Bonjour à toutes et à tous,
J'ai bcp de questions concernant le niveau scolaire des élèves et la scolarité en général ... afin d'éviter de me répéter constamment, je vais essayer de vous faire part de mes constations depuis deux ans. Je tiens à préciser d'emblée que mes remarques n'ont rien de racistes ou de discriminatoires, c'est juste la constatation d'un fait social que l'on peut expliquer de plusieurs façons.
Comme pour la question de la vie en générale en Guyane, il est important de distinguer le littoral et l'intérieur des terres ( que ce soit sur le Haut Maroni, là où je vis ou sur l'Oyapock car les situations sont quasiment similaires même si les populations sont différentes ). Premier fait à prendre en compte si l'on vient enseigner en Guyane : entre 60 et 80 pour cents des élèves qui sortent du Collège ne savent pas lire ( et selon les établissements ) !!! . Les scores sont moins élevés sur le littoral mais le niveau des élèves guyanais est dans TOUS les cas bien inférieur au niveau des élèves de métropole ! Je ne vais pas entrer dans les détails car ce serait trop long et puis ce n'est pas mon métier non plus ....Ce qui est sûr, c'est qu'il y a un fossé entre les enfants de métros ou de privilégiés et les autres ....
Pour ce qui concerne les élèves dit " du fleuve ", il faut garder à l'esprit que dans les villages ou les "campous " ( qu'ils soient amérindiens ou bushinengué ) bcp de familles n'ont ni électricité ni l'eau courante . Ceci est particulièrement vrai pour les "campous " qui sont excentrés des principales communes telles que Gran Santi, Papaichton, Maripasoula ou Camopi . De ce premier fait (qui serait perçu comme inacceptable en France métropolitaine ), il découle plusieurs choses : les familles vivent en fonction du rythme du soleil, ne possèdent ni télé ni radio (souvent et sauf exception pour ceux qui peuvent s'offrir un générateur ) et se débrouillent comme elles peuvent .... Délaissées par les communes et le système en général, ces familles et ces enfants n'ont donc aucun accès à la langue française dans son ensemble, ni à travers la présence de médiathèques ou quelque autre association sportive. Le seul lien avec la langue et la culture françaises est donc l'école. Si les familles sont dans l'ensemble reconnaissantes des services (officiellement ), dans les faits, il y a une grande incompréhension du système et parfois aussi, il faut bien le dire, une résistance à la francisation et celle-ci est plus ou moins marquée selon les villages. C'est la raison pour laquelle dans certains villages, à peine dix pour cents de la population parlent français. Les parents ne parlant pas français et ne comprenant pas le système ni les attentes de celui-ci, bcp d'enfants sont donc livrés à eux-mêmes d'où un échec scolaire pour bcp . Malgré les formations gratuites mises en place par les associations ou l'Etat pour l'alphabétisation des adultes, force est de reconnaître que les objectifs n'ont pas été atteints. La pauvreté associée à l'ignorance du système ( bcp vivent du RSA ou simplement des revenus de la terre, de " l'abattis " comme on l'appelle ici ), de nombreux enfants ne peuvent donc pas réussir leur scolarité. Par conséquent, il est donc très important de comprendre que si la Guyane est française " sur le papier ", dans les faits, nous sommes dans un autre pays et régi avec d'autres codes. Cela signifie qu'il ne faut pas enseigner en Guyane comme on le ferait en métropole car la réalité et les moyens déployés sur place sont à l'opposé de ce à quoi l'on est habitués. Le français EST une langue étrangère pour tous ces enfants et TOUTES ces populations ( amérindiennes et bushinengues ) et tout enseignant doit garder cela à l'esprit s'il ne veut pas échouer dans sa mission. Concrètement, cela signifie que tous les enseignants, quelle que soit leur matière, sont des enseignants de Français et cela implique aussi , par corrélation, que les pédagogies dites ,différenciée et par projets, sont ici plus qu'ailleurs préconisées et indispensables. La pédagogie dite magistrale conduit à un échec cuisant et frustrant pour tout enseignant qui refuserait de s'adapter à ce contexte très particulier qu'est la Guyane. Si vous pouvez apprendre la langue de vos élèves, faîtes-le, cela vous aider dans le travail, la perception qu'ils auront de vous et surtout, cela vous aidera dans la communication avec les parents dont les enfants sont en difficulté scolaire .
Un autre handicap de l'éducation " sur les fleuves " est lié aux conditions matérielles des enseignants sur place. Dans certains villages, Grand Santi, Camopi auxquels s'ajoutent ceux des territoires amérindiens ( pour ne pas les nommer ... ) les conditions de vie et de travail sont extrêmement difficiles . Outre les problèmes d'approvisionnement en eau, électricité, alimentation, les collègues sur place doivent faire face à un manque de moyens pérenne (pas ou peu de livres ( y compris des livres récents ), pas ou peu d'accès internet etc ... ) , des problèmes d'insalubrité dans certaines écoles (voir les vidéos de Guyane 1ère sur You Tube par exemple ), un manque cruel de logements suffisants et adéquats (rien n'est meublé, il faut tout faire venir par pirogue ce qui coûte au minimum 1000 euros.... ) etc ... De tout ceci découle un " turn-over " incessant des enseignants, qu'ils soient titulaires ou non ( "sur les fleuves", 90 pour cents des enseignants ne sont ni titulaires ni vraiment formés au métier non plus ...)... ce qui se traduit dans les faits par une répétition constante des mêmes programmes, des mêmes chapitres d'une année sur l'autre !! Comment voulez-vous donc que les enfants progressent s'il n' y a pas un minimum de continuité dans les programmes, que les enseignants ne sont pas ou peu formés, que ces mêmes enseignants n'aient pas conscience des différences culturelles et que rien ne soit transmis entre les enseignants eux-mêmes au moment de leur départ ??? C'est impossible ... et ce fléau commence dès le Primaire et se poursuit jusqu'en 3 ème !!
Tout ceci pour dire que même si vous ou votre conjoint(e) allez enseigner en Collège ou en lycée, et bien, il est fort à parier que vos élèves ne sauront ni lire ni écrire ... autant le savoir avant votre départ et préparer votre mallette pédagogique en conséquence. En 6 ème, les élèves ont en général un niveau CE 1 / CP et quelques uns un niveau CM2 ( mais c'est rare, dans mon expérience en tout cas ). Pour les profs de Collège, je pense qu'il faut "se mentaliser" pour enseigner à des primaires ( dans la forme et le fond ) et amener progressivement vos élèves là où vous voulez qu'il arrivent. Si vous vous basez sur le niveau des manuels, vous allez "les perdre " dès la première semaine et ce sera impossible de les gérer par la suite ( car il y aussi le comportement des élèves qui pose problème en Guyane ... ).
De même, et étant données les difficultés de communication par internet, je vous invite à télécharger à l'avance et en métropole tout ce qui pourrait vous être utile d'un point de vue pédagogique. Les enfants qui n'ont pas la TV à la maison et qui n'ouvrent jamais un livre en dehors de l'école, sont très "friands "de ce type de support et cela peut aider à captiver leur attention et/ou les motiver ( mais attention le danger serait de ne faire cours qu'avec cela et cela aussi est dangereux et anti-pédagogique à mon sens !! ).
Enfin, il est bon d'avoir quelques repères culturels concernant les élèves Bushinengue ou Amérindiens et ce afin de comprendre leurs réactions et leur comportement en classe. Si les premiers sont assez "agités " (hyper-actifs diraient certains ) , les seconds ont tendance à être extrêmement passifs, ce qui peut être tout aussi déstabilisant pour les enseignants. Dans les deux communautés, on ne regarde jamais un enseignant ou un adulte dans les yeux car ce serait interprété comme de l'irrespect ! Il est donc inutile de dire à un de ces élèves : " Regarde-moi dans les yeux quand je te parle !! " car il ne vous comprendra pas .... De même, évitez de donner du travail à faire à la maison car il y a peu de chance qu'il soit fait, surtout si c'est la veille pour le lendemain .... Les enfants travaillent à l'abattis ( les champs ) avant et après l'école et participent à toutes les tâches ménagères de façon quotidienne et par conséquent, ils n'ont pas le temps de faire leurs devoirs .... De même, chez les Bushinengue, la polygamie étant tjrs d'actualité, et les Mamans élevant seules leurs enfants ( les fratries peuvent aller jusqu'à 10 enfants voir plus ), ce sont les aînés qui préparent à manger, lavent les petits, les couchent etc .... Il y aura donc certainement parmi vos élèves des enfants dans cette situation et après une journée de douze heures et plus, ils n'auront donc " pas la tête" aux devoirs ou à l'école !! Enfin, certains élèves se lèvent tous les matins à 5.00 pour prendre la pirogue et se rendre à l'école ( à St Laurent, les " grands " font du stop mais c'est tout aussi dangereux ... ) et bcp d'entre eux viennent à l'école le ventre vide .....
Je ne souhaite pas décourager les enseignants qui veulent venir travailler en Guyane. C'est une expérience formidable mais à condition de " laisser à l'entrée " toutes vos idées et pratiques pédagogiques habituelles. Travailler en Guyane est comme travailler dans les banlieues difficiles, je pense ( les difficultés sociales des familles, difficultés de communication avec ces mêmes familles etc ... ) et cela exige une vocation et une énergie de tous les instants ! Ceci dit, si vous suivez mes conseils ( bien modestes ), je puis vous garantir que votre expérience n'en sera que bénéfique et positive ! Un de mes profs de fac disait " que l'on enseigne ce que l'on est " ! C'est vrai , mais il est aussi vrai que l'on ne peut faire progresser ses élèves que si l'on prend la peine de les connaître, de savoir d'où ils viennent, ce qu'ils vivent au quotidien une fois passés les barrières de l'école etc ... et c'est seulement à ce moment là que la confiance s'installera et que vous pourrez travailler AVEC et POUR eux !! J'ai trente ans de métier, plus de 20 pays à mon actif mais j'ai dû TOUT réapprendre en Guyane... Cela a été difficile, voire douloureux mais j'ai bcp appris et continue d'apprendre tous les jours !! Tout ceci pour dire que ce n'est pas l'expérience, "votre expérience " du métier, qui fera de votre séjour une réussite ou pas mais votre capacité à vous adapter, à vous remettre en question et votre habilité à ouvrir les yeux tout autour de vous, tout le temps et partout !!
Bonne installation et surtout je vous souhaite de faire de belles rencontres (pédagogiques et humaines ) !