Enceinte après avoir décroché un emploi à l'étranger : quelles implications ?

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Publié le 2023-10-18 à 09:00 par Asaël Häzaq
Vous venez de décrocher l'emploi de vos rêves à l'étranger. N'est-ce pas une bonne nouvelle ? Une autre nouvelle survient peu après : vous êtes enceinte. Cela va-t-il poser problème ? Mais faut-il réellement envisager votre grossesse sous l'angle du problème ? Que disent les législations sur la grossesse, l'entretien d'embauche et la protection des expatriées enceintes ? Y a-t-il des risques à annoncer une grossesse après avoir été embauchée dans un nouveau pays ?

Faut-il annoncer sa grossesse à son employeur ?

Nombre de pays partagent le même principe : vous n'êtes pas obligée d'annoncer votre grossesse à votre employeur, ni durant l'entretien d'embauche ni après votre prise de poste. Vous n'êtes tenue d'en parler qu'avant de prendre votre congé maternité. Cependant, pour bénéficier de vos droits en tant que salariée enceinte (droit d'avoir un poste aménagé, des heures de travail en moins, des temps d'absence pour vos examens…), vous devrez informer votre employeur à l'oral et/ou par écrit. Un justificatif médical pourra vous être demandé. Zoom sur trois pays : la France, le Canada et le Japon.

France

L'article L1225-1 du Code du travail français est clair : « L'employeur ne doit pas prendre en considération l'état de grossesse d'une femme pour refuser de l'embaucher, pour rompre son contrat de travail au cours d'une période d'essai ou, sous réserve d'une affectation temporaire réalisée dans le cadre des dispositions des articles L.1225-7, L.1225-9 et L.1225-12, pour prononcer une mutation d'emploi. Il lui est en conséquence interdit de rechercher ou de faire rechercher toutes informations concernant l'état de grossesse de l'intéressée. » Que vous soyez enceinte avant votre entretien d'embauche ou que vous découvriez votre grossesse après avoir signé avec l'entreprise française, vous n'êtes pas obligée d'annoncer votre grossesse à votre employeur.

L'annonce sera en revanche nécessaire pour bénéficier « des dispositions légales relatives à la protection de la femme enceinte ». En effet, en tant que salariée enceinte, vous pouvez bénéficier d'un aménagement de poste, d'autorisations à vous absenter pour vos examens médicaux sans baisse de salaire. Vous êtes protégée contre le licenciement. Pour bénéficier de votre congé maternité, vous êtes dans l'obligation de prévenir votre employeur (avant votre départ en congé).

Canada

Instaurée en 1977, la Loi canadienne sur les droits de la personne protège « le droit de tous les individus [...] à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'identité ou l'expression de genre, l'état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, la déficience ou l'état de personne graciée. » L'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne interdit toute discrimination basée sur la grossesse, particulièrement lors d'un entretien d'embauche.

En vertu de cette Loi, l'employeur canadien ne peut refuser de vous embaucher ou de vous promouvoir en raison de votre grossesse. Il ne peut pas non plus interrompre votre contrat, vous rétrograder ou refuser des « mesures d'adaptation raisonnables » compte tenu de votre grossesse (adaptation de poste). La Loi encourage les employeurs canadiens à lutter contre le harcèlement des salariées enceintes et contre toute forme de discrimination à leur égard.

Japon

En 2022, plusieurs stagiaires techniques étrangères révèlent avoir été poussées à avorter ou à démissionner par leurs employeurs. Un fait loin d'être isolé. Le 10 avril, un panel d'experts (membres du gouvernement, académiciens et avocats) propose de supprimer le très controversé Programme de formation technique des stagiaires pour les travailleurs étrangers. Ce harcèlement touche aussi les salariées japonaises.

Il n'est pas rare d'entendre parler, dans les entreprises japonaises, de « calendriers de grossesses ». Rien à voir avec un calendrier de grossesse classique. Ici, c'est l'employeur qui organise les grossesses des salariées pour qu'elles ne nuisent pas à l'entreprise. Interdiction donc de tomber enceinte « spontanément ». Plusieurs systèmes de roulement existent : tomber enceinte selon l'ancienneté, tomber enceinte en fonction de ses périodes de congés… Et surtout pas au moment ou peu après l'embauche. Gare aux contrevenantes. Les discriminations envers les salariées enceintes se poursuivent jusque dans les crèches. Des crèches peu nombreuses au Japon, majoritairement composées d'employées sous tension chronique. Bas salaires, sous-effectifs, démissions, pression de la hiérarchie, règles strictes… Tomber enceinte dans ce milieu est, paradoxalement, loin d'être une bonne nouvelle.

C'est l'expérience qu'a vécue une directrice de crèche en 2021. Lorsqu'elle annonce sa grossesse à l'administrateur en chef de la crèche, il s'emporte : « C'est irresponsable ! ». Il lui refuse l'adaptation de poste, l'obligeant à travailler plus de 40 heures par semaine. Or, la Loi japonaise sur les normes de travail oblige l'employeur à adapter le poste de la salariée enceinte, dans la limite de 40 heures par semaine. La Loi interdit aussi le licenciement pour cause de grossesse. Mais en pratique, le matahara, « harcèlement des femmes enceintes » reste courant au Japon.

Grossesse et travail : une association à risque ?

Si le principe vous protège en tant que salariées enceintes, en pratique, les discriminations demeurent. Le Japon est un exemple emblématique d'une culture du travail qui considère encore la grossesse incompatible avec le monde de l'entreprise. Un paradoxe pour un pays en pleine crise démographique. Même problème pour le voisin coréen. Tout dépend cependant de votre entreprise. Si vous êtes embauchée par une entreprise respectueuse de la loi, vos droits pourraient être assurés.

Une affaire d'État

Grossesse et travail sont vus comme « problématiques » même au sommet de l'État. Le gouvernement coréen a ainsi recommandé aux femmes enceintes de s'assurer, avant d'aller accoucher, que leur conjoint ne manque de rien. Pour ce faire, elles se doivent de préparer les repas du conjoint et de veiller à ce qu'il ait des vêtements propres jusqu'à leur retour de maternité. Ces « conseils », publiés en 2019, n'ont été retirés qu'en 2021, après avoir été découverts par des internautes. Ces « conseils » pressaient les femmes enceintes de ne causer aucun « désagrément », ni à leur famille ni à la société. Face au tollé, le gouvernement coréen a reconnu une erreur de communication et supprimé son article.

Salariée et enceinte : quels risques pour le travail ?

Mais le mal est fait. Les salariées enceintes doivent encore s'excuser d'être enceintes. En France, des salariées reconnaissent se sentir « coupables d'être enceintes ». C'est notamment le cas dans les catégories et sociocatégories professionnelles supérieures (CSP+). Cadres, chercheuses, responsables… Leur position élevée dans l'entreprise ou les impératifs de leur profession semblent leur interdire tout projet de grossesse. En décembre 2022, de jeunes chercheuses se confient au journal français Le Monde. Elles témoignent d'un univers académique concurrentiel, où tomber enceinte ne rentre dans aucun planning. Beaucoup repoussent leur projet de grossesse ou, lorsqu'il survient, continuent de travailler, y compris en congé maternité. Faute de budget, le secteur de la recherche française est en crise chronique. Les jeunes chercheurs sont souvent menacés par la précarité ; les jeunes chercheuses enceintes, encore plus.

« Trahison », « déloyauté », « cachotteries »… Les employeurs ne manquent pas de mots pour discriminer les salariées enceintes. Nombre d'entre elles se sentent ainsi coupables alors que le droit est de leur côté. Un droit loin d'être respecté par toutes les entreprises. Certaines licencient les salariées enceintes peu avant la fin de leur période d'essai. D'autres les rétrogradent, les poussent à la démission ou ne renouvellent pas leur contrat à leur retour de congé maternité.

Salariée et enceinte : comment défendre ses droits ?

Avant de vous expatrier, faites le point sur le droit du travail et la protection des salariées enceintes. Que prévoit votre pays d'accueil ? Qu'en est-il dans les faits ? Voit-on une discrimination systémique ou des avancées ? N'oubliez pas tout ce qui concerne la garde, l'éducation de l'enfant, le congé parental et la rémunération. Les crèches sont-elles nombreuses ? Quelle est la durée du congé parental ? Les pays scandinaves sont reconnus pour leurs avancées en matière de droits des salariées enceintes et de congé parental. En Belgique, l'écart de salaire entre les femmes et les hommes n'est en moyenne que de 5 %, contre environ 18 % en Allemagne et près de 23 % en Australie.

Faites valoir vos droits. Si la question vous est posée en entretien d'embauche, vous n'êtes pas obligée de répondre. L'employeur le sait, mais peut feindre de l'ignorer. Retournez-lui la question et observez sa réaction. Quand viendra l'annonce de votre grossesse (pour partir en congé, faire valoir vos droits…), ne présentez pas la situation comme un problème, mais comme un fait et un droit. Si l'employeur vous discrimine, gardez toutes les preuves pour vous tourner vers la justice (mails, courrier de licenciement, etc.). Bien entendu, tous ces conseils sont donnés à titre général. D'où l'importance de bien vous renseigner sur votre pays d'accueil et sur vos droits.

Liens utiles :

France : droits des salariées enceintes

Canada : droits des salariées enceintes ; Commission canadienne des droits de la personne