Est-il plus difficile de s'expatrier à Singapour depuis la pandémie ?

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Publié le 2022-03-22 à 09:00 par Ester Rodrigues
Alors que l'exode des expatriés de Hong Kong s'accélère, Singapour resserre son processus en matière de délivrance de visas. Le gouvernement singapourien a récemment introduit de nouvelles restrictions sur les conditions d'obtention de visas pour les profils hautement qualifiés. En effet, les exigences salariales minimales ont été révisées et un système de points similaire à ceux utilisés au Royaume-Uni et au Canada a été mis en place. Les professionnels étrangers qui souhaitent s'installer à Singapour sont donc tenus de bien se renseigner au préalable.

Qu'est-ce qui change ?

Singapour est déjà un pays aux conditions strictes concernant l'entrée des expatriés mais il risque de l'être encore plus à l'avenir. Mais même si ces changements ont été envisagés en deux semaines seulement, ils n'entreront en vigueur qu'à partir de septembre de l'année prochaine. Ce qui donnera le temps aux nouveaux candidats à l'expatriation d'accumuler un certain score basé sur une variété de critères. Parmi ces critères, on compte non seulement les diplômes et les compétences mais aussi l'exigence salariale par rapport aux locaux ayant des compétences et des qualifications comparables. En d'autres mots, plus c'est élevé, plus ils ont de chances d'être sélectionnés. Qui plus est, les entreprises désireuses d'embaucher des professionnels étrangers doivent justifier les talents véritablement exceptionnels de ces derniers et être en mesure de payer le salaire préconisé. D'autre part, les employeurs seront tenus de prouver si la nationalité d'un candidat contribue à la diversité de leurs entreprises.

À savoir que ces changements ont été annoncés lors de la présentation du budget 2022 de Singapour. Selon les nouvelles dispositions, les entreprises qui souhaitent demander un nouveau Employment Pass (EP) pour les professionnels, les gestionnaires et les cadres étrangers devront s'engager à leur verser un salaire de base d'au moins 5 000 dollars singapouriens (* à partir de septembre 2022). Il s'agit en effet d'une hausse par rapport aux 4 500 dollars singapouriens actuels. Le salaire minimum et les qualifications requises pour les détenteurs de S-Pass seront également revus. En effet, le barème salarial passera de 2 500 $S à 3 000 $S. Lorsque les candidatures pour les EP et les S-Pass seront évaluées, le ministère de la Main-d'œuvre de Singapour mettra davantage l'accent sur la question de savoir si l'entreprise a continué à soutenir son personnel PMET local (à savoir, professionnels, cadres, ingénieurs et technicien) ou si elle a fait preuve de discrimination à l'égard des Singapouriens possédant les compétences similaires pour les postes offerts.

Ces changements en matière de visas surviennent au cœur d'une pénurie de main-d'œuvre dans différents secteurs, allant de la construction et des services aux secteurs hautement qualifiés comme la technologie et la finance. D'autant que les ressortissants étrangers font actuellement face aux contrôles frontaliers stricts depuis le début de la pandémie. Steven est un investisseur étranger qui vit aujourd'hui à Singapour. Il déplore le fait que le processus d'obtention d'un visa professionnel qui est déjà complexe sera pire dorénavant pour les nouveaux arrivants.

Quid de l'exode des expatriés ?

Il y a de fortes chances que ces changements de politiques Singapour entraînent un exode d'expatriés. Un expatrié français à Singapour, qui a choisi de garder l'anonymat, confie : « Singapour n'est plus ce qu'elle était en 2019, principalement en raison des restrictions draconiennes depuis le début de la pandémie de Covid-19, mais aussi de l'inflation et du nationalisme ». En outre, certains expatriés se sont confiés aux médias internationaux. Selon leurs dires, le non-respect des mesures de Covid-19 dans leur cas a été plus strict que pour les Singapouriens. D'ailleurs, ils étaient nombreux à être sanctionnés, voire emprisonnés, pour non-port de masque. S Vaitheeswaran, un expatrié indien à Singapour, déplore que « Pour un pays comme Singapour, reconnu pour sa transparence et ses politiques justes et favorables à sa population, c'est regrettable. Pourquoi tant que différences pour les citoyens et les résidents permanents au sujet des protocoles de voyage relatifs à la Covid-19 ? Je me demande quand ils vont avoir une petite pensée pour l'intérêt et le bien-être des expatriés ».

Selon le ministère de la Main-d'œuvre de Singapour, le nombre de travailleurs étrangers est en baisse depuis 2016. Ce qui remet en question la perception que les nouveaux changements seraient directement liés au nouveau pic de cas de Covid-19 à Hong Kong et à l'exode vers Singapour. En effet, le nombre de professionnels étrangers à Singapour a chuté de 1 393 000 en décembre 2016 à 1 200 400 en 2021. Par rapport à décembre 2020, cependant, une baisse de moins de 1 % a été enregistrée.

Dans une déclaration à Bloomberg, Tan See Leng, ministre de la Main-d'œuvre, a indiqué qu'il s'agit d'une mesure visant à différencier les meilleurs talents. « Le but est de pouvoir identifier les talents vraiment super qualifiés qui peuvent venir dans notre pays pour travailler et complémenter notre main-d'œuvre existante ». Si Tan See Leng a mis l'accent sur le fait que le ressentiment contre les étrangers n'est pas si répandu dans le pays, il a également mentionné que « plutôt que laisser la porte ouverte à tout le monde, nous essayons tout simplement de faire une sorte de sélection ».

Et la nationalisation des emplois dans tout ça ?

Même si les changements proposés ont l'ambition d'attirer des expatriés hautement qualifiés, le nombre de cols blancs étrangers à Singapour a chuté à son niveau le plus faible l'année dernière en plus d'une décennie. Une situation qui sous-entend que la Cité-État ne profite peut-être pas de l'exode des expatriés en provenance de Hong Kong. Selon les derniers chiffres du ministère de la Main-d'œuvre, le nombre de détenteurs de l'Employment Pass, un type de visa délivré aux professionnels, managers et cadres étrangers qui touchent au moins 4500 dollars singapouriens par mois, a chuté de 9% au cours de l'année écoulée, atteignant 161 700 en décembre 2021. Il s'agit du niveau le plus bas depuis 2010 où le pays en comptait 143 300.

Ibrahim Sani, un journaliste et présentateur malaisien, qualifie d'ironique l'émoi qu'a soulevé la nationalisation des emplois à Singapour. « N'est-ce pas quelque chose de normal ? Les expatriés à Singapour réalisent-ils soudainement qu'ils ne sont pas des gens spéciaux ? Peut-on réellement déplorer le fait que le gouvernement singapourien priorise les Singapouriens par rapport aux expatriés ? » Ce commentaire avait soulevé des vagues l'année dernière après que des expatriés ont fait face à une vague de licenciements et qu'ils se sont retrouvés dans une longue file d'attente dominée par les locaux.