Pourquoi le Portugal refuse de mettre un terme aux Golden Visas

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Publié le 2022-06-29 à 12:00 par Asaël Häzaq
Rien n'y fait. Contrairement à d'autres pays d'Europe, le Portugal persiste et signe. Les controversés golden visas resteront. L'économie portugaise, secouée par la crise sanitaire, la crise économique, la guerre en Ukraine, et l'inflation galopante (8% le mois dernier) ne pourrait se passer des investissements étrangers. Pourquoi le Portugal mise-t-il autant sur les visas dorés ? Peut-il fermer indéfiniment les yeux sur les effets néfastes du système ? 

Le Portugal n'arrêtera pas les golden visas

Vendredi 17 juin, le Parlement portugais a dit « non » à la proposition d'arrêter les golden visa. Déception du Parti communiste portugais (PCP), de Bloco de Esquerda (Bloc de gauche, BE), et du parti écologiste Personnes Animaux Nature (PAN). Le Parti socialiste (PS) a rejeté toutes les propositions de l'opposition. Le parti au pouvoir estime que les ajustements faits en janvier dernier sont suffisants.

Depuis janvier, le golden visa ne vaut que pour les propriétés classées « zones touristiques » par le gouvernement. Les biens immobiliers doivent se situer dans les terres ou les régions autonomes des Açores et de Madère. Exceptions faites pour les zones faiblement peuplées. Avec ces ajustements, le gouvernement entendait calmer les ardeurs de ceux qui l'accusaient de « vendre le Portugal aux investisseurs », tout en poussant les riches étrangers à investir dans les petites et moyennes villes portugaises.

Le député socialiste Pedro Anastácio voit déjà ces changements comme une « promotion de l'investissement productif, de la création d'emplois, et de l'investissement dans la requalification urbaine » rapporte le journal espagnol Eco. Pour lui, les golden visa mettent aussi en avant « le patrimoine culturel et les activités à haute valeur environnementale ou sociale ». Devant les parlementaires, Pedro Anastácio confirme l'importance « fondamentale » des golden visas.

Ce que le golden visa a apporté au Portugal

C'est la crise financière de 2008 qui pousse le Portugal à lancer le golden visa. Le pays entre alors dans l'austérité. Le chômage grimpe à 15% en 2012. C'est cette année qu'est créé le golden visa. Depuis, le SEF (Serviço de Estrangeiros et Fronteiras/ Service des frontières et de l'immigration) note qu'il a rapporté 5,3 milliards d'euros pour à peine 10 000 visas délivrés. Rien que pour 2019, le visa doré a rapporté 601,5 millions d'euros. Cette année-là, les investissements augmentent de près de 30%. Une mine d'or pour le pays. 

À l'origine, le golden visa permet aux non-Européens de résider sur le territoire s'ils achètent une propriété à hauteur de 500 000 euros, déposent un million d'euros sur un compte bancaire portugais, ou investissent dans des entreprises portugaises. La réforme de 2022 (initialement 2021, repoussée à cause de la Covid) restreint les localités concernées par les investissements, mais ambitionne toujours d'attirer les riches investisseurs, à commencer par les Anglais. Privés de la citoyenneté européenne depuis le Brexit, les investisseurs anglais se tournent vers le Portugal. 

Et les changements de 2022 ne semblent pas enrayer la dynamique. Les investisseurs – surtout les britanniques – courent booster l'économie de Madère, archipel autonome du Portugal. Ils y ont injecté 60 millions d'euros l'an dernier. Cette année devrait connaître de nouveaux records. Startupers et entrepreneurs de la high-tech sont particulièrement friands de l'île. Une aubaine pour le Portugal, qui en profite pour se développer sur la scène internationale.

Effets pervers du visa doré

Depuis sa création, le golden visa pose un problème moral. La nationalité s'achète-elle ? Le droit de résidence n'est-il qu'une question d'argent ? Dans son communiqué du 9 mars, le Parlement européen juge les golden visas « critiquables d'un point de vue éthique, juridique et économique, [avec] plusieurs risques graves pour la sécurité ». La guerre en Ukraine a révélé ces visas dorés derrière lesquels des oligarques russes menaient grand train tout en menant des activités illicites. 

Le golden visa a pu se justifier pour sortir de la crise de 2008 (en 2010, le déficit public avait atteint 9,8% du PIB). Mais le Portugal est sorti d'affaires depuis longtemps. La Covid et la guerre en Ukraine ne justifient pas, pour les opposants au système, le maintien des visas dorés. 

Les golden visas facilitent le blanchiment d'argent, l'évasion fiscale, et contribuent à la hausse des inégalités. Entre les locaux et les riches étrangers, le fossé culturel et financier ne fait que grandir. La création d'emploi est loin d'être toujours au rendez-vous, les investisseurs étaient plutôt là pour accroître leurs capitaux tout en optimisant leur fiscalité. Même limite pour le partage du patrimoine culturel. Certains Portugais ont plutôt l'impression de ne plus reconnaître leur quartier, et de ne plus pouvoir y vivre. L'afflux des riches étrangers fait grimper les prix. Difficile pour eux de se réjouir avec le député Anastácio. 

Quel avenir pour le golden visa au Portugal ?

Le SEF publie de bons chiffres pour le début de cette année, mais rapporte également la baisse spectaculaire des investissements chinois au premier trimestre : - 60%. Or, la Chine est l'un des plus gros investisseurs aux Portugal. D'autres rappellent qu'ils n'ont rien en commun avec les investisseurs peu scrupuleux et fustigent le SEF, accusé de geler certains golden visa sans justification. La grogne monte aussi du côté des citoyens, qui acceptent de moins en moins ce qu'ils considèrent comme une inégalité. Pas de quoi faire trembler le gouvernement, comme le montre sa décision du 17 juin. Le golden visa portugais tiendra bon. Du moins, pour l'instant.