Comment le départ de Jacinda Ardern va impacter l'immigration en Nouvelle-Zélande

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Publié le 2023-01-27 à 10:00 par Ameerah Arjanee
Après cinq ans en tant que Première ministre de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern a soumis sa démission le 19 janvier. Elle a, depuis, été remplacée par son collègue du Parti travailliste, Chris Hipkins. Si Jacinda Ardern a mis de l'avant l'épuisement professionnel comme principale raison de sa démission, celle-ci intervient dans le sillage de la chute de sa popularité. Sa politique d'immigration visant à rendre le système plus sélectif a changé entre 2017 et 2020 et entre 2020 et 2022.

De nombreuses promesses électorales initiales d'Ardern ne se sont pas concrétisées.

En décembre 2022, un mois avant la démission d'Ardern, la cote d'approbation de son parti était à un niveau historiquement bas de 27,5 %, ce qui représentait, comme le souligne la société de statistiques Roy Morgan Research, une baisse de 22,5 % par rapport à sa réélection en 2020. Comme le rapporte le magazine néo-zélandais Stuff, elle discutait depuis décembre d'une potentielle démission avec les membres de son parti, notamment avec le nouveau Premier ministre Chris Hipkins. La décision prise le 19 janvier n'était pas un coup d'éclat, mais une décision prise après un mois de discussions avec ses collègues.

Sur le forum d'Expat.com, un expatrié français en Nouvelle-Zélande sous le pseudo de jeremyNZ s'exprime sur la démission de Mme Ardern. À ses yeux, l'image positive d'Ardern, qui se présente comme une personne « compatissante et empathique », masque l'absence de résultats concrets de ses politiques et initiatives. Il cite l'immigration, le logement et les transports parmi les dossiers sur lesquels elle n'a pas réussi à faire des progrès concrets, même s'il reconnaît son excellente gestion de crise au début de la pandémie en 2020 et lors de la fusillade de Christchurch en 2019.

Les raisons citées par jeremyNZ sont reprises par de multiples analystes politiques, médias et membres de l'opposition. Dans le Guardian, la journaliste Virginia Harrison a résumé les réactions positives et négatives face aux différentes décisions d'Ardern entre 2017 et 2022. Elle a été largement saluée pour sa gestion efficace des premières phases de Covid-19, mais ses politiques intérieures plus larges ont fait l'objet de critiques. Par exemple, de nombreux détracteurs affirment que sa promesse électorale de rendre les logements abordables grâce au dispositif KiwiBuild n'a pas permis d'empêcher d'accentuer des inégalités en matière de logement au cours de ses cinq années au pouvoir.

L'un des objectifs d'Ardern : réduire l'immigration d'un tiers

Une partie du bilan d'Ardern qui a fait l'objet de critiques au niveau national est la façon dont ses promesses électorales initiales concernant l'immigration sont restées lettre morte. Lors de sa première élection en 2017, Ardern avait promis de réduire de 20 000 à 30 000 le nombre annuel d'immigrants en Nouvelle-Zélande, qui est d'environ 70 000, c'est-à-dire d'un tiers.

Ardern avait déclaré à Reuters en 2017 qu'elle voulait réduire le nombre d'immigrants afin « d'avoir un système d'immigration qui fonctionne pour la Nouvelle-Zélande », de pouvoir accepter de manière sélective les expatriés ayant des compétences nécessaires dans les régions rurales de la Nouvelle-Zélande, et d'atténuer la pénurie de logements à Auckland qui est en partie causée par la surpopulation urbaine. Sa ligne dure en matière d'immigration était aussi en partie une concession au parti nationaliste New Zealand First Party, dont elle avait besoin pour former un gouvernement de coalition. En effet, elle avait nommé son chef de file, Winston Peters, comme Premier ministre adjoint lors de son premier mandat.

Cependant, sur la période de 2017 à 2019, l'immigration n'a jamais réussi à baisser. Dans le Sydney Morning Herald, Roshena Campbell, conseillère municipale de Melbourne, membre du Parti libéral de l'opposition, souligne comment l'immigration nette était passée de 55 000 en octobre 2017 (le mois où Ardern est devenue PM) à 79 000 en décembre 2019, avant la pandémie de Covid-19. Les chiffres de l'immigration n'ont baissé qu'à cause de la pandémie, et non à cause d'une politique d'immigration spécifique, fait ressortir Campbell.

La pénurie de main-d'œuvre postpandémique a contraint Ardern à assouplir sa politique d'immigration

La pandémie a tout changé dans la politique d'immigration d'Ardern. Comme peu de personnes ont pu entrer en Nouvelle-Zélande en 2020, 2021 et une grande partie de 2022, l'immigration a chuté d'elle-même. Statz NZ révèle une baisse de 44 % du nombre d'immigrants entre 2021 et 2022. Cela a entraîné une grave pénurie de main-d'œuvre dans le pays, qui a depuis lors nécessité des politiques plus pro immigration. Ardern a dû faire marche arrière par rapport à sa promesse électorale initiale de réduire l'immigration d'un tiers.

En 2021, au plus fort de la pandémie, le gouvernement d'Ardern a déclaré qu'il commencerait à se concentrer sur les voies d'immigration hautement qualifiées et bien rémunérées une fois que la frontière pourrait être ouverte. Cela impliquerait d'augmenter les exigences minimales (éducation, salaire et autres) pour les migrants qualifiés et de rendre le test du marché du travail avant l'embauche plus stricte. Elle a également commencé à accorder plus d'importance au visa d'investisseur dédié aux expatriés fortunés. Contrairement à 2017, elle n'a pas créé de chiffre d'immigration cible, affirmant que ce sont désormais les résultats pour le pays et non les « chiffres bruts » qui importent.

En 2022, alors que les frontières se rouvraient et que la pénurie de main-d'œuvre s'aggravait, Ardern a dû assouplir davantage l'immigration, à l'opposé de ses promesses politiques initiales. Le nombre de visas vacances-travail (VVT) pour les jeunes travailleurs à court terme a été augmenté de 12 000 à titre de mesure temporaire pour combler la pénurie de main-d'œuvre dans des secteurs comme le tourisme et l'agriculture. En décembre 2022, un mois avant sa démission, alors qu'elle s'exprimait dans la populaire émission matinale AM, elle a fait allusion à des « ajustements » à venir dans le système d'immigration. Ces « ajustements » devraient aider la Nouvelle-Zélande à rivaliser avec d'autres pays populaires en attirant les meilleurs talents mondiaux dans des secteurs critiques comme les soins de santé.

Même si Ardern a un bilan mitigé sur le plan politique, certains expatriés en Nouvelle-Zélande estiment que les idéaux qu'elle représentait leur manqueront. Lywuist, un autre expatrié français en Nouvelle-Zélande, déclare sur le forum d'Expat.com que les « Jacinda / Trudeau / Macron » représentaient une « nouvelle génération de jeunes leaders politiques qui apportent une vision différente de la politique, plus progressiste, plus humaine » en contraste avec les hommes forts autoritaires comme Trump. Il craint que le vide laissé par sa démission ne facilite davantage l'émergence d'hommes forts (« Que nous réserve l'avenir si un autre Trump ou Boris ? »).

Les chefs d'entreprises dans les secteurs du tourisme et de l'agriculture en Nouvelle-Zélande affirment que l'immigration devrait être une priorité pour le nouveau Premier ministre, Chris Hipkins. Dans le magazine Stuff, le directeur général de Business New Zealand, Kirk Hope, a déclaré que les entreprises ont un besoin urgent de travailleurs qualifiés et de politiques d'immigration stables.

Après avoir rencontré des chefs d'entreprise à la fin du mois de janvier, Hipkins a déclaré qu'il n'excluait pas de modifier les règles d'immigration. Il espère trouver un juste équilibre entre une immigration qualifiée et sélective et « l'activation de la main-d'œuvre néo-zélandaise et la mise au travail des Kiwis ». Mais comme les prochaines élections générales doivent avoir lieu en octobre 2023, on ne sait pas encore si Hipkins sera en poste assez longtemps pour mettre en œuvre ces politiques.