Faut-il être expatrié pour gagner plus ?

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Écris par Asaël Häzaq le 25 août, 2021
Le mythe de l'expatrié riche semble, plus que jamais, décider les potentiels candidats au départ. La crise sanitaire a paradoxalement élargi le champ des possibles ; travailler, oui, mais avec des avantages. Faut-il cependant s'expatrier pour espérer gagner plus ? L'expatriation se résume-t-elle à la condition pécuniaire ? Derrière le mythe, la réalité de l'expatriation cache des subtilités utiles à connaître.

L'expatrié est-il envoyé par son entreprise ?

Avant d'évoquer tout éventuel avantage pécuniaire, il convient de distinguer selon que l'expatrié est sous contrat avec une entreprise, ou non. Si oui, quelle est la taille de l'entreprise ? Quel poste occupe le futur expatrié ? Quel contrat signera-t-il ? Dans quel pays sera-t-il envoyé, et pour occuper quelles fonctions ? Autant de questions qui permettent d'envisager si l'expatriation sera synonyme d'avantages financiers.

L'on différencie trois grands types de contrats : le contrat de détachement, d'expatriation, et le contrat local. 

Le salarié détaché est envoyé à l'étranger par son entreprise, pour une mission courte.

Il reste sous l'autorité de l'entreprise qui l'envoie. Il conserve donc son contrat avec l'entreprise de son pays, et son régime de sécurité sociale. Les éventuels avantages (bonus salarial, voiture de fonction, logement dans le pays étranger...) seront à la discrétion de son entreprise. 

Le salarié expatrié travaille à l'étranger depuis au moins trois mois.

Dans le cas où son entreprise l'envoie à l'étranger, le salarié peut signer une clause d'expatriation lui garantissant la conservation de son poste à son retour. D'autres clauses peuvent être prévues, notamment, une prime de risque, des avantages pécuniaires et en nature. Cependant, durant la durée de l'expatriation, le travailleur est soumis au droit du pays d'accueil, et bénéficie de sa protection sociale. 

Si le salarié est recruté par une entreprise de son pays, mais pour travailler à l'étranger, le contrat signé avec l'entreprise initiale est suspendu.

Le salarié dépend de l'entreprise étrangère. Il signe avec elle un « contrat local ». Ce contrat local peut prévoir des avantages pour le salarié expatrié, mais ils restent à la discrétion de l'employeur étranger. Le salarié bénéficie de la protection sociale du pays d'accueil, et est soumis à sa législation.

Il existe un quatrième cas, vu principalement au sein de firmes internationales : la « mise à disposition internationale ».

Les grands groupes disposant de filiales à l'étranger peuvent envoyer un salarié en mission plus ou moins longue. Son statut sera celui d'un salarié détaché ou expatrié. Il restera sous contrat avec sa firme initiale ou non, et bénéficiera éventuellement d'avantages liés à sa situation. Sa firme initiale est cependant tenue de le rapatrier dans son pays d'origine dès la fin de sa mission.

Si l'expérience montre que des avantages sont souvent associés aux expatriations « sous contrat avec une entreprise » (qu'elle soit celle du pays de départ ou du pays d'accueil), un voyage sans le support d'une entreprise induit une plus grande prise de risque. Si le candidat à l'expatriation se fait directement employer par une entreprise étrangère, il rejoint la catégorie du contrat local, avec les éventuels avantages proposés par l'employeur, et la sécurité de n'être pas démuni une fois arrivé dans son pays d'accueil. Mais s'il n'a aucune garantie d'emploi, il part sans aucun avantage. Rien n'assure que son train de vie sera meilleur à l'étranger, à moins qu'il ne trouve un travail dans son pays d'accueil, surtout si cet emploi fait partie des métiers qui recrutent en 2021.

Secteurs porteurs et écarts de salaires

La crise sanitaire qui sévit depuis 2020 impacte fortement le marché mondial de l'emploi. De nombreux secteurs sont fragilisés par la crise, quand de nombreux autres sont en pleine expansion. Les métiers de la santé sont en tension dans beaucoup de pays. Les secteurs des nouvelles technologies, notamment en biomédecine, robotique, informatique, sont en plein essor. Le monde du jeu vidéo et de l'animation (côté création) n'a pas souffert de la crise. Beaucoup de secteurs recrutent, avec des écarts de salaires parfois importants, selon les pays.

Atouts d'aujourd'hui et de demain, les ingénieurs informatiques et développeurs web sont fortement recherchés. Les meilleurs rémunérateurs sont les États-Unis (moyenne de 110 638$ annuels), la Suisse (moyenne de 95 394$), Israël (76 791$), la Norvège (64 202$) et le Danemark (72 151$) (chiffres Daxx, 2021). En retenant pour critère principal d'expatriation le salaire, les États-Unis offrent aux développeurs et ingénieurs informatiques un vaste champ des possibles (Silicon Valley, grandes entreprises, investissements massifs du gouvernement dans la R&D, possibilité de promotion sociale…). 

Autre secteur porteur : la biomédecine. Les États-Unis figurent encore au rang du meilleur payeur, avec une moyenne 99 407$ annuels versés aux ingénieurs en biomédecine. La Suisse suit toujours de près, avec une moyenne de 93575$. Vient ensuite le Japon, avec 92 956$. L'Australie et l'Allemagne ferment le podium, avec respectivement 87 650$ et 78 085$ annuels (chiffres Intersting Engineering). Choisir le pays qui offre le meilleur salaire, avec toutes les opportunités que l'on peut espérer en termes de carrière, peut effectivement faire gagner plus d'argent. Certains optimisent leurs choix, en établissant une véritable stratégie évolutive, leur lieu d'expatriation variant en fonction des avantages pécuniaires que leur offre tel ou tel pays. Les entreprises de ces secteurs novateurs sont, en effet, prêtes à multiplier les bonus, pour recruter les meilleurs profils.

C'est peut-être l'un des domaines les plus touchés par la pandémie. Déjà sous tension avant la crise, le secteur de la santé reste particulièrement exposé. Il est difficile de comparer les salaires entre les pays, tant il existe de spécialités, d'horaires variables, d'heures supplémentaires non prises en compte, etc. L'organisation Medic Footprints a cependant tenté de lister les pays qui rémunèrent le mieux les médecins (généralistes et spécialistes), en croisant les données de l'OCDE, de l'Office fédéral suisse de la santé publique et du rapport Doximity sur la rémunération des médecins. Le Luxembourg remporte la première place, avec une moyenne de 278 900$ annuels pour les généralistes, et 352 300 pour les spécialistes. Viennent ensuite les États-Unis (242 400$ pour les généralistes, 350 300$ pour les spécialistes) et la Belgique (138 700$ pour les généralistes, 331 200$ pour les spécialistes). L'Allemagne occupe la quatrième position, et verse, en moyenne 214 700$ aux médecins généralistes, et 222 700$ aux spécialistes. Le Canada clôture le podium, avec une moyenne de 158 200$ pour les généralistes, et 249 000$ pour les spécialistes.  

Autres secteurs en ébullition : le jeu vidéo et l'animation. Ils sortent grands gagnants de cette crise, ne cessent d'innover, et voient arriver de nouveaux grands acteurs. Ainsi, après s'être frotté à l'animation, Netflix annonce, en juillet dernier, se lancer dans le jeu vidéo. Dès septembre 2020, Amazon Prime annonçait le lancement de Luna, plateforme de jeu vidéo streaming. Les illustrateurs, character designer, animateurs 3D, concept artist, et autres développeurs sont très recherchés. Et leurs salaires varient considérablement d'un pays à l'autre. 

L'Australie rémunère le mieux ses illustrateurs avec, en moyenne 79 699$ en 2021. Le Luxembourg arrive en deuxième position (74 023$), suivi par la Suisse (73 283$), le Canada (68 885$) et le Danemark (67 236$). Les mêmes pays se disputent les premières places concernant la rémunération des characters designers et des animateurs 3D suit la même tendance (chiffres Salary expert).

Et la finance ? Après le choc du début de la crise, le secteur s'est rapidement remis, allant même jusqu'à engranger des bénéfices records. Les postes d'analyste financier et directeur financier font partie des métiers de la finance qui paient le mieux. Les postes de traffic manager, data analyst ou community manager sont particulièrement prisés. Le e-commerce sort lui aussi gagnant de la crise sanitaire, et repense le monde sans frontières. De contrainte, le télétravail devient une norme, sinon un atout. Les talents sont recherchés dans le monde entier, avec, là encore, des différences de salaires non négligeables.

L'Australie s'illustre encore, avec une rémunération moyenne de 125 821$ pour ses analystes financiers. Le Luxembourg monte à  116 949$, la Suisse, à 115 764$, la Nouvelle-Zélande, à 115 279$ et le Canada à 108 749$. Les directeurs financiers sont encore mieux payés : 187 546$ en moyenne, en Suisse, 162 358$ en Australie, 151 070$ au Canada, 136 826$ en Nouvelle-Zélande, et 127 562$ au Danemark. Même tendance dans le e-commerce : traffic managers, architectes réseau, data analysts, développeurs web, community managers et autres SEO managers peuvent voir leur rémunération doubler en fonction du pays pour lequel ils travaillent. Ces métiers du digital ayant l'avantage d'être nomades, l'expatrié peut envisager une vie professionnelle 100 % télétravail, pour une installation dans le pays de son choix.

Gagner plus, mais gagner quoi ?

Au vu des chiffres, il semble évident que déterminer son pays d'expatriation via la comparaison de salaires fait sens. Ces salaires, même importants, ne prennent néanmoins pas en compte d'autres facteurs, tout aussi essentiels. Quel est le temps de travail effectif, la culture d'entreprise, le management, la place laissée à l'initiative, à la concertation ? Comment fonctionne le système de promotion ? Peut-on faire carrière ? Les heures supplémentaires – s'il y en a – sont-elles correctement payées ? L'entreprise aide-t-elle l'expatrié à s'installer ? Met-elle en place des formations de culture d'entreprise ? Favorise-t-elle l'esprit de groupe ? Est-elle sensible au bien-être salarial, à la parité femmes/hommes, à la lutte contre les inégalités, au respect de l'environnement ? Prévient-elle le risque de burn-out ? Intègre-t-elle la pénibilité du travail dans le calcul de ses éventuelles primes ?

Toutes ces questions passent souvent inaperçues, le salaire, surtout s'il est important, gommant tout autre aspect de la vie de l'expatrié. Il sera pourtant amené à changer de pays et de cadre de vie. Peut-être accomplira-t-il un rêve, qu'il vivra plus difficilement avec des heures supplémentaires à répétition. Comment profiter du cadre de vie en restant constamment dans son cercle professionnel ? Appréciera-t-il seulement ce nouveau quotidien ? La question est d'autant plus cruciale si l'expatriation s'effectue en couple ou en famille. Le conjoint et/ou les enfants ne sont pas directement concernés par le projet de l'expatrié, mais doivent le suivre. Le conjoint se voit contraint d'abandonner son emploi, sans savoir s'il en retrouvera un dans le nouveau pays. Les enfants se séparent de leurs camarades pour intégrer une nouvelle école. Toute la vie familiale est impactée par le projet d'un seul. Les avantages qu'il peut recevoir de son entreprise semblent, en réalité, bien plus compensatoires que réellement avantageux. Il s'agit de combler la perte du salaire du conjoint, de trouver un logement fonctionnel, dans un quartier bien desservi, idéalement près d'une école, pour rendre l'expatrié rapidement opérationnel. De fait, l'expatrié réellement gagnant sera celui qui aura un salaire élevé dans un pays au faible coût de vie, si tant est que la condition financière soit la seule garante d'un bon cadre de vie.

En effet, il semble certain que le salaire seul - même s'il apporte une solide garantie sur le plan financier – ne suffit pas à assurer un bon cadre de vie. D'autres paramètres rentrent en compte : le climat du pays d'accueil, sa culture, la question environnementale, les projets personnels et/ou familiaux (réalisation d'un rêve, avenir des enfants…), la passion pour son métier, les valeurs… Certains apprécieront le sentiment de sécurité que l'on trouve au Japon et en Corée du sud, pays où le respect du bien public et la notion de service sont enseignés dès le plus jeune âge. D'autres préféreront le charme de l'archipel de Malte, de l'île Maurice, ou des îles indonésiennes. D'autres encore se référeront à l'expérience, la réputation : bien qu'offrant des salaires moins élevés qu'en Australie ou au Luxembourg, le Japon est mondialement connu comme le berceau du jeu vidéo et de l'animation. Travailler dans ces secteurs au Japon est, pour beaucoup d'artistes, la concrétisation d'un rêve, et la satisfaction de voir son travail apprécié par ses pairs. 

La question environnementale entre aussi en compte. Alors que le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) a rendu, la semaine dernière, un rapport des plus alarmants, d'aucuns s'interrogent quant à leur impact concret sur l'environnement. Prendre l'avion, ou privilégier des moyens de transport plus écologiques ? Abandonner la voiture ? Vivre dans un pays qui place l'écologie au cœur de ses préoccupations ? Les pays nordiques sont souvent cités en exemple. Le Green Future Index classe l'Islande, le Danemark et la Norvège comme les trois pays les plus verts du monde. Ces analyses offrent d'autres pistes de réflexion, quant à la définition de « gagner plus ». Tout comme l'on pourrait trouver sa voie dans un autre pays, l'on pourrait aussi améliorer son cadre de vie, non pas au bout du monde, mais tout près de chez soi.

Sources :