Étude d'impact sur le marché du travail : un frein à l'expatriation ?

Vie pratique
  • groupe d'employes
    Shutterstock.com
Publié le 2022-08-03 à 11:00 par Asaël Häzaq
Au Canada, les employeurs doivent mener une Étude d'Impact sur le Marché du Travail (Labour Market Impact Assessment ; LMIA) avant d'embaucher des étrangers. En clair, ils doivent montrer qu'ils ne sont pas parvenus à embaucher de Canadiens, malgré tous les recours utilisés. D'autres États appliquent des règles similaires. Mais ces mesures se justifient-elles en période de pénurie de main-d'œuvre ? La procédure ne risque-t-elle pas de freiner les embauches ?

Étudier le marché du travail avant de recruter un étranger : l'exemple canadien

Qu'on se rassure : la LMIA (ou l'EIMT) n'est pas obligatoire. Ce système permet à l'entreprise de prouver que l'emploi qu'elle propose n'a pas trouvé preneur auprès d'un Canadien ou d'un résident permanent. Le gouvernement canadien précise que seuls « les employeurs de certains types de travailleurs temporaires ont besoin d'une EIMT », étude nécessaire pour que l'étranger puisse demander un permis de travail. Les employeurs recrutant dans le cadre du « Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) » doivent au préalable réaliser une EIMT. Ceux qui embauchent via le « Programme de mobilité internationale » en sont dispensés.

L'EIMT permet de savoir si l'entreprise recrute un étranger pour faire face à une pénurie de main-d'œuvre, ou pour combler un besoin de compétence spécifique dans un domaine. Cependant, face à la crise sanitaire et la crise économique, le Canada a plus que jamais besoin de main-d'œuvre. D'autant plus que l'étude est payante, et que son coût ne cesse d'augmenter. Une entreprise doit aujourd'hui dépenser 1000 dollars pour une étude d'impact. C'est 245 dollars de plus qu'il y a quelques années. De plus, la procédure peut être longue selon le type de poste, le secteur d'activité, et la localisation de l'entreprise. Il faut en moyenne compter quelques semaines à quelques mois. Les EIMT pour les postes ultra-qualifiés, les postes les mieux rémunérés et les permis de travail très courts (120 jours maximum) sont traitées plus rapidement (sous 10 jours). Mais cette étude est-elle utile dans un contexte de pénurie de main-d'œuvre ?

Pénurie de main-d'œuvre et emploi des étrangers : comment font les autres États ?

Comment font les autres États ? En France, les entreprises publiques ou privées voulant embaucher des étrangers doivent au préalable demander une autorisation de travail. Les étrangers titulaires d'une carte de séjour, de résident, d'un permis vacances travail (PVT), etc., ne sont pas concernés par la demande. L'employeur doit publier son offre d'emploi auprès du service public pendant 3 semaines, avec sa demande d'autorisation de travail. Si l'offre d'emploi ne trouve pas preneur 3 semaines après sa publication, la demande de l'employeur est étudiée par le préfet, qui l'examine eu égard au marché de l'emploi dans son secteur, et répond sous 2 mois. Si aucune réponse n'est donnée dans les 2 mois, la demande est refusée.

D'autres États appliquent des dispositions similaires, comme l'Espagne. C'est à l'employeur espagnol de demander une autorisation de travail pour embaucher un salarié étranger. Là encore, le marché de l'emploi doit justifier cette embauche. Aux États-Unis, il faut au préalable obtenir un certificat auprès du ministère du Travail. Là encore, il faudra démontrer qu'aucun travailleur américain n'a les compétences pour l'offre d'emploi proposée.

Cette procédure est-elle dépassée par la pénurie de main-d'œuvre ? Au Canada, la pénurie touche tous les secteurs. En février, 337 000 nouveaux emplois sont créés. C'est 73 000 le mois suivant (chiffres : journal français le Figaro). Le gouvernement réagit en facilitant l'accès au PTET, le Programme des travailleurs étrangers temporaires. Car beaucoup d'employeurs se plaignent de la lourdeur administrative, peu compatible avec l'urgence d'embaucher. Or, le PTET nécessite de recourir à la EIMT, l'étude d'impact sur le marché du travail. Sean Fraser, ministre de l'Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, promet plus de « souplesse » et de « soutien aux employeurs qui souhaitent accroître leur effectif et prendre de l'expansion. »

Quand le marché du travail s'adapte à l'urgence économique

Face à la crise et au manque de main-d'œuvre, les États tentent de s'adapter. Aux États-Unis, la politique de l'ex président Trump puis la pandémie ont mis à mal la mobilité internationale. Or, l'économie américaine repose en grande partie sur les travailleurs étrangers. Entre 2010 et 2018, ils ont représenté « près de 60% de la croissance de la main-d'œuvre américaine » (chiffres Goldman Sachs). Dans l'hôtellerie et la restauration, il manquerait plus d'un million de travailleurs. Certaines entreprises optent pour les robots, faute de trouver de la main-d'œuvre.

Il est peu probable que les études d'impact sur le marché du travail disparaissent. Les États maintiennent la priorité aux talents locaux et résidents étrangers déjà présents sur le territoire, avant de faire appel à la main-d'œuvre internationale. Il est plus envisageable que ces études s'assouplissent en fonction des besoins de main-d'œuvre. Les secteurs reconnus comme « en crise majeure » ont plus de chance de bénéficier de ces ajustements, pour faciliter l'embauche des salariés étrangers. D'autant plus que dans cette urgence économique, les États sont en concurrence les uns avec les autres. Chacun veut accueillir sur son territoire les talents internationaux. Les organismes de défense des immigrés rappellent aux États d'intervenir également sur le plan des droits. Le retour de la mobilité internationale doit, pour eux, aller de pair avec une meilleure protection des travailleurs étrangers.