
Faites des économies de temps et d'argent, misez sur les cursus courts. C'est le message que lancent les fervents partisans de l'IA aux étudiants et futurs étudiants internationaux. D'après eux, la révolution numérique actuelle rend les études longues has been. On insiste souvent sur le choix du pays d'expatriation et de l'université. On devrait aussi insister sur la longueur des cursus. Mais l'IA a-t-elle vraiment rendu les longues études inutiles ? Quel visage pour la mobilité internationale étudiante de demain ?
Les « grosses têtes » ne font plus d'études ?
Des États-Unis aux Émirats arabes unis, en passant par la France, l'Afrique du Sud, l'Australie, le Chili et le Japon, on se pose la question : faut-il impérativement intégrer les intelligences artificielles dans les cursus universitaires ? Pour les partisans du « oui », le simple fait de se poser encore la question prouve qu'on est en retard. Finis, les temps romantiques où l'on s'asseyait sur les bancs de la fac pour cultiver son savoir, où l'on voyageait avec ses rêves d'expatrié aventurier, pour le simple bonheur de découvrir une autre culture. Les partisans du « tout IA » sont volontairement cyniques, car pour eux, les expats et futurs expats ne peuvent faire l'économie d'un solide « IApprentissage ».
En France, ce postulat est notamment pris par Olivier Babeau (essayiste) et Laurent Alexandre (médecin, entrepreneur) dans un livre au titre volontairement provocateur : « Ne faites plus d'études : apprendre autrement à l'ère de l'IA ». Selon eux, inutile d'étudier dans une université qui n'intègre pas l'IA dans ses cursus.
Études supérieures avec ou sans IA
Au Canada, de grandes universités comme McGill, York ou Toronto ont justement révisé leurs programmes en y intégrant les intelligences artificielles. Ces universités sont parties d'un constat : élèves et professeurs utilisent de plus en plus les IAs. Constat corroboré par un sondage de 2024, mené par Studiosity, plateforme d'apprentissage en ligne. D'après les résultats du sondage, 78 % des étudiants indiquaient utiliser l'IA pour apprendre ou effectuer des travaux universitaires. Quant aux enseignants, ils étaient 41 % à utiliser l'IA en 2024, contre à peine 12 % en 2023 (chiffres du rapport pancanadien sur l'apprentissage numérique).
Conclusion des universités : les programmes doivent s'adapter. Mais pas n'importe comment. À Toronto, on mise sur le pragmatisme. Oui aux enseignants voulant utiliser l'IA. Oui aussi à ceux qui la trouvent inutile. York et McGill suivent la même logique. Leurs mots d'ordre : « transparence et réflexion ». Les inquiétudes des enseignants face à la montée de l'IA doivent être prises en compte. Contrairement au postulat de Babeau et Alexandre, ils alertent sur les dangers de ne voir les études supérieures que via le prisme de l'IA.
Longues études et insertion professionnelle
On a longtemps pensé (et on pense encore) que les études longues assuraient une bonne insertion professionnelle. C'est encore vrai dans bien des secteurs. Impossible d'être médecin, professeur d'université, avocat, architecte, ingénieur, magistrat ou expert-comptable sans faire de longues études.
Mais aujourd'hui, les longues études ne sont plus une garantie contre la précarité. On ne compte plus les « Bac+5 au chômage ». Les jeunes diplômés seraient les premières victimes de la « révolution IA ». Leurs aînés, diplômés dans les années 2010, étaient les victimes des crises économiques à répétition. Paradoxe : plus on étudie, plus l'insertion sur le marché de l'emploi semble difficile. De là à valider la thèse de Babeau et Alexandre ? Comment expliquer cette précarisation des étudiants diplômés ?
On constate tout d'abord que les diplômés font les frais de la conjoncture. L'instabilité du marché économique international a des conséquences sur l'emploi et les prévisions de recrutement. Or, les crises se succèdent, laissant une proportion de jeunes diplômés hors du marché de l'emploi. Mais tous ne sont pas impactés de la même manière : les diplômés de filières généralistes sont les plus frappés par la précarité. Les diplômés des filières techniques ou scientifiques s'en sortent mieux, car ils profitent des pénuries de main-d'œuvre mondiale. Autres facteurs pouvant expliquer la précarité des jeunes diplômés : la faible mobilité et l'inadéquation des études avec les besoins de l'entreprise.
Il ne faudrait donc pas rejeter les longues études. Il faudrait plutôt s'attaquer aux réelles causes de la précarisation des jeunes diplômés. Par exemple : encourager la mobilité au sein du pays et à l'étranger ; renseigner les élèves dès le lycée sur leurs choix d'orientation, mais sans leur mettre de pression.
Ce que l'IA change dans le choix des études supérieures à l'étranger
Depuis quelques années, on ne compte plus les articles référençant les métiers en voie de disparition à cause de l'IA. Des travailleurs s'inquiètent. D'autres se reconvertissent à marche forcée. Certains se réjouissent d'avoir choisi la bonne filière… avant d'être parfois malmenés par les propres outils qu'ils ont conçus. Confèrent les experts du département IA de Meta, menacés de licenciement. Verra-t-on les mêmes phénomènes dans les études supérieures ? Les étudiants devront-ils choisir leurs études supérieures et leur pays d'expatriation en fonction de l'IA ?
En mars 2025, OpenAI (entreprise américaine de l'IA) annonce un superinvestissement de 50 millions de dollars pour booster la recherche académique. Science Po (France) et l'université d'Oxford (Royaume-Uni) font partie des bénéficiaires. Bien entendu, les fonds iront également aux universités américaines de pointe. OpenAI ambitionne de créer un écosystème entre les meilleurs établissements américains et étrangers. Les futurs expatriés auraient donc tout intérêt à postuler pour Harvard, Duke, Howard, pour l'université d'État de Californie, du Michigan, de Géorgie ou du Mississippi.
Cursus longs : laissez les jeunes étudier
« L'IA n'est pas un fondement du savoir, elle en facilite l'accès », corrige Jean-Michel Dogné, professeur et doyen de la faculté de médecine de l'UNamur (à Namur, en Belgique). Répondant aux auteurs de Ne faites plus d'études, il alerte contre une erreur, et un danger : encourager les élèves à ne plus étudier et à « apprendre par l'IA » revient à considérer les IAs comme un savoir. Or, elles ne sont pas un savoir. Elles facilitent l'accès au savoir. La confusion entraîne un risque majeur : l'effondrement des compétences, la perte de discernement, de la capacité à réfléchir et à prendre de bonnes décisions. On le voit notamment en médecine, avec des erreurs de diagnostic produites par l'IA, détectées par des praticiens, mais validées par ces mêmes praticiens, car « l'IA l'avait dit. »
L'IA est un outil au service des hommes, pas l'inverse. Il serait donc dangereux d'établir tout son parcours universitaire, ses projets d'expatriation et de carrière, par le seul prisme de l'IA. Faire des études courtes ou longues n'est donc pas le problème. On ne fait pas « de plus en plus d'études », mais on a plus de mal à s'insérer sur le marché du travail. Ce long temps de chômage avant de décrocher le premier emploi est le vrai problème. France, Chine, Maroc, Canada, Corée du Sud, Afrique du Sud, Mexique, États-Unis, Népal… C'est cette crise de l'emploi qui pousse les jeunes à défendre leurs droits, comme au Népal, au Maroc, au Pérou ou à Madagascar.
Réduire la durée des études ne résoudra pas le problème du chômage, puisque la même proportion d'étudiants se retrouvera sur le marché de l'emploi. En revanche, l'IA mal utilisée peut effectivement impacter le marché du travail, et donc, les chances des diplômés d'obtenir un poste. Charge aux gouvernements et aux entreprises de concilier richesse des savoirs humains, éducation, mobilité internationale et développement économique.
Sources :
- The Conversation - Le faux procès des études supérieures trop longues
- Hello Workplace - Jeunes générations : le grand écart entre niveau d’études et emploi
- The Conversation - Le développement des études supérieures entre « faux procès » et vraies questions…
- Le Soir - « Faire des études, c’est une perte de temps ». Vraiment ?
- BFM RMC - "Ne faites plus d'études": l'enseignement supérieur dépassé par l'intelligence artificielle?
- PhD Academy - Artificial intelligence and the death of academia
- Times Higher Education - Replaced by bots ? No: AI needs academia
- L'Actualité - Des universités canadiennes adoptent l’IA, mais la prudence est de mise
- Actu IA - NextGenAI : OpenAI investit 50 millions de dollars pour accélérer la recherche académique
- Africa Moon - L’IA s’invite dans les universités américaines, mais la confiance vacille



















