Cette expatriée russe se réinvente constamment à travers le monde

L'Expat du mois
  • expat en Guyane Francaise
Publié le 2021-04-16 à 10:00 par Veedushi
Curieuse et aventurière dans l'âme, Marina est originaire de Russie. Maman de deux enfants issus de deux cultures différentes, elle a voyagé et vécu dans de nombreux pays avant de s'installer en Guyane en janvier 2021, en plein cœur de la pandémie. Elle nous parle de sa quête d'une vie meilleure pour sa famille et elle-même.

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?

Je m'appelle Marina. Je suis une Russe qui vit en France mais dans des régions très exotiques. Avec ma famille, nous nous trouvons actuellement en Guyane française, qui est un département français d'outre-mer et le seul territoire de l'UE en Amérique latine. Avant cela, nous avons vécu 18 mois à Mayotte, une île française située dans l'océan Indien. En fait, même si je suis née et que j'ai grandi en Russie (l'Oural d'abord, puis Moscou), cela fait 11 ans que j'ai quitté mon pays natal. Depuis, j'ai vécu dans sept pays différents sur trois continents : d'abord en Suède en tant qu'étudiant d'échange, à Londres pour mon master en études européennes, puis à Paris pour un autre master à l'école de commerce, à Dubaï pour un emploi en marketing du luxe et puis de nouveau à Paris où nous nous sommes installés avec mon mari après qu'il ait perdu son emploi aux Émirats arabes unis.

Qu'est-ce qui vous a amené en Guyane française ? Depuis combien de temps y vivez-vous ?

En fait, le nom moderne correct est tout simplement Guyane, sans « française », mais comme il y en a pas mal (Guyane, qui fut une colonie britannique, Suriname, anciennement Guyane néerlandaise, Région de Guyana à l'est du Venezuela, et l'État d'Amapa au Brésil, également appelée Guyane portugaise). C'est la raison pour laquelle il est courant de préciser. Je suis donc venue en Guyane en janvier de cette année, après que mon époux ait décroché un emploi dans le BTP. A Mayotte, il travaillait pour une entreprise concurrente à Mayotte, mais son poste a été supprimé à la suite d'une réorganisation de l'entreprise. La seule alternative qu'ils lui ont proposée était de retourner à Paris. Ce qui n'était pas envisageable pour nous. Nous avions quitté Paris, la ville que j'aime profondément, mais nous n'avions aucune intention d'y retourner. A la naissance de notre fille, la vie dans la capitale française est devenue trop chère et peu pratique. Nous voulions aussi avoir des plaisirs plus simples et être au plus près de la nature.

Qu'est-ce qui vous a donné envie de quitter la Russie au départ ?

Quand j'étais enfant, j'avais l'habitude de lire beaucoup de romans russes classiques sur des aristocrates ayant une maison en Russie mais vivant en même temps dans différents pays d'Europe et parlant couramment plusieurs langues. Je me suis toujours dit que je voulais être comme eux quand je serai grande. J'ai donc choisi d'étudier les relations internationales, rêvant d'être un jour diplomate. Finalement, j'ai choisi de ne pas travailler pour le gouvernement mais de suivre le même style de vie. En moyenne, je déménage tous les deux ans.

Vous avez vécu dans de nombreux pays, dont Mayotte. Quelle a été votre meilleure expérience jusqu'à présent ?

Il serait plus correct de ne pas appeler Mayotte un « pays » car c'est un département français, mais en effet, il est tellement différent de la métropole que cela me paraissait plus comme l'Afrique.

Il est difficile de dire quelle destination j'ai préférée. Je pense que chaque expatriation est comme une vie à part. Il faut toujours tout construire à zéro, donc après tous vos efforts, vous finissez par apprécier votre nouvelle maison, votre nouveau travail et vos nouveaux amis d'une façon différente. Au moins, j'essaie toujours de voir le côté positif du nouvel endroit dont je fais mon chez-moi. Londres a été ma libération, le symbole de la vie étudiante et de la liberté. Dubaï m'a permis de donner un bon départ à ma carrière et a été l'endroit où j'ai rencontré mon conjoint et certains de mes meilleurs amis. Paris est, pour moi, la ville des théâtres, des terrasses et de l'hédonisme. Mayotte a été la plus grande surprise pour moi, d'abord parce que j'ai beaucoup appris sur moi-même. J'ai réalisé que pour être heureuse, je n'avais pas besoin de vivre dans une grande ville, de travailler dans une entreprise internationale ou de faire du shopping à chaque nouvelle collection.

Notre expérience guyanaise est encore assez fraîche, mais elle a l'air très prometteuse. Jusqu'à présent, la Guyane représente pour nous l'explosion de la nature verte, sauvage comme je ne l'avais jamais vue avant.

Qu'est-ce qui vous a donné envie de vous installer dans un autre pays francophone après Mayotte ?

Nous avions deux options : soit retourner à Paris avec nos deux enfants, prenant en compte le fait que le salaire de mon conjoint serait réduit de 40% et que je passerais beaucoup de temps à chercher un emploi pendant la crise sanitaire, soit venir en Guyane. Même si la Guyane est un autre département français sous les tropiques, elle n'a rien de commun avec Mayotte. J'ai l'impression de vivre dans un pays complètement différent.

Après vos études en relations internationales, vous vous êtes reconvertie en spécialiste en marketing de luxe puis en professeur d'anglais. Qu'est-ce qui explique ce changement de carrière ?

Ça fait longtemps que je cherche ma propre identité et je ne suis pas sûre de l'avoir encore trouvé. Au début de mes études, je voulais être journaliste, mais j'ai fini par étudier les relations internationales avec une spécialisation en Scandinavie et en suédois. C'était le fruit du hasard. Je ne me voyais pas travailler pour le gouvernement russe. Puis, rejoindre l'une des organisations internationales était trop difficile. J'ai donc décidé de rejoindre le secteur privé. Je me suis demandé ce que je pouvais faire de mon parcours et j'ai réalisé que mes diplômes humanitaires n'étaient pas très applicables au monde des affaires. Alors, je me suis résolue à faire un Master en Marketing et mes parents m'ont soutenu. Au cours de mes études à l'école de commerce, j'ai soudainement compris que travailler dans le luxe était exactement ce que je voulais. C'était à la fois un travail créatif et analytique entouré de beaux produits et de gens passionnés. J'ai travaillé pendant 5 années dans ce domaine et cela m'a plu, mais quand l'opportunité de déménager à Mayotte s'est présentée, j'étais prête à essayer quelque chose de nouveau.

Sur cette île, il n'y a pas de marketing, encore moins de luxe, alors je me suis reconvertie en professeur d'anglais. Pour être honnête, il y a eu des moments où j'ai regretté cette décision, car ça aurait été beaucoup plus facile pour moi de travailler, disons, comme assistante administrative. A Mayotte, les enfants sont loin d'avoir une vie confortable. Beaucoup d'entre eux vivent dans des « bangas » en ardoise, sans eau ni Internet. Ils se réveillent à 5 heures du matin pour aller à l'école coranique et à la mi-journée, ils ont faim et sont épuisés. Ils parlent mal le français et beaucoup n'ont pas d'avenir au-delà de leur île. L'anglais pour eux est, pour le moins, inutile. Mais il y avait des enfants motivés, reconnaissants, curieux et qui ont fait d'énormes progrès malgré tout. C'est ce qui a rendu ce métier si spécial. J'ai eu l'impression de faire quelque chose de significatif.

Une autre raison non négligeable pour être enseignant à Mayotte est que vous bénéficiez d'une prime de 40% sur le salaire normal de l'enseignement du français. De plus, c'est l'un des rares endroits dans les territoires français où l'on peut trouver un emploi d'enseignant sans avoir un diplôme dans le domaine. C'est un contrat fixe d'un an que vous pouvez prolonger si vous le souhaitez. On est payé 2 300 EUR par mois pour 18 heures d'enseignement par semaine si on n'a pas de Master et 2 600 EUR si on en a un. C'est tellement attrayant qu'il y a, par exemple, de nombreux Espagnols à Mayotte qui viennent sur l'île pour cette raison spécifique.

Ce qui me plait avec ce style de vie, en revanche, c'est le fait qu'elle permet de se réinventer constamment, de mettre en œuvre les différents atouts de notre personnalité, et de vivre autant de vies que de pays ou l'on vit.

Que faites-vous actuellement en Guyane ? Quelles sont les perspectives de carrière pour les professionnels étrangers comme vous ?

Je n'ai pas encore de passeport français, donc la première chose qu'un professionnel étranger non européen qui vient en Guyane doit faire est d'obtenir un permis de séjour délivré sur place. Cela semble un peu fou, mais je ne suis pas autorisée à travailler à Mayotte avec le permis de séjour émis en France métropolitaine et je ne peux pas travailler en Guyane avec celui émis à Mayotte.

Maintenant que je l'ai, je recherche d'abord un emploi dans le marketing. Si je n'en trouve pas, je peux soit suivre une formation en marketing numérique et travailler à distance ou me reconvertir en enseignante de langue en septembre.

Aussi, pourquoi avez-vous choisi de déménager à l'etranger en plein cœur de la pandémie ? Les restrictions de voyage et d'entrée ont-elles affecté votre déménagement ?

Non seulement nous avons déménagé en plein cœur de la pandémie, mais aussi quatre mois après la naissance de notre fils. Mais je dois avouer qu'on n'a pas vraiment choisi le moment. En tant qu'expatrié, c'est comme si on vit sur un volcan. Alors on doit toujours être prêt à faire nos cartons pour bouger à n'importe quel moment.

Nos enfants n'ont que deux ans d'écart. Voyager avec de jeunes enfants est déjà une aventure par définition, mais voyager sur différents continents pendant la pandémie avec deux enfants représente un risque que nous avons pris. Nous avons cependant eu la chance de passer, en décembre, entre les vagues de COVID-19 lorsque certaines des restrictions ont été levées. Pourtant, nous avons fait un voyage épique de Mayotte à Grenoble pour voir mes beaux-parents, puis de Lyon à Amsterdam en passant par Moscou pour présenter notre fils à mes parents, puis de Moscou à Paris en passant par Cayenne. Tout cela avec une tonne de documents, de justificatifs et de résultats de tests. J'ai également réussi à obtenir le passeport russe pour mon fils en plus de son passeport français à Marseille pendant nos vacances de septembre. Nous avions juste besoin de nous rendre au consulat trois fois accompagnés de notre fils (4 heures de voiture aller simple).

Vous êtes donc maman de deux enfants issus de deux cultures différentes. Comment font-ils face à ce style de vie de voyage et d'expatriation ?

Je pense qu'ils s'en sortent beaucoup mieux que nous ! Je suppose qu'ils tiennent cette capacité d'adaptation de moi. Ma fille est très sociable et s'habitue assez rapidement à tout nouvel environnement et aux nouvelles personnes. En deux ans et demi, elle a changé 2 nounous et 3 écoles maternelles. Elle adore sauter dans les vagues et jouer dans la neige (même si elle préfère le climat tropical), se promener dans la ville en poussette et se perdre avec nous dans une forêt tropicale. Elle mange du bortsch russe, de la ratatouille française et des nouilles chinoises à la sauce aigre-douce avec le même appétit. Quant à mon fils, je suis vraiment fière qu'il soit né à Mamoudzou, ce qui est écrit sur son passeport. Je pense que c'est le meilleur souvenir que nous puissions avoir de Mayotte. C'est un bébé voyageur, et jusqu'à présent, il se débrouille très bien avec le changement de lit et de chambre - il dort maintenant dans son 6ème berceau.

Cependant, il faut reconnaître qu'un déménagement international n'est jamais facile, même pour les enfants. Ils ne peuvent pas le dire, mais ils expriment de différentes manières leur désorientation. Cela se définit bien souvent par le refus d'aller au pot, les troubles du sommeil, la perte d'appétit ou une mauvaise humeur.

Arrivent-ils à s'adapter à leur nouvel environnement en Guyane ?

Pour être honnête, la période pendant laquelle nous nous sommes retrouvés dans un appartement temporaire, avec quatre personnes dormant dans une seule pièce et les enfants n'ayant aucun jouet à portée de main, nous a semblé très longue. Mais nous avons enfin reçu le conteneur avec toutes nos affaires. Nous sommes donc bien installés dans notre nouvelle maison. Les chambres des enfants sont entièrement équipées de tonnes de jouets qu'ils ont eu le temps d'oublier et de redécouvrir, alors je pense qu'ils se sont également adaptés à leur nouvelle maison. J'ai trouvé une merveilleuse nounou qui s'occupe de mes enfants 10 heures par semaine, ce qui me laisse le temps de chercher un emploi, d'alimenter mon blog, etc. Nous avons également trouvé une très bonne école privée pour ma fille. Elle commencera en septembre.

Au début, je m'inquiétais de la réaction de nos enfants au climat local. Avant de déménager en Guyane, je pensais qu'il faisait extrêmement chaud et humide ici. En réalité, les températures locales sont plus basses qu'à Mayotte. La saison des pluies est longue mais offre quelques pauses ensoleillées. Ma fille est vraiment mignonne quand elle s'exclame à chaque fois qu'il pleut (peut-être 10 fois par jour) : « Oh, il pleut encore ! ».

Quels sont les défis et les avantages d'être une famille d'expatriés bi-culturelle dans un pays comme la Guyane ?

Le climat de la Guyane n'est pas facile à vivre, même si pour moi personnellement, le climat russe est un plus grand défi.

La distance qui nous sépare de nos pays d'origine respectifs et le coût des billets d'avion (jusqu'à 1 000 euros par personne en haute saison) est l'un des plus grands défis pour moi. J'ai autant hâte et peur de retourner en Russie après notre long voyage pour venir ici. C'est aussi un problème pour moi en tant que maman russe qui souhaite que ses enfants parlent couramment ma langue maternelle. Il y a des russophones ici grâce au centre spatial de Kourou à partir duquel les fusées russes Soyouz sont lancées, entre autres, mais c'est à 45 minutes de route de notre ville. De plus, je n'ai pas encore d'amis russes.

La Guyane possède une flore et une faune très riches, donc l'un des défis pour les femmes tendres comme moi est toute la variété de bêtes et d'insectes qu'on peut croiser dans notre jardin, des tarentules aux jaguars.

Le coût de la vie est très élevé. Nous dépensons en moyenne 1 000 euros par mois en faisant nos courses, et croyez-moi, nous ne mangeons pas de foie gras avec du champagne au petit-déjeuner ! Le côté positif c'est que contrairement à Mayotte, il y a un vaste choix ici.

Mais ces défis en valent vraiment la peine.

Nous avons la chance de vivre en France en Amérique latine ! Nous avons tous les avantages du système administratif français tout en profitant de la cuisine créole, du métissage des cultures françaises noires, indiennes, chinoises et blanches, de l'océan et de la forêt amazonienne. On n'a pas besoin d'aller loin pour voir cette forêt : elle est partout. Il suffit d'aller au coin de la rue.

Je suis convaincue qu'à travers cette expatriation, nous offrons à nos enfants le meilleur cadeau que nous puissions, malgré toutes les difficultés qu'entraîne ce mode de vie. Bien que la Guyane soit française, c'est une culture totalement différente qu'ils absorbent ici, et cela élargit leurs horizons.

Y a-t-il quelque chose qui vous manque le plus de votre pays d'origine ?

Ma famille et mes amis, la cuisine russe que je suis trop paresseuse pour préparer, et Moscou en été.

Où vous voyez-vous et votre famille au cours des prochaines années ?

J'espère rester en Guyane quelques années au moins pour découvrir cette terre au maximum. Comme les enfants sont encore très jeunes, il est difficile pour nous de voir tous ses joyaux car cela implique beaucoup de marche dans la forêt, de nage et de canoë. Nous ne pouvons pas tout faire maintenant, mais nous pourrons profiter de toutes ces merveilles au cours des prochaines années. Quand nous quitterons la Guyane, je n'ai aucune idée de ce qu'il va se passer. C'est ça la beauté de l'expatriation : chaque nouveau chapitre est une nouvelle aventure. On ne sait jamais à quoi s'attendre.

Quels conseils donneriez-vous aux familles biculturelles qui souhaiteraient s'installer à l'étranger ?

Soyez curieux comme un enfant, courageux et absorbez tout ce que vous voyez sans aucun jugement ni préjugé.

Respectez les traditions locales et essayez d'apprendre au moins quelques mots dans la langue locale.

Essayez de vous faire des amis parmi les locaux et de vous entourer d'autres expatriés car ils savent ce que vous vivez.

Gardez le contact avec vos racines et essayez de trouver des personnes qui viennent de votre pays d'origine.

Soutenez-vous les uns les autres car votre famille est la seule chose sur laquelle vous pourrez compter contre vents et marées. Assurez-vous d'avoir une base solide pour survivre.

Rappelez-vous ce qui vous a amené dans ce nouveau pays en premier lieu, mais si cela n'a plus aucun sens, alors il est temps de partir.