Expats victimes de violence domestique : vous n'etes plus seul(e)s !

Interviews d'expatriés
  • Priscillia Routier Trillard
Publié le 2022-11-25 à 10:00 par Veedushi
Malgré l'absence de chiffres officiels, la violence domestique prend de l'ampleur dans le monde entier, même au sein de la communauté des expatriés. Ou rechercher de l'aide quand l'on est victime de violence ? SAVE YOU, une plateforme nouvellement lancée par la communauté THE SORORITY, est la pour vous accompagner. Priscillia Routier Trillard, fondatrice et directrice générale de l'association THE SORORITY FOUNDATION, nous parle des objectifs de la Première communauté Bienveillante de Protection, d'Entraide et de Partage entre Femmes et personnes issues des minorités de genre.

 

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?

Je suis Priscillia Routier Trillard, la fondatrice de la communauté et application THE SORORITY qui compte à ce jour plus de 42 200 personnes au profil vérifié et validé qui s'entraident partout dans le monde. J'ai fondé l'association THE SORORITY FOUNDATION début 2021 pour poursuivre nos actions de terrain, parmi lesquelles l'arrivée récente de notre dernière initiative : SAVE YOU, une plateforme dédiée aux femmes françaises établies hors de France et victimes de violences conjugales et intra-familiales.

J'ai eu l'idée de THE SORORITY suite à un second burnout début 2019. Ma médecin traitante m'a alors dit « je te crois, je suis là », je savais que je n'étais plus seule. Et cela a tout changé. Je me suis dit que sur une multitude de sujets, rien que le fait d'être bienveillant.e.s les un.e.s avec les autres et de savoir que nous ne sommes pas seul.e.s, que des personnes nous croient et que même si le chemin sera long, il sera moins difficile en s'unissant, en se soutenant et en agissant ensemble.

Qu'est-ce que la Sorority Foundation et quels sont les objectifs ?

THE SORORITY FOUNDATION est une association de loi 1901 reconnue d'intérêt général dont l'objet est la lutte contre les violences conjugales, intrafamiliales, contre le harcèlement et plus généralement contre toutes les formes de violence auxquelles font face les femmes, les adolescentes et les personnes issues des minorités de genre.

L'association inscrit également son action en matière de lutte pour l'égalité des genres, pour la sécurité, pour le respect et pour l'épanouissement de tou.te.s.

Parlez-nous de l'initiative SAVE YOU. Qu'est-ce qui vous a poussés à vous associer à l'Alliance solidaire des Français de l'étranger, la Féderation France Victimes, à l'association Cœurs de Guerrières et au collectif Mots et Maux de femmes ?

Je suis moi-même actuellement expatriée à Dubai. J'ai déjà vécu des violences par le passé. Je ne peux qu'imaginer à quel point elles peuvent être difficiles à vivre dans un contexte d'expatriation.

C'est une configuration particulière et un défi supplémentaire pour les personnes qui sont déjà isolées et seules face aux violences vécues.

La genèse de SAVE YOU a démarré entre Laura de l'ASFE et Stéphane du collectif Mots et Maux de femmes, Stéphane est par la suite devenu le Président de THE SORORITY FOUNDATION (juillet dernier). Ils ont commencé à m'expliquer ce qu'ils avaient en tête et le projet m'a tout de suite parlé. J'ai alors mis en place la structure et équipe en interne pour rendre cette proposition et aide possible. 

Nous avons mis en commun toutes nos compétences, nos contacts et nos connaissances pour assurer une aide complète quelles que soient la volonté et la situation de la personne aidée : avec ou sans enfant, souhaitant rester dans le pays d'expatriation ou bien revenir en France etc.

Chaque cas et situation sont spécifiques et demandent une complémentarité d'expertises de terrain (loi locale, process, etc.).

En unissant nos forces et en tissant des liens avec tou.te.s les acteurs/actrices souhaitant nous aider, nous mettons toutes les chances du côté des personnes victimes de violences pour alléger un peu plus leur quotidien, les aider et les épauler au mieux dans leur parcours.

En 2019, selon les chiffres officiels, 213 000 femmes ont été victimes de violence conjugale et 102 ont été tuées. Des chiffres qui n'existent pourtant pas pour les femmes et familles expats.

Oui en commençant à discuter ensemble cela a été le premier constat : pas de chiffre.

Personne n'en parle. Comme si le sujet n'existait pas. Et pourtant.

Grâce à des personnes du terrain profondément engagées dans cette cause, spécifiquement en faveur des personnes expatriées, nous avons pu bénéficier de leur expertise, de leur vécu et de leur constat face à cet immense oubli.

Je pense tout particulièrement à Isabelle Tiné qui fait un travail incroyable d'information, de prévention et de soutien depuis son retour de Singapour au travers de ses différents réseaux.

Qu'est-ce qui, selon vous, occasionnerait la violence conjugale ou intra familiale en expatriation ? Et comment prévenir cela ?

La violence conjugale ne commence pas nécessairement en expatriation, il y a souvent un terrain initial.

Ce n'est pas l'expatriation en tant que telle qui l'a créé mais qui la facilite.

L'isolement notamment imposé de par la situation : l'éloignement de la famille et des proches (qui est une des techniques notée régulièrement dans l'observation du cycle de la violence).

On se retrouve seul.e, sans connaissance proche, sans contact direct sur place. Potentiellement on est au foyer, ayant suivi son/sa conjoint.e. La sociabilisation n'est pas immédiate avec la communauté d'expatrié.e.s aux alentours.

Il est difficile d'aborder le sujet avec des personnes que l'on connaît peu ou depuis peu de temps. Le sujet est délicat, déjà avec les proches. Alors avec des personnes extérieures...

Et qui nous croira ? Qui nous écoutera ? Pour peu que le/la conjoint.e violent.e ait déjà tissé des liens avec le réseau local, ait un poste à responsabilité (ambassadeur/ambassadrice, consule, avocat.e, agent.e publique, responsable/directeur au sein d'une grande entreprise embauchant d'autres expats français, etc.).

Il est important de visualiser et imaginer cet isolement, à une échelle ultime, en cas de violences vécues dans un contexte d'expatriation. Elles sont encore différentes de ce que l'on peut observer en France (on peut l'assimiler en France aux Violences vécues en zones rurales – très reculées – sans possibilité d'avoir un accès direct à sa famille/ses amis/des institutions et associations connues, etc.).

Comment peut-on arriver à reconnaître les premiers signes de violence conjugale ou intrafamiliale auprès des expats et quand on est expat ? Par quels moyens peut-on empêcher que la situation se détériore ?

Les premiers signes simples à voir peuvent être des propos tenus dégradants envers la/le conjoint.e. Des remarques régulières visant à la/le rabaisser en public. C'est des sensations que l'on perçoit, on a un pincement au cœur quand cela se passe. En quittant la personne on sent qu'il y a quelque chose qui ne va pas. On ne sait pas quoi et cela ne nous regarde pas mais on le sent.

Le moral de la personne se dégrade. Elle perd en joie de vivre.

De façon plus prononcée cela peut être des bleus à répétition, la personne « s'est cognée » ou est « encore tombée ».

Afin d'aider et soutenir au mieux, nous sommes en train de développer une documentation complète que nous mettons au fur et à mesure sur notre site en accès permanent afin que chacun.e puisse se poser, s'interroger et avancer à son rythme sur le sujet. C'est un process qui demande du temps et du soutien.

Selon vos observations, la violence conjugale ou intrafamiliale est-elle un fait récurrent en expatriation ? Avez-vous des chiffres à l'appui ?

Selon ce que l'on voit sur le terrain et les retours que nous avons depuis l'annonce de l'ouverture de SAVE YOU : oui. 

On se rend compte qu'il s'agit d'un vrai sujet qui n'est pas adressé pour le moment. 

Il existe très peu de chiffres, mais les faits sont bien là. Les mois/années à venir permettront d'avoir une vision plus claire de l'ampleur du sujet, au fur et à mesure des contacts et des prises de conscience des personnes concernées et de leurs proches.

Combien de cas de cas de violence conjugale avez-vous répertorié et traité jusqu'à présent ? Dans quelle mesure venez-vous en aide à ces personnes ? Quel type de soutien proposez-vous ?

Nous en sommes à ce jour à une quarantaine cas gérés via notre plateforme SAVE YOU depuis son lancement (mi-octobre) soit en un mois.

Nous mettons tout en œuvre pour soutenir et accompagner les personnes qui nous contactent selon leurs situation, volonté et objectif(s) : type de violence vécue, contexte, démarches déjà lancées, avec ou sans enfant, souhaitant rester ou non dans le pays, selon le pays et les lois de ce dernier, etc.

Chaque situation est unique et nous faisons tout notre possible en activant l'ensemble du réseau, que nous tissons au fur et à mesure, pour débloquer les situations et venir ainsi en aide aux personnes victimes de violences.

Ces dernières années, avez-vous constaté un changement particulier ou une tendance en ce qui concerne la violence conjugale ou intrafamiliale auprès des expatriés ?

Cela a été très lent et le sujet ignoré depuis des années. Le travail d'Isabelle Tiné notamment sur le sujet est titanesque. Elle lutte et agit depuis plus de 6 ans sur le sujet. Encore et encore. De belles initiatives prennent vie et se développent de plus en plus partout dans le monde pour favoriser cette entraide dont nous avons plus que jamais besoin, comme notamment le réseau La Fibre sur lequel nous nous appuyons également pour avancer au mieux.

Nous sommes heureux.ses de pouvoir à présent proposer une solution concrète pour soutenir ensemble ces personnes.

Quels seraient, selon vous, les premiers réflexes à adopter en cas de violence conjugale ou intra familiale en expatriation ? Où chercher de l'aide ?

Dans un premier temps, parler avec la personne et lui demander si elle va bien. Lui dire que vous êtes là pour elle. Que vous la croyez. Lui dire qu'elle n'est pas seule et qu'il existe des aides et des soutiens. 

Lui parler de notre plateforme SAVE YOU et lui proposer de nous contacter (voir informations de contact ci-dessous).

En parallèle la personne aidant.e/proche peut nous contacter pour tout conseil ou soutien (en tant que témoin.e de violence nous sommes également impacté.e.s par ces dernières) :

Par appel téléphonique : +33 1 88 61 51 51 (Numéro gratuit et accessible partout dans le monde)

Par Whatsapp : +33 7 61 01 70 01

Par email : [email protected]

Les violences sont des sujets longs et complexes à adresser, il n'est pas simple d'en sortir facilement, mais avec le bon soutien et les bonnes personnes, étape par étape, on y arrive. Ensemble.

Enfin, si vous souhaitez nous soutenir en tant que bénévole (professionnel.le, aidant.e) ou nous faire un don : 

Rendez-vous sur notre site Web SAVE YOU

Nous lançons également un appel aux entreprises françaises établies hors de France pour qu'elles s'impliquent et soutiennent notre action par le biais du mécénat car nous avons besoin de pérenniser cette initiative.

THE SORORITY FOUNDATION est une association de loi 1901 reconnue d'intérêt général. Chaque don ouvre le droit à une déduction fiscale de 75% sur la première tranche de dons inférieure ou égale à 1000€ puis au-delà de 66% pour les particuliers et 60% pour les entreprises.

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