondiaux en 2024 « semble possible », si les États prennent les mesures adéquates. Le rapport invite les États à poursuivre leurs efforts pour faciliter les investissements étrangers. Il salue la progression du numérique, notamment dans les économies en développement, qui facilite les procédures des investisseurs étrangers. Il note également une hausse des guichets uniques et des portails d'information pour les investisseurs. Les efforts des pays en développement sont particulièrement visibles. En 2023, 86 % des mesures politiques appliquées en la matière étaient favorables aux investisseurs.

IDE 2023 : fluctuations selon les régions du monde

La majorité des régions du monde est concernée par une baisse relative des IDE. On constate néanmoins que les économies développées sont parvenues à attirer plus d'IDE (+9 %) que les économies en développement (-7 %). Outre les politiques financières menées par les États, le rapport insiste sur l'importance du climat sociopolitique. Les situations de conflit, d'instabilité politique, ou d'institutions défaillantes freinent la mise en place de stratégies financières fiables. L'Asie enregistre la plus forte baisse des IDE (-8 %) devant l'Amérique du Nord (-5 %), l'Afrique (-3 %), et l'Amérique latine et les Caraïbes (-1 %).

En Asie, la baisse remarquée des IDE en Chine (33 milliards de dollars en 2023 contre 400 milliards en 2022) et en Inde (28 milliards de dollars en 2023 contre 49 milliards en 2022) a profité à l'Asie du Sud-Est. En Afrique, l'Égypte et l'Afrique du Sud ont attiré le plus d'IDE (respectivement 9,84 et 5,23 milliards de dollars). L'Afrique centrale et l'Afrique du Nord enregistrent les plus fortes baisses d'IDE (-17 % et -12 %). En revanche, l'Afrique australe (Afrique du Sud, Lesotho, Tanzanie, Namibie, Angola…) engrange +22 % d'IDE en 2023.

Baisse des IDE, baisse des grands projets créateurs d'emploi

Comment tenir l'Agenda 2030 dans ce contexte ? En septembre 2015, les pays membres de l'ONU adoptent un programme de développement durable : l'Agenda 2030. 17 objectifs sont recensés pour « sauver le monde ». Parmi les mesures adoptées, l'élimination de la faim, de la pauvreté, la promotion d'une croissance économique qui profite à tous, l'accès à l'eau, à l'énergie, la promotion du développement durable, la lutte contre les changements climatiques et de l'industrialisation respectueuse de l'environnement.

Or, le rapport montre une baisse notable des IDE des pays développés dans les domaines visés par l'Agenda 2030. Les projets d'énergie renouvelable ont baissé de 5 % sur la période 2022-2023. La baisse est encore plus importante pour les opérations relatives à l'eau (assainissement des eaux, gestion durable de l'eau…) avec -17 % de nouveaux projets. Les secteurs des infrastructures (transports, production et distribution d'énergies non renouvelables, télécommunications) et de la santé enregistrent aussi un ralentissement, avec respectivement 8 % et 6 % de nouveaux projets entre 2022 et 2023. Seul l'agroalimentaire enregistre une hausse de projets : +13 %. À noter que l'agroalimentaire inclut la recherche et le développement, l'industrie des pesticides, des fertilisants et autres produits chimiques.

Malgré des projets en baisse dans des secteurs clés, les pays développés sont parvenus à attirer plus d'IDE que les pays en développement, entre 2022-2023. Mais ces derniers enregistrent un plus grand nombre de nouveaux projets. Le rapport de l'ONU Commerce et Développement en compte plus de 1000, dans les pays en développement, surtout en Asie. La baisse des IDE sur le continent asiatique masque une forte hausse des nouveaux projets (+44 % en valeur).

Baisse des IDE : quel impact sur la mobilité internationale ?

Si l'ONU Commerce et Développement n'avance pas de chiffres pour la mobilité internationale, il faut s'attendre à un impact sur les projets des entreprises et sur l'expatriation. Moins d'investissements étrangers, c'est potentiellement moins de projets, ou du moins, des projets freinés ou moins ambitieux.

Le mégaprojet saoudien « The Line » enchaîne les déconvenues. Les tentatives pour rassurer les investisseurs ne suffisent pas. Critiqués pour son extravagance et son impact environnemental (le projet se veut pourtant être un modèle en matière d'écologie), « The Line » et sa ville futuriste Neom revoient leurs ambitions à la baisse. Mais l'Arabie saoudite compte toujours attirer plus de talents étrangers. Sa « Vision 2030 » entend faire du pays une nouvelle plaque tournante de l'innovation mondiale et des startups. SPARK, mégaprojet de cité énergique industrielle, compte attirer les talents étrangers de la Tech.

Les difficultés d'investissement jouent sur d'autres infrastructures, comme le mégaprojet de tramway du Québec. En pause, il revoit son coût à la baisse : 25 millions de dollars canadiens en moins. La facture initiale, estimée à 613 millions fin 2023, sera plutôt de 588 millions.

Mais la baisse des IDE (variable d'une région à l'autre) ne signifie pas l'arrêt total des projets de grande envergure. Au contraire. Les entrepreneurs composent avec les contraintes, repensent les projets, quitte à ressortir de vieux dossiers de terre, comme le super projet de liaison par tunnel entre l'Afrique et l'Europe, sous le détroit de Gibraltar. Co-dirigé par le Maroc, l'Espagne et le Portugal, il est prévu pour voir le jour avant la coupe du monde de football masculin de 2030.

Les candidats à l'expatriation peuvent y voir de nouvelles perspectives d'emploi à l'étranger. Mais attention : les entreprises recherchent surtout des talents étrangers spécialisés dans des domaines bien précis, pour les faire travailler avec des talents locaux. Réduire les coûts passe aussi par une restructuration de la main-d'œuvre. Les entreprises qui embauchent s'orienteront davantage vers les professionnels étrangers très qualifiés.