Pourquoi l'Australie mise sur le retour des étudiants étrangers

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Publié le 2022-07-06 à 11:00 par Ameerah Arjanee
Les pénuries de main-d'œuvre, combinées aux réductions budgétaires depuis le début de la pandémie, ont affecté l'immigration en Australie de manière significative. Ajoutons à cela le délai de traitement d'environ 15 000 demandes de visas, y compris les visas étudiants, actuellement prioritaires pour le gouvernement australien.

Le processus de demande de visa étudiant en Australie, souvent long et inefficace, peut s'avérer décourageant. Selon le ministère de l'Intérieur, le délai de traitement moyen pour les visas étudiants est de 4 à 6 semaines. Cependant, la pandémie de Covid-19, résultant en une fermeture prolongée des frontières, a rallongé ce délai de manière significative. En 2022, l'obtention d'un visa étudiant peut prendre 10 semaines à 3 mois après le dépôt de la demande. À savoir que certains étudiants originaires d'Inde ou encore d'Iran ont été contraints d'attendre 2 ans pour connaître la marche à suivre.

Évidemment, ces retards ont eu des conséquences importantes sur les projets d'expatriation et d'études supérieures de milliers de jeunes dans le monde entier. Certains d'entre eux n'ont pas eu d'autre choix que de reporter leur inscription d'un semestre voire d'une année après avoir raté leurs dates de début d'études. D'autres ont tout simplement préféré annuler leurs candidatures et choisi de se tourner vers d'autres pays où les conditions d'entrée et d'inscription étaient plus souples. De plus, l'immigration australienne a récemment dû faire face à diverses fraudes dont les auteurs seraient des agents de voyages en Inde. Une situation qui a encore une fois impacté les activités ralenties du département de l'immigration.

Andrew Giles, ministre de l'Immigration, de la Citoyenneté, des Services aux migrants et des Affaires multiculturelles de l'Australie, a pris l'engagement de revoir les politiques des visas existantes et d'allouer des ressources suffisantes afin de réduire les temps d'attente pour l'octroi de visas étudiants avant la prochaine année universitaire. Le Premier ministre Antony Albanese estime, quant à lui, que l'immigration à court terme devrait permettre de répondre temporairement à la pénurie nationale de main-d'œuvre qualifiée dans certains secteurs. Selon le ministre Giles, empêcher la fuite des cerveaux internationaux vers des pays concurrents devrait servir de preuve que l'Australie reste « la société multiculturelle la plus prospère au monde ».

La population étudiante en Australie en quelques chiffres

L'Australie fait partie des 5 meilleures destinations au monde pour les études à l'étranger. L'éducation australienne est très recherchée non seulement en raison de la réputation des universités et autres institutions d'enseignement supérieur à l'international, mais aussi en raison de la disponibilité de bourses internationales et du fort multiculturalisme du pays. Il est d'ailleurs intéressant de noter que sept universités de recherche australiennes sont répertoriées dans le QS World University Rankings 2022-2023.

Selon les chiffres dont dispose le ministère de l'Éducation, des Compétences et de l'Emploi, en 2019, soit un an avant la pandémie de Covid-19, quelque 178 000 étudiants étrangers étaient inscrits dans un cursus universitaire et 170 000 autres dans un cursus VET (Vocational Education and Training) en Australie. La Nouvelle-Galles du Sud, l'État du sud-est de Sydney, est l'une des régions dotée de la plus forte proportion d'étudiants étrangers.

En revanche, le nombre d'inscription d'étudiants étrangers en Australie a considérablement chuté ces deux dernières années en raison de la pandémie. L'ICEF Monitor démontre que l'afflux d'étudiants étrangers a baissé de 7 % en 2020 et de 17 % supplémentaires en 2021, après que le pays a fermé ses frontières aux ressortissants étrangers. Cette baisse a résulté non seulement en une baisse de revenus au niveau national généré par les frais de scolarité avancés par les étudiants étrangers mais aussi une pénurie de main-d'œuvre qualifiée dans de nombreux secteurs.

Le gouvernement australien envisage donc, sous les directives d'Anthony Albanese et du ministre de l'Immigration Andrew Giles, de faire de l'arrivée des étudiants étrangers et de l'accélération du traitement des visas étudiants une priorité. Ceci dans le but d'attirer encore plus d'étudiants étrangers dans le but de retourner aux niveaux pré pandémiques.

La reprise économique des universités australiennes

Les revenus provenant du secteur de l'enseignement supérieur en Australie ont augmenté constamment depuis le milieu des années 1990. Selon l'organisation Universities Australia, ce secteur a atteint un niveau record de 41 milliards de dollars en 2018. L'enseignement supérieur fait donc partie des quatre principaux piliers économiques du pays, garantissant près de 260 000 emplois grâce aux revenus générés.

Le modèle commercial des universités australiennes repose sur les frais de scolarité élevés imposés aux étudiants étrangers. Ces frais ont tendance à être deux fois supérieurs à ceux payés par les étudiants australiens. De plus, les étudiants étrangers contribuent à l'économie australienne par divers moyens, notamment en termes de frais de subsistance (loyer, assurance santé, alimentation, loisirs, entre autres), sans oublier qu'ils sont également nombreux à occuper des postes à temps partiel, y compris en tant qu'assistants de recherche.

La pandémie de Covid-19 a malheureusement contraint le gouvernement australien à faire un choix : celui d'accorder la priorité à la santé et à la sécurité de ses habitants. Lorsque le pays a fermé ses frontières internationales en mars 2020, toutes les demandes de visas étudiants sont restées en suspens. Certains étudiants étrangers n'ont été autorisés à entrer ou à revenir que deux années plus tard, soit en décembre 2021 ou en février 2022 lorsque l'Australie a complètement rouvert ses frontières. Qui plus est, de nombreux étudiants australiens estiment que le gouvernement n'a pas été en mesure de fournir d'informations suffisamment claires sur les conditions et les horaires de réouverture.

Ainsi, pour la première fois en près de 3 décennies, plusieurs universités australiennes accusent un déficit de revenus, soit 15 sur 38, selon une étude réalisée par l'Université de Victoria. Seules les trois universités les plus prestigieuses du pays, à savoir, l'Université de Monash, l'Université de Melbourne et l'Université de Sydney, ont pu réaliser d'importants excédents en 2020. Le secteur lucratif des ELICOS (cours d'anglais) a également reculé de 47 % pendant la pandémie.

Selon l'Australia Institute, un cinquième des employés du secteur de l'enseignement supérieur (quelque 40 000 personnes) ont été licenciés pendant la crise. La reprise économique de ce secteur est donc cruciale pour que ces derniers puissent retrouver leurs emplois respectifs.

Comment augmenter et diversifier les inscriptions aux universités australiennes ?

Si l'Australie ne ramène pas ses nombres d'inscriptions universitaires d'étudiants étrangers aux niveaux prépandémiques, elle risque de prendre énormément de retard sur ses concurrents du secteur de l'enseignement supérieur comme le Canada, le Royaume-Uni ou encore les États-Unis. Ces pays sont d'ailleurs restés plus ou moins ouverts aux étudiants étrangers malgré d'autres restrictions d'entrée. Le Royaume-Uni, par exemple, n'a jamais interdit l'entrée aux étudiants internationaux malgré la loi qui les a contraints à s'auto-isoler et à fournir une preuve de vaccination ou un test PCR négatif. Selon le MONEF Monitor, le Royaume-Uni a délivré un nombre record de visas étudiants en 2021, au cœur même de la pandémie.

En 2019, le plus grand nombre d'étudiants étrangers en Australie venaient de Chine (37,3%), suivi de l'Inde, du Népal, du Brésil et du Vietnam. Les étudiants chinois ont toutefois mis du temps à revenir en 2022, en partie à cause du nombre limité de vols entre leur pays d'origine et l'Australie. Pour renverser la tendance, le gouvernement australien a récemment mis en place des incitations telles que des remises sur les frais de visa pour les étudiants étrangers. Autre nouveauté : il n'y a plus aucune limite sur le nombre d'heures de travail accordées aux détenteurs de visas étudiants. Il n'empêche qu'en avril 2022, le nombre d'inscriptions d'étudiants étrangers en provenance de Chine affichait toujours en baisse de 40% par rapport à 2019.

Cependant, de nombreux établissements d'enseignement supérieur en Australie ne s'attendent pas à ce que le nombre d'étudiants étrangers reparte à la hausse avant février 2024. C'est la raison pour laquelle les prestataires d'enseignement supérieur sont en train de revoir leur stratégie pour attirer des étudiants étrangers au-delà du marché chinois. La Corée du Sud, par exemple, est un nouveau marché cible à croissance rapide. L'Australie souhaite attirer les Coréens au cours des prochains mois afin de rendre le secteur de l'enseignement supérieur son dynamisme d'antan.

Le coût des études en Australie est un autre obstacle considérable. En effet, les frais de scolarité en Australie sont parmi les plus élevés au monde. Pour le premier cycle des étudiants étrangers, ces frais, qui varient généralement en fonction des universités et des cours ciblés, vont de 20 000 $AU à 45 000 $AU par an. Il n'est donc pas surprenant que de nombreux étudiants étrangers, particulièrement ceux issus de la classe moyenne, économiquement touchée par la pandémie, s'orientent désormais vers d'autres pays où les frais sont moins élevés, comme l'Irlande, le Portugal et la Grèce.

Le gouvernement australien a donc décidé d'améliorer ses programmes d'aide financière destinés aux étudiants étrangers, afin de les aider à surmonter cet obstacle financier. Un excellent exemple de cette initiative est la bourse Destination Australia qui accorde aux étudiants étrangers une somme de 15 000 $ AU.

La pénurie de main-d'œuvre étrangère hautement qualifiée en Australie

La baisse nette de l'afflux d'étudiants étrangers et d'immigrants qualifiés a également révélé des pénuries structurelles de main-d'œuvre qualifiée en Australie. Selon le Bureau australien, près d'un demi-million de postes étaient vacants à la mi-2022, alors même qu'un record de 66,7% de la population adulte australienne occupait un emploi.

Selon une étude réalisée par la National Australia Bank, 85 % des entreprises sont confrontées à une pénurie de compétences, notamment dans les secteurs de la santé, de la technologie, de la fabrication, du tourisme et de l'hôtellerie, et du commerce. La Nouvelle-Galles du Sud, l'État le plus peuplé d'Australie, fait actuellement face à une pénurie d'enseignants qualifiés tandis que d'autres régions sont confrontées à une aggravation de leur pénurie de professionnels de la santé, et ce depuis une dizaine d'années.

Face à cette situation alarmante, le pays est en train de mettre en place des stratégies pour inciter encore plus d'étudiants étrangers non seulement à choisir l'Australie pour leurs études supérieures mais aussi à y rester et travailler après l'obtention de leur diplôme. Dans un article paru dans The Conversation, Nancy Arthur, doyenne de la recherche à l'école de commerce de l'Université d'Australie, a souligné que l'Australie a intérêt à dérouler le tapis rouge pour les étudiants étrangers afin de ne pas les perdre. Il s'agira, entre autres, d'enlever les obstacles encombrants à l'immigration et de fournir aux étudiants le soutien approprié pour la transition du visa étudiant au visa de travail, y compris des cours d'anglais pour les aider à améliorer leur niveau de langue. Selon Nancy Arthur, l'Australie doit également être en mesure de proposer des salaires qui rivalisent avec ceux que proposent ses concurrents comme le Canada et autres destinations privilégiées pour les études supérieures.