Crise immobilière : quelle est la situation dans le monde ?

Vie pratique
  • immobilier
    Shutterstock.com
Publié le 2022-11-29 à 10:00 par Asaël Häzaq
Coup de chaud sur les prix de l'immobilier. L'envolée se faisait déjà sentir avant la crise sanitaire. Elle continue depuis. L'immobilier reste une valeur refuge forte, surtout en cas de crise. Mais tous les indicateurs sont au rouge. La situation est particulièrement critique en Chine, et fait trembler les autres marchés du monde. Amérique du Nord, Europe, Afrique du Nord, Asie… Entre surchauffe et essoufflement, la crise de l'immobilier souffle le chaud et le froid dans le monde. Portrait de ces pays touchés par la crise immobilière.

Vers une bulle immobilière mondiale ?

Devenir propriétaire, un rêve inatteignable ? C'est le sentiment de millions de locataires et primo-accédants bloqués dans leurs objectifs. Emprunter coûte plus cher, et les banques opèrent une sélection plus fine des dossiers. Le marché de l'immobilier est par nature sensible aux taux d'intérêt. Des taux bas favorisent le crédit et poussent à l'achat. Ils peuvent aussi conduire à une augmentation des prix des logements (demande supérieure à l'offre de logements, spéculation). Quand les taux remontent, la vis se resserre pour des milliers de ménages. Les banques sont plus frileuses à accorder des crédits. Beaucoup de pays sont actuellement concernés par ces hausses de taux d'intérêt.

Pour pallier l'inflation, de nombreuses Banques centrales augmentent leur taux directeur. Début octobre, la Banque centrale néo-zélandaise a relevé son taux pour la 8e fois en à peine un an. La FED (Réserve fédérale américaine), la Banque centrale sud-africaine, la Banque centrale canadienne, la BAM (Banque centrale marocaine) ou encore, la Banque centrale européenne ont toutes relevé leurs taux d'intérêt. La Banque du Japon est l'une des rares à maintenir des taux d'intérêt bas, défiant la tendance mondiale. La 3e puissance mondiale mise sur la stimulation de la demande et espère contenir l'inflation à 3 %. Un faible niveau comparativement aux autres pays, mais historique pour l'archipel. Le yen dévisse face au dollar (1 dollar vaut près de 150 yens). Le pays puise dans ses réserves de devises pour stabiliser le yen. Les entreprises d'exportation anticipent une récession en Europe et aux États-Unis, mais celles qui importent, notamment des matières premières pour la construction de logements, subissent les effets de la crise.

Des logements de plus en plus chers

Les logements sont bien là, mais qui pourra les acheter ? Au Japon, les prix de l'immobilier sont en hausse régulière depuis les années 2010. Ils connaissent une envolée à partir de la Covid. Mais beaucoup de Japonais n'ont plus les moyens d'acheter, dans l'ancien comme dans le neuf. Au Portugal, la spéculation immobilière frappe des ménages précaires. Le pays du nomadisme numérique et du golden visa (qui risque très prochainement d'être aboli) ne cesse d'attirer des étrangers aux revenus biens supérieurs à ceux des locaux, qui font grimper les prix des logements. À Lisbonne, c'est la saturation. De nombreux habitants sont contraints de quitter leur habitat.

Dans le pays voisin aussi, c'est la surchauffe. À peine 14 après la précédente crise immobilière (conséquence de la crise des subprimes aux États-Unis), l'Espagne est-elle de nouveau dans une bulle immobilière ? Selon le Conseil général du notariat, les prix ont augmenté d'environ 5,1 % en 2021, avec des pics dans les cités touristiques : Madrid (7,1%), Canaries (7,9%), Andalousie (8,1%), Baléares (14,2%). Si l'euphorie immobilière n'inquiète pas pour l'instant (les acheteurs achètent, les vendeurs vendent, le marché est dynamique), elle invite à la plus grande prudence. Ailleurs, la prudence laisse place à la vigilance extrême. Certains pays sont dans le rouge, comme en Chine.

Zoom sur 4 États face à la crise de l'immobilier

Chine

Faut-il s'inquiéter de la crise de l'immobilier en Chine ? Le secteur, pilier de l'économie, représente plus d'un quart du PIB chinois. La chute d'Evergrande en 2021, alors numéro 1 chinois de l'immobilier, sonne comme un avertissement. Il était pourtant le symbole de la puissance immobilière chinoise. Il symbolise désormais la crise immobilière du pays, avec une dette estimée à environ 300 milliards de dollars. Et la chute se poursuit. En 2022, c'est une filiale de l'ex-numéro 1 de l'immobilier qui est condamnée à verser 1,3 milliard de dollars. Dans son effondrement, Evergrande entraîne, et ses filiales, et d'autres promoteurs petits ou grands. Submergées par des dettes abyssales, les entreprises immobilières chinoises n'arrivent plus à honorer leurs contrats. Les chantiers sont à l'arrêt pendant des mois ou des années, les constructeurs et producteurs de matériaux sont fragilisés, les propriétaires, abandonnés à leur sort. Des victimes collatérales aspirées dans la chute du secteur immobilier.

La riposte s'organise chez les propriétaires lésés, qui se sont souvent endettés pour accéder à la propriété. Environ 1 million d'entre eux refuse d'honorer leur crédit immobilier tant que leur logement ne sera pas terminé. Fait rare en Chine, des manifestations s'organisent, témoins de l'ampleur de la crise. Manifestations souvent réprimées par les autorités. Désespérés et endettés, certains propriétaires se résignent à habiter dans des logements non terminés. Les autorités locales restent sourdes à leurs appels. Les ouvriers aussi se désespèrent. Ils quittent les chantiers, faute d'être payés. Aucune aide, aucun soutien face à un marasme qui impacte toute l'économie du pays. Que fait Xi Jinping ? Après des années d'euphorie, à coups de course aux prêts immobiliers aux promoteurs et aux acheteurs (à partir de la réforme du logement de 1998), le marché s'est envolé. Quand Pékin intervient en 2021 pour durcir les conditions d'accès au crédit, il est déjà trop tard. Les promoteurs, étranglés par la dette, entraînent tous les autres acteurs économiques dans leur chute. Pour arrêter la dégringolade, et surtout, ne pas perdre la confiance des investisseurs et des acheteurs, Pékin prévoit plus de 150 milliards d'euros de prêts pour assainir les finances des promoteurs. Pas sûr que cela suffise à endiguer la crise.

Maroc

La Covid-19 n'a pas arrangé les affaires de l'immobilier marocain. En crise depuis plusieurs années, le secteur connaît une nouvelle plongée depuis la pandémie. La guerre en Ukraine marque un nouveau coup dur pour les entreprises du bâtiment, qui ne peuvent suivre les hausses des cours des matières premières. En avril dernier, Anice Benjelloun, vice-président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI), analyse l'ampleur du problème : « L'immobilier va mal. Très mal. On note un ralentissement net de l'activité voire même l'arrêt de plusieurs chantiers à cause de, non seulement, l'augmentation vertigineuse des prix constatés sur le marché depuis plus d'un an, mais aussi et surtout la pénurie de certains matériaux de construction comme les fils électriques, le verre... » (cité par L'Observateur du Maroc et d'Afrique).

L'envolée des prix des matériaux engendre un surcoût de production de 20 à plus de 30 %. Des surcoûts qui retombent sur les promoteurs et sur les acheteurs. L'effet boule de neige prend de l'ampleur et étrangle tout un secteur. Les promoteurs doivent-ils augmenter leurs tarifs au risque de léser des particuliers déjà engorgés par la crise ? Que faire pour ceux qui ne pourraient pas payer ? Selon la banque Al Maghrib, l'indice sectoriel de l'immobilier a chuté de 23 % en mars 2022. Une situation qui perdure toujours, malgré l'implication du gouvernement. Pour soulager les entreprises du BTP, le pouvoir a mis en place un pack de mesures, comprenant notamment des index de prix appliqués aux marchés de travaux et la révision des délais d'exécution des travaux. Une aide aux contours flous, et qui ne concerne que le secteur public, alors la majorité des promoteurs évolue dans le privé.

Pour relancer la machine, Fatima Ezzahra El Mansouri, ministre de l'Aménagement du territoire national, de l'Urbanisme, de l'Habitat et de la Politique de la ville, compte lancer un vaste programme de logement pour les classes moyennes et modestes. C'est justement ce que demandent les promoteurs et professionnels du foncier. Une refonte du marché « en profondeur ». Car le foncier aussi est en surchauffe, malgré une légère baisse des prix (2,9%) au premier trimestre 2022. Sur le terrain, les acteurs ne voient aucune amélioration, et plaident pour un allègement de la législation les autorisant à loger plus de monde dans un bâtiment (en ajoutant un étage dans les zones limitées à un nombre d'étages précis, par exemple). En attendant les effets de ce programme de relance, les professionnels de l'immobilier ne se font pas d'illusion : 2022 est encore une année de crise.

France

Crise ou pas ? En France, les professionnels du secteur parlementent. Certains alertent sur le risque d'effondrement du secteur immobilier. D'autres ne parlent que d'un simple ralentissement en 2022. D'autres encore voient 2022 comme une bonne année, avec 1,1 million de transactions immobilières réalisées. La hausse des prix, elle, est bien réelle, avec + 5,6% en moyenne sur un an.

Les ménages voient s'éloigner de plus en plus le rêve de devenir un jour propriétaires. L'inflation accentue les disparités entre les individus. Les moins solvables deviennent encore moins rentables. Parmi eux, beaucoup de primo-accédants. Or, ils représentent environ 60% des acquéreurs de logements anciens comme neufs. Les primo-investisseurs rencontrent des difficultés comparables, étranglés par une dette qu'ils peinent à rembourser. On oublie souvent que les investisseurs ne sont pas toujours de grands groupes. De nombreux particuliers se sont lancés sur le marché immobilier, une valeur refuge, surtout en temps de crise. Or, l'inflation fait peser sur les épaules des petits investisseurs un surcoût imprévu.

Mais pour Xavier Timbeau, directeur principal à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le risque majeur est ailleurs. « […] L'impact de la crise économique et énergétique sur l'immobilier sera minime, comparé à l'effet direct de la hausse des taux de crédit. » Le 28 septembre, la Banque de France annonce que le taux maximum légal du crédit immobilier passera de 2,57 à 3,05 % pour un emprunt de 20 ans et plus. La mesure est effective depuis le 1er octobre. Une fausse bonne nouvelle. Les banques, qui empruntent à des taux un peu plus élevés chaque jour, augmentent elles-mêmes leurs taux. En bout de chaîne, c'est le petit emprunteur qui trinque. La loi encadre toujours le taux d'endettement maximal à 35 % pour les prêts immobiliers. Or, avec une même somme d'argent, les ménages acquièrent aujourd'hui des logements environ 15 % plus petits qu'en 2021. La hausse des taux d'intérêt comprime le budget des ménages, qui reportent leurs projets d'achat. La France est-elle dans une bulle immobilière ? Les experts s'interrogent encore. Une chose semble sure : le nombre de transactions immobilières devrait reculer en 2023.

Canada

Assiste-t-on à un éclatement de la bulle immobilière canadienne ? La Banque du Canada a augmenté les taux directeurs à plusieurs reprises (taux d'intérêt fixés par la Banque centrale d'un État), entraînant une baisse des prix de l'immobilier, conséquence d'une baisse du nombre de transactions immobilières. Cela suffira-t-il à endiguer la crise ? Selon la banque suisse USB, Toronto serait la première ville « à risque » de subir l'éclatement de la bulle immobilière. Vancouver vient en 6e position. L'État préfère rester optimiste. « Les mises en chantier sont en hausse de 50 % par rapport à la moyenne des 10 dernières années. On a des programmes pour les logements sociaux, pour les logements abordables, des suppléments aux loyers », indiquait le ministre des Finances du Québec Éric Girard, en juin dernier (citation Radio-Canada – zone économie). Mais le gouvernement reconnaît aussi que la situation des ménages endettés s'aggrave. En 1999, 6,5 % des ménages avaient une dette dépassant 350 % de leurs revenus. En 2021, ils sont 18,7 %. La Covid a aggravé la situation, avec beaucoup de ménages qui se sont endettés pour acheter une propriété. Pour la Banque du Canada, « une part croissante de ménages se sont mis dans une situation financière précaire pour acheter une propriété dans un contexte de prix élevés des logements ». Une précarité des ménages qui a augmenté avec l'inflation.

Au Canada, le prix moyen d'un logement a bondi de 50 % depuis 2019. La décrue s'amorce depuis cette année, et devrait se poursuivre en 2023, avec une baisse des prix évaluée à environ 15 %. Mais comment stimuler la demande ? La Banque du Canada alerte sur le nombre de ménages endettés et surendettés, qui ne cesse d'augmenter. Si le nombre d'offres et de demandes de logement semble enfin se rejoindre dans certaines régions (en début d'année, on pouvait encore trouver une offre d'achat pour une trentaine d'acquéreurs potentiels), beaucoup de logements restent toujours inabordables pour de nombreux individus.