Séparés de leurs familles par la crise : le cri de désespoir des expatriés

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Publié le 2021-04-14 à 10:00 par Veedushi
#alsjeblieftnederland. C'est le nom de la campagne lancée par un groupe d'expatriés aux Pays-Bas. Un hashtag qui fait grand bruit auprès de la communauté des expatriés séparés de leurs familles depuis le début de la crise sanitaire mondiale. Ils réclament à l'Union européenne de mettre un terme aux restrictions de voyage afin que leurs proches provenant des pays tiers puissent les rejoindre.

Le témoignage poignant de cette jeune expatriée aux Pays-Bas ne laisse pas insensible. « J'ai récemment été diagnostiquée d'un cancer et ai dû subir une intervention chirurgicale. Je pensais pouvoir compter sur la présence de ma mère pendant cette période difficile, mais ce n'a pas été le cas », raconte Jenny. En effet, comme le Royaume-Uni ne fait plus partie de l'UE, sa mère, Britannique, n'est pas autorisée à voyager aux Pays-Bas sauf pour des raisons essentielles. « On m'a informé que seule une soignante qualifiée peut venir, ou un proche si j'avais plus de 75 ans ou que j'étais en phase terminale ». Fort heureusement, Jenny a pu trouver un réseau de soutien pendant cette période des plus complexes. Mais elle avoue que ce serait tellement plus facile pour elle avec l'appui de sa mère. « J'ai du mal à comprendre les règlements actuels. Comment peut-on autoriser des personnes qui ne se connaissent que depuis 3 mois à se réunir alors que des relations familiales sont mises à l'écart? », se demande-t-elle.

Et elle n'est pas la seule ! Anita, une expatriée originaire de l'Équateur mais qui tient aussi la nationalité italienne de son père, s'inquiète énormément pour sa mère. « Cela fait presque 6 ans que je vis aux Pays-Bas avec mon époux Hollandais. Je suis enfant unique et mes parents sont divorcés, donc ma mère se retrouve seule en Équateur, sans aucun soutien familial », nous confie-t-elle. Depuis le début de la crise, selon les dires d'Anita, sa mère a développé une depression sévère, ainsi qu'une claustrophobie aigüe. « Elle est actuellement sous traitement psychologique et cela me peine énormement de ne pas pouvoir être à ses côtés. D'autant que j'ai accouché la semaine dernière d'une petite fille ». Anita vit difficilement le fait que ni sa mère ne peut compter sur elle en raison de la distance qui les sépare, ni elle peut compter sur sa mère en cette période post natale. « J'ai eu quelques soucis de santé peu après mon accouchement et cela a été dur pour mon époux de s'occuper de moi et de notre enfant à la fois. Les choses auraient été bien plus simples si ma mère avait pu nous rejoindre », reconnaît-elle.

Cela fait plus d'une année que Christian, un Sud-africain, n'a plus revu sa fille. « Elle n'a pas pu nous accompagner aux Pays-Bas puisqu'elle a plus de 18 ans, donc on ne pouvait pas la prendre en charge sous notre permis de résidence. On croyait qu'elle allait pouvoir nous rendre visite régulièrement puisqu'elle détient un visa Schengen, mais ce n'a pas été le cas ». Depuis, Christian et son épouse ont manqué non seulement les anniversaires de leur fille mais aussi plein d'événements familiaux qu'ils peuvent uniquement suivre en ligne via les médias sociaux. Il trouve inconcevable le fait que sa propre fille soit considérée comme une touriste. « Pourquoi nos proches ne peuvent-ils pas bénéficier d'un visa spécial pour qu'on puisse enfin se retrouver ? ».

A l'heure actuelle, seuls les ressortissants de certains pays tiers sont autorisés à voyager vers l'UE. Ces pays comprennent l'Australie, la Nouvelle-Zélande, Singapour, la Corée du Sud, la Thaïlande, la Chine sous des conditions strictes, entre autres. Compte tenu des nouvelles vagues de COVID-19 autour du monde, les restrictions de voyage sont revues constamment, rendant ainsi plus difficile les déplacements depuis les pays hors UE. En ce qui concerne les Pays-Bas, même s'il existe quelques exceptions, les grand-parents sont seulement autorisés à s'y rendre s'ils sont dépendants de leurs proches qui vivent dans le pays.

Katie, qui a accouché d'une petite fille l'an dernier, confie que ses parents lui manquent énormément. « Ils n'ont pas pu venir en raison des restrictions et j'avoue que j'ai vraiment trouvé cela pénible même si on garde contact via les réseaux sociaux et les applications comme Facetime ». Cela fait 6 ans que cette jeune femme s'est installée aux Pays-Bas avec son époux neerlandais. Heureusement que Katie peut compter sur le soutien de sa belle famille qui habite non loin de chez elle. Mais elle reconnaît qu'avoir le soutien de ses parents, que ce soit lors de l'accouchement ou après la naissance de sa fille, ou encore pour élever cette dernière, serait vraiment quelque chose de différent. Elle est l'une des nombreuses personnes à avoir rejoint le mouvement pour réclamer la levée des restrictions de voyage pour les familles provenant de pays tiers. Erin déplore, pour sa part, que ses parents ne soient pas autorisés à venir la rejoindre même s'ils ont déjà été vaccinés contre la COVID-19.

Une pétition ayant pour slogan « Family is not tourism » a déjà été signée par plus de 14 000 expatriés vivant aux Pays-Bas. Ces derniers réclament haut et fort qu'un meilleur traitement soit accordé à leurs proches afin de mettre un terme à leur stress qui semble sans fin. Ils en profitent pour rappeler que la loi de l'UE prône un traitement égalitaire pour les citoyens de l'UE et leurs proches vivant dans des pays tiers. « Certains d'entre nous ont des proches qui sont très malades, et ces restrictions ne font qu'applaudir cette souffrance que nous ressentons déjà », soutiennent-ils.

Cette campagne fait suite à la campagne #loveisnottourism, lancé l'an dernier par des couples séparés par la crise et la fermeture des frontières. Suite à cette campagne, de nombreux partenaires et conjoints vivant dans différents pays ont eu la chance de se réunir après une séparation qui a duré plusieurs mois.

Mais les expatriés aux Pays-Bas ne sont pas les seuls concernés par les restrictions de voyage. Davina, expatriée au Royaume-Uni depuis une vingtaine d'années, se confie. « Mes parents, qui vivent à l'île Maurice, viennent généralement nous rendre visite chaque année. Cela fait maintenant plus d'une année que nous ne nous sommes pas revus. Ce qui m'attriste le plus c'est le fait qu'ils sont privés de la chance de voir mes enfants grandir. Ma benjamine va bientôt avoir un an et jusqu'à présent elle n'a vu ses grand-parents que sur Whatsapp. D'autant plus que les parents de mon conjoint vivent à des milliers de kilomètres de chez nous ». Comme Davina, des milliers d'autres expatriés attendent avec impatience que les restrictions de voyage soient revues afin de mettre un terme au désespoir de ces familles déchirées par la crise.

Plus de témoignages

Neha, une expatriée indienne :

« Mes parents vivent et travaillent au Koweït depuis plus de 25 ans. Nous sommes originaires de l'Inde et je suis enfant unique. L'an dernier, j'ai perdu mon père qui avait été atteint par la COVID-19. Depuis, ma mère s'est retrouvée toute seule au Koweït, sans aucun soutien. En raison des restrictions de voyage, je n'ai pas pu aller la rejoindre et elle n'a pas pu venir aux Pays-Bas. Je n'ai même pas pu rendre un dernier hommage à mon père. Ma mère a 73 ans et nous avons fait toutes les démarches pour qu'elle puisse nous rejoindre ici, mais en vain. A son âge, nous ne voulions pas qu'elle rentre en Inde où la situation est encore plus grave, mais depuis les 9 derniers mois, elle est complètement lessivée sur le plan émotionnel ».

Shalini, Indienne, mariée à un Hollandais

« Je vis ici depuis 2005 et j'ai la nationalité hollandaise. Avec mon époux, nous avons un fils de 13 ans qui est très attaché à sa grand-mère. Il est autiste et nous avons parfois du mal à lui faire comprendre la situation quand il demande à voir sa grand-mère. Ma mère est une veuve de 77 ans, et comme je suis enfant unique, elle n'a pas vraiment de soutien familial en Inde. Avant la crise, elle venait nous rendre visite régulièrement, mais nous ne nous sommes pas vus depuis septembre 2019. Ma mère s'est déjà fait vacciner contre la COVID-19 et elle est prête à se soumettre au test PCR. Elle ne compte pas s'installer ici pour de bon, mais laissez la venir nous rejoindre au moins pour quelque temps ».

Anastasia, une Ukrainienne

« Ma grand-mère, qui vit en Israël, souffre d'un cancer. Elle voulait me rendre visite au moins une fois, tant qu'elle le peut. Elle n'est jamais venue avant, et j'aurais tellement aimé lui faire découvrir ce magnifique pays avant qu'il ne lui arrive quelque chose. Ma mère, qui vit également en Israël, fait de son mieux pour s'occuper d'elle, mais elle vit cette situation avec beaucoup de difficultés. Mon père est en Ukraine et moi aux Pays-Bas, alors elle se sent de plus en plus seule et déprimée ».

Fran, une Britannique dont le fils étudie aux Pays-Bas

« Mon fils de 17 ans est étudiant à Amsterdam. Comme il est toujours mineur et qu'il est seul, je m'inquiète énormément pour son bien-être et sa santé mentale en cette période de confinement. Nous, les Britanniques, ne sommes pas autorisés à voyager avant le 17 mai, mais j'espère vraiment pouvoir retrouver mon fils afin de le réconforter. Je pense sincèrement que les autorités devraient autoriser les visites familiales dans ce genre de situations ».