Pandora papers et les expats

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Publié le 2021-10-20 à 11:00 par Asaël Häzaq
Le 3 octobre dernier, le Consortium International des Journalistes d'Investigation (ICIJ), organisme non lucratif, sort un nouveau rapport accablant sur la fraude fiscale planétaire. Le même organisme est à l'origine des Panama papers (2016), qui avait ébranlé le monde économico-politique. En 2021, donc, l'affaire des Pandora papers révèle que les promesses de 2016 ont loin d'avoir été tenues. 

Les quelques 600 journalistes, originaires de 117 pays différents, ont analysé des millions de documents confidentiels provenant de 14 sociétés de services financiers basés à Singapour, en Suisse, à Chypre, ou encore, sur les îles vierges britanniques. Le constat est glaçant : personnalités politiques, médiatiques, les noms les plus connus circulent, à côté d'autres, anonymes. De nouveaux paradis fiscaux sont apparus, comme le Dakota du sud (États-Unis), nouvelle cité refuge des ultra riches. Qui sont ces expatriés qui flirtent avec les failles du système ? 

Pandora papers et expatriés

C'est le nouveau scandale financier qui éclabousse le monde. 5 ans après les Panama papers, les Pandora papers interrogent de nouveau sur la question fiscale. A l'époque des Panama papers, les États se sont engagés à lutter contre la fraude fiscale et à garantir plus de transparence. Ce sont les mêmes États qui, aujourd'hui, sont impliqués dans l'enquête des Pandora papers : présidents, ministres ou ex-ministres... le monde politique est secoué. Tempête aussi dans le monde médiatique, avec plusieurs noms de personnalités cités. 

Et les expatriés ? Certains sont également visés par l'enquête planétaire. Mais derrière le mot « expatrié » se cache autant de réalités que d'individus. Au sens juridique, l'expatrié est une personne qui travaille dans un pays autre que son pays de résidence initiale. Par extension, il est utilisé par beaucoup de personnes qui immigrent à l'étranger. Le mot « expatrié » semble cependant revêtir une aura différente. Viennent souvent s'y accoler les termes « riches », « argent » ou « investissement ». C'est la vision caricaturale de l'étranger voulant faire fortune à l'étranger. Or, l'expatrié ordinaire se rapproche davantage du salarié moyen, célibataire ou en couple, dont les revenus sont tout à fait comparables à ce qu'il gagnerait dans son pays d'origine. Et lorsqu'il gagne plus, c'est, là encore, dans des proportions sans commune mesure avec les millions de bénéfices engrangés par les personnalités citées dans les Pandora papers. Il existe, bien entendu, de riches expatriés. Ce sont eux qu'appelle, par exemple, le gouvernement thaïlandais. Ce sont eux qui nouent des partenariats et investissent dans les sociétés étrangères. Mais là encore, tout n'est pas forcément illégal.

Optimisation ou fraude fiscale ?

Il est indispensable de bien distinguer optimisation fiscale, évasion fiscale et fraude fiscale. 

L'optimisation fiscale désigne tout procédé légal visant à faire baisser ses impôts. (Exemples : investir dans le capital d'une entreprise, dans l'immobilier, dans le patrimoine historique, faire des donations...) L'optimisation fiscale est dite « agressive » lorsqu'elle flirte avec les méthodes de l'évasion fiscale, cherchant à profiter de toute incohérence des systèmes fiscaux pour faire baisser l'impôt.

L'évasion fiscale utilise aussi les moyens légaux, mais pour transférer son actif (patrimoine et revenus) dans un État à la fiscalité faible, et ainsi, payer moins d'impôts dans son pays. L'évasion devient fraude fiscale lorsque les moyens utilisés pour faire baisser les impôts sont illégaux.

Fraude fiscale internationale

Si optimisation et évasion fiscale sont des procédés légaux, ils ne sont pas sans conséquences sur le plan moral. A l'heure des multiples crises (sanitaire, économique, sociopolitique...) voir des personnalités publiques transgresser les propres lois qu'elles édictent refroidit l'opinion publique. Même constat concernant les expatriés qui profitent des failles du système pour monter de complexes plans financiers. Déjà condamné dans l'affaire de l'ex-ministre français du budget Jérôme Cahuzac, l'avocat suisse Philippe Houman est de nouveau cité dans l'enquête des Pandora papers. Le procès Cahuzac (2016) révèle la position stratégique de l'avocat, qui aide le ministre de l'époque à cacher un compte en Suisse. Mais Philippe Houman a d'autres clients. Dès 2009, il s'installe à Dubaï, et gère des sociétés offshore pour le compte de clients de différentes nationalités. Une société offshore est une société enregistrée dans un pays dont le propriétaire n'est pas résident. Rien d'illégal, donc, pourvu que l'on puisse définir l'activité effective de ladite société et l'origine des flux financiers qui transitent par elle : il faut donc pouvoir remonter à la source de l'entreprise créatrice, pour éviter toute fraude fiscale. C'est justement ce qui est reproché à Philippe Houman, et ce que cherchent à faire certains investisseurs et acteurs qui, de société offshore en société offshore, parviennent à bâtir un système complexe et opaque, rendant très difficile le traçage de leur argent. 

Autre personnalité citée, et qui implique également des salariés expatriés : l'ex-secrétaire d'État belge Pierre Chevalier. Le nom du politique apparaît dans les Pandora papers avec celui de George Forrest, homme d'affaire franco-congolais. Les deux hommes se connaissent de longue date. En 2008, Pierre Chevalier est sommé de quitter les Nations Unies : l'homme a accepté d'occuper une position élevée dans l'entreprise Forrest, et a omis de le signaler à l'organisation internationale. Ses intérêts avec l'homme d'affaires vont grandissant. Pierre Chevalier prend la tête d'une société offshore hongkongaise basée au Panama pour le compte de George Forrest. Parmi ses missions : embaucher des expatriés pour les envoyer en République Démocratique du Congo (RDC). Mais en réalité, les documents des Pandora papers révèlent que les salaires de ces « expatriés » auraient été reversés à quatre succursales du groupe Forrest. Objectifs : économiser (entre autres) sur la rénovation du palais présidentiel de Kinshasa, capitale de la RDC. Caroline de Klerk, porte-parole du groupe Forrest, dément et affirme que les salariés du groupe sont payés par Hong-Kong : « Ils viennent du monde entier, y compris d'Europe, d'Inde, du Canada, des Philippines, d'Indonésie et d'Afrique du Nord ».

L'affaire des Pandora papers pourra-t-elle faire avancer la lutte contre la fraude fiscale ? Encore une fois, les États prennent des engagements. Reste à savoir s'ils seront suivis. Les expatriés, eux, ne veulent pas payer pour une poignée d'entre eux visés par l'enquête internationale. Ils rappellent qu'ils paient des impôts dans leur pays d'accueil, et aussi dans leur pays d'origine (sur les revenus dudit pays d'origine). Bien loin de tout statut privilégié, ils disent aspirer à vivre de leur activité professionnelle, comme tout individu.