Immigration choisie : quels avantages pour les économies ?

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Publié le 2022-09-20 à 10:00 par Asaël Häzaq
Pour sortir de la crise sanitaire, les États rivalisent pour attirer les étrangers qualifiés. Le Canada fait figure de favori et met en avant sa politique d'accueil. Les autres pays lui emboîtent le pas, à grand renfort de nouveaux visas et de politiques visant les talents internationaux. Comment expliquer un tel recours à la main-d'œuvre étrangère ? En quoi l'immigration choisie booste-t-elle les économies ?  

Qu'est-ce que l'immigration choisie ?

  • Immigrant, travailleur étranger : définitions

Avant de se pencher sur la notion d'immigration choisie, retour sur la définition de l'immigrant. Selon la Convention internationale de Rome de 1924, « Est considéré comme immigrant tout étranger qui arrive dans un pays pour y chercher du travail et dans l'intention exprimée ou présumée de s'y établir de façon permanente ; est considéré comme simple travailleur tout étranger qui arrive dans le seul but de s'y établir temporairement. »

On rappelle que « l'expatrié », terme créé à l'époque coloniale, avait pour but de différencier les colons des autres populations migrantes. Aujourd'hui, l'« expatrié » au sens strict désigne les personnes travaillant à l'étranger avec un contrat d'expatriation. Mais les textes de loi relatifs à l'immigration parlent bien d'immigrants et de travailleurs étrangers. Selon la Convention internationale de Rome, les expatriés (en contrat d'expatriation, donc) sont des travailleurs étrangers. Les autres sont des immigrants.

  • Immigration choisie

L'immigration choisie consiste à choisir les étrangers autorisés à vivre sur un territoire donné. Si les lois d'immigration préfèrent parler « d'ouverture aux talents internationaux », en pratique, il est bien question de sélection. Tout d'abord, les travailleurs sont favorisés au détriment des autres catégories de demandeurs de visa (regroupement familial, demandeurs d'asile…). Ce sont ces travailleurs qu'on appelle « immigrants économiques ». Les États préfèrent miser sur eux, car ce sont eux qui boostent la croissance économique.

Mais une autre sélection s'opère entre les travailleurs. L'immigration choisie suppose de privilégier certains domaines d'activité, certains types de travailleurs étrangers. L'État favorise les étrangers qualifiés dans des secteurs en pénurie de main-d'œuvre.

Immigration choisie : l'exemple du Canada

Pour parler d'immigration choisie, on cite souvent l'exemple du Canada. Terre d'asile, terre multiculturelle, l'immigration est inscrite dans l'ADN même du pays. Un Canadien sur 5 est issu de l'immigration. Les bâtisseurs du pays sont des immigrants. Les forces vives du pays le sont aussi. La majorité des étrangers arrivant au Canada sont des immigrants économiques. Confronté à une pénurie de main-d'œuvre, le Canada veut accueillir 900 000 étrangers supplémentaires en 2023 et 2024. On parle bien ici d'immigrants économiques.

Fonctionnement du modèle canadien : le système à points

Le Canada applique un système à points. Cette politique, mise en place dès les années 60, est, à l'époque, la première en son genre. Le candidat doit obtenir au moins 67 points sur 100. Le système comprend 6 catégories : 28 points maximum pour les compétences linguistiques (test de langue en français ou en anglais), 25 points pour les études, 15 points pour l'expérience de travail, 12 points pour l'âge, 10 points si le candidat a une offre d'emploi réservée au Canada d'au moins 1 an, 10 points si le candidat montre des facultés d'adaptation (bon niveau de français et/ou d'anglais, études faites au Canada, famille vivant au Canada…). On peut obtenir des points bonus en s'installant dans une zone fortement touchée par la pénurie de main-d'œuvre, un territoire reculé, à faible natalité…

Le gouvernement canadien le sait et en parle sans détour : l'immigration est essentielle à sa croissance, tant économique que démographique. Or, l'un ne va pas sans l'autre. Malgré une inflation dépassant les 7 % en juillet, le taux de chômage reste bas. Il a même atteint un « creux historique » avec à peine 5,1 % de chômeurs en juin dernier. Dans certaines provinces, comme au Québec, le taux est même descendu à 3,9 %. Le taux de croissance a augmenté de 3,1 % au premier trimestre 2022. Une économie qui reste solide, et une démographie qui fait des envieux.

Immigration, démographie, croissance économique

Avec + 5,2 % entre 2016 et 2021, la croissance démographique du Canada reste la plus forte des pays du G7. Pour rappel, les membres du G7 sont l'Allemagne, les États-Unis, la France, l'Italie, le Japon, le Royaume-Uni et le Canada. Le Japon et l'Italie sont dans le négatif, avec, respectivement, -1,3 et -2 %. L'Allemagne atteint péniblement les 1 %. La France fait à peine mieux (1,2%). Les États-Unis et le Royaume-Uni sont à 2,6 et 2,9 %. Au Canada, c'est bien l'immigration, et non la hausse de la fécondité, qui explique la croissance démographique. Immigration choisie, hausse de la démographie, croissance économique : le Canada semble avoir trouvé son cercle vertueux.

L'immigration choisie plébiscitée par les grandes puissances

Canada, Australie, Autriche, Allemagne, États-Unis, Japon, Royaume-Uni… Les grandes puissances semblent toutes opter pour le modèle de l'immigration choisie.

Au Japon, la réforme de la loi sur l'immigration de 2019 introduit deux nouveaux visas. Le premier, destiné aux étrangers qualifiés, vise le bâtiment, la restauration, le soin aux personnes âgées… Le second vise les étrangers très qualifiés. Mais ces deux visas sont controversés, le premier étant bien moins protecteur que le second. Le Japon s'est construit sur une prétendue homogénéité, et a toujours eu du mal à parler d'immigration. Mais le pays est de plus en plus conscient du rôle indispensable des immigrés pour sa croissance économique. Les autorités japonaises reconnaissent qu'il faudrait près de 7 millions d'étrangers supplémentaires d'ici à 2040 pour atteindre une croissance d'environ 1,24 % par an.

Aux États-Unis, on a le choix entre la « green card » et son système de loterie par régions du monde ou le visa H1B réservés aux étrangers qualifiés et sponsorisés par une entreprise américaine. En Australie, on doit postuler pour un métier de la Skill Occupation List (SOL). En 2021, le Conseil d'analyse économique (CAE) recommande à la France d'instaurer un système à points pour attirer davantage de travailleurs étrangers qualifiés et booster son économie. Selon le CAE, « […] une somme considérable d'études économiques démontre les bienfaits d'une immigration de travail qualifiée et diversifiée. »

Les avantages de l'immigration choisie

Le premier avantage de l'immigration choisie réside en son concept même. La sélection des candidats permet de recruter les meilleurs profils. Or, de nombreuses études montrent que les talents étrangers ont tendance à être plus productifs que les locaux. Ils sont plus autonomes, ont plus confiance en eux, sont davantage force de proposition. Chacun a son background, qu'il met au service de l'entreprise. La diversité est une richesse qui rapporte beaucoup d'argent. Les grands groupes internationaux l'ont bien compris. Diversifier sa main-d'œuvre crée autant de ponts économiques avec les autres pays.

Selon le Fonds monétaire international (FMI), 1 % de hausse du flux d'immigrants dans un pays fait augmenter la production « d'environ 1 % à la cinquième année ». L'immigration permet aussi d'améliorer les niveaux de salaire des locaux, grâce à la stimulation économique. L'immigration a aussi un impact bénéfique sur la natalité. En baisse constante, elle a connu une chute brutale avec la pandémie. La situation dans certains pays, comme l'Italie, est plus que critique. Or, pas de croissance sans main-d'œuvre. En s'installant durablement sur le territoire avec leur famille (ou en fondant une famille dans le pays d'accueil), les talents étrangers contribuent nettement à la hausse de la démographie.

Sur la forme aussi, les États qui plébiscitent l'immigration choisie n'y voient que des avantages. Le système canadien est jugé le plus « transparent et équitable » par le CAE. C'est aussi ce que pensent l'Autriche, la France et les autres pays qui veulent s'en inspirer.

Immigration choisie : limites et controverses

Immigration choisie contre immigration subie : les deux expressions ont agité et agitent toujours de nombreux débats politiques. L'immigration choisie permettrait, comme son nom l'indique, de ne sélectionner que les étrangers dont on aurait besoin à tel moment. A contrario, l'immigration subie serait un poids pour le pays, qui subirait des arrivées incontrôlées d'immigrants. Le sous-entendu est à peine voilé : ces immigrants seraient inutiles à la croissance du pays, et pèseraient sur les finances publiques.

Les associations qui dénoncent les limites du système parlent « d'immigration jetable ». Certains États semblent perdre de vue que derrière les flux et les chiffres se cachent des vies humaines. Les politiques faisant venir massivement des étrangers à un instant T, pour les chasser de leur territoire sitôt leurs besoins comblés ont montré leur inefficacité. C'est l'exemple de la France de l'après-guerre jusqu'aux années 70 (Trente Glorieuses). Le pays fait appel à la main-d'œuvre étrangère pour relancer son économie. Mais dès les chocs pétroliers, des voix s'élèvent pour réclamer le départ des étrangers. La France, vieille terre d'immigration, a toujours fait appel aux étrangers pour faire « tourner sa machine économique ». Preuve qu'elle reconnaît les vertus de l'immigration. Reste à en parler de manière plus positive.

« Immigration qualifiée : un visa pour la croissance »

C'est le défi des États, souvent mis devant leurs propres contradictions. Trop de pays parlent encore de l'immigration comme d'une contrainte. Au lieu de communiquer ouvertement pour recruter des étrangers qualifiés, comme le Canada, certains politiques préfèrent surfer sur les peurs pour satisfaire un électorat précis. Pour faire taire toute polémique autour de l'« immigration choisie », d'autres préfèrent parler d'« immigration qualifiée ». C'est le conseil que donne le CEA à la France dans son étude « immigration qualifiée : un visa pour la croissance », parue en novembre 2021.

Reste, pour les États, à se montrer attractifs et pour l'embauche des talents internationaux, et pour leur installation dans leur nouveau quotidien. Il s'agit bien d'un partenariat « gagnant-gagnant » ou la diversité est un booster de croissance économique.