Jud à Hiroshima

L'Expat du mois
Publié le 2015-12-01 à 00:00 par Expat.com team
Je m'appelle Judith, j'ai 36 ans et suis graphiste. Je suis née dans la région du Beaujolais, au nord de Lyon en France mais ai passé 10 ans dans le Sud (Aix-en-Provence et Marseille) avant de m'installer au Japon.

Je m'appelle Judith, j'ai 36 ans et suis graphiste. Je suis née dans la région du Beaujolais, au nord de Lyon en France mais ai passé 10 ans dans le Sud (Aix-en-Provence et Marseille) avant de m'installer au Japon.

J'ai toujours été passionnée de musique et attirée par la découverte de pays étrangers, mais plus que les voyages touristiques à proprement parler, ce sont les voyages qui permettent de rencontrer les gens sur place et de vivre leur quotidien, sans se presser, qui m'intéressent. J'ai visité l'Espagne, l'Angleterre, l'Irlande, l'Allemagne, la Suisse, la Bulgarie, la Turquie et les États-Unis et n'ai découvert l'Asie seulement depuis mon installation au Japon : Corée, Chine, Vietnam et Singapour.

J'ai également toujours eut un attrait pour les langues étrangères (j'ai étudié les Sciences du Langage pendant 3 ans avant de me lancer dans le graphisme) et ai essayé d'en apprendre un paquet ! (avec plus ou moins de succès) : l'anglais, l'allemand, l'italien, le latin, l'espagnol, le portugais du Brésil (pays où je rêvais de m'installer à une époque), l'arabe, le chinois et enfin le japonais.

Comment t'est venue l'idée de t'installer au Japon ?

A la base, le Japon ne m'intéressait absolument pas et ne faisait pas du tout partie de ma liste de pays à visiter. Mais à Marseille en 2004, j'ai fait la rencontre d'un ami qui connaissait très bien le Japon, tout particulièrement Hiroshima, pour s'y rendre régulièrement depuis des années. Son enthousiasme pour ce pays a fini par déteindre sur moi et c'est comme ça que je l'ai suivi lors d'un de ses voyages en août 2006. A cette époque j'utilisais encore très peu Internet, ce qui fait qu'en dehors de ses récits et de l'image que j'avais en tête, je ne savais pas grand-chose du Japon. J'ai passé 3 semaines inoubliables à Hiroshima et y ai découvert des gens fabuleux qui sont aujourd'hui toujours mes amis. C'est au cours de ce voyage, lors duquel tous mes clichés sur le Japon ont volé en éclat, que j'ai décidé de revenir pour une longue période. Je suis revenue en Juin 2007 avec un visa working-holiday en poche.

Depuis combien de temps es-tu partie ? Est-ce la première fois que tu vis loin de chez toi ?

Ça fait maintenant 8 ans que je suis là et c'est en effet la première fois que je vis à l'étranger. Je m'étais cependant déjà éloignée de ma région d'origine en partant vivre seule dans le Sud de la France dès de l'âge de 19 ans.

Comment s'est passée l'installation ?

Ça s'est passé tout en douceur puisque j'avais bien préparé les choses en amont et étais restée en contact avec les personnes rencontrées lors du premier voyage. J'avais donc des gens sur qui compter en cas de besoin et surtout je ne me sentais pas seule. J'avais trouvé un appartement en sous-location pour les 2 premiers mois et comme je travaillais encore à l'époque en freelance (en tant que web designer avec des clients français), j'avais beaucoup de temps pour explorer la ville, m'occuper de la paperasse, lier des amitiés ou apprendre la langue. Je n'avais pas non plus à me soucier de trouver un emploi, donc j'étais plutôt dans un état d'esprit relax. A la fin des 2 mois dans l'appartement sous-loué, je me suis installée en colocation avec 2 amies japonaises.

Les Japonais sont-ils accueillants ?

Extrêmement je trouve, notamment dans le Sud-Ouest où les gens sont plus détendus et plus faciles d'approche qu'à Tokyo ou Kyoto par exemple.

J'ai été surprise du temps et des efforts que m'ont consacré les amis à mon arrivée alors que nous ne nous connaissions à cette époque que depuis très peu de temps. Malgré des emplois du temps surchargés, je trouve que les gens savent se montrer disponibles.

Dans les magasins ou les administrations - et c'est quelque chose que tous les voyageurs remarquent immédiatement - la qualité du service est exceptionnelle et le personnel extrêmement patient. On ne m'a jamais montré d'agacement (comme ça a pu être le cas à Paris, Londres ou New York) même lorsque mon japonais était encore très limité et que j'ignorais quasiment tout des us et coutumes locaux.

Lorsqu'on se promène avec une carte ou que l'on ne comprend pas le fonctionnement d'une machine, on est quasiment certain de se faire aborder par quelqu'un proposant de l'aide et quand j'ai dû me déplacer avec mon énorme valise dans le métro de Tokyo, on m'a toujours aidée à la porter dans les stations dépourvues d'ascenseur ou d'escalator.

On peut également aller manger ou boire des coups seul le soir dans des petits lieux, et être sûr que le staff ou d'autres clients engageront la discussion avec vous, même si cela commence par des questions bateau, souvent les mêmes, qui agacent beaucoup de résidents étrangers ou de voyageurs habitués.

Qu'est-ce qui t'a le plus surpris à Hiroshima/au Japon ?

Ça fait tellement longtemps que j'y vis maintenant que ça devient difficile de me souvenir de tout ce qui a pu me surprendre au départ. Je crois que ce qui m'a le plus surpris à mon arrivée fut de découvrir que le Japon et les Japonais n'avaient rien à voir avec les clichés que j'avais en tête. Je les imaginais un peu comme des robots ultra sérieux, timides et pas très drôles et c'est tout l'inverse que j'ai découvert : les Japonais sont de bons vivants qui aiment se faire plaisir en dehors des heures de travail (comme les Français, ils aiment passer des heures à table et sont exigeants en ce qui concerne la nourriture). Je n'aurais jamais non plus soupçonné qu'ils étaient autant portés sur l'alcool. En France, ce sont surtout les jeunes, les gens qui n'ont pas encore fondé de famille, qui sortent le soir pour faire la fête et boire mais au Japon on croise toutes les générations. J'ai été étonnée lors de mes premières sorties en ville le soir, de croiser des gens de l'âge de mes parents ou même de celui de mes grands-parents, bien habillés, mais titubant dans la rue, complètement ivres ou de voir des gens endormis à même le sol après une soirée trop arrosée.

Ensuite découvrir que les petites figurines et mascottes, les illustrations kawaii n'étaient pas seulement destinées aux enfants mais étaient vraiment utilisées partout, même sur les brochures de la banque ou de la pharmacie.

L'aspect bruyant du Japon : les centres commerciaux ou les rues dans les zones de shopping avec la musique à fond, les employés qui hurlent « irasshaimase »  à l'entrée des boutiques, ou des slogans à l'extérieur pour attirer le client.

Le fait que le pays vive 24/24, que l'on puisse aller manger à toute heure du jour ou de la nuit, acheter n'importe quoi à n'importe quelle heure.

Quelles sont les différences les plus marquantes avec la France, ton pays d'origine ?

 

: comme dans la plupart des pays d'Asie, les gens mangent beaucoup plus souvent à l'extérieur qu'en France et ce à tout âge. On trouve des lieux ou manger, boire ou chanter 24h/24 ce qui fait que les rues sont beaucoup plus animées le soir et jusque tard dans la nuit.

Le côté pratique du Japon : ce serait difficile de tout lister mais par exemple, dans les conbini (convenience stores) ouverts 24h/24 et présents tous les 100m, on peut acheter à manger (chaud et froid), à boire (des boissons réfrigérées et des glaçons), des cigarettes, des vêtements de rechange, des produits ménagers, des produits de toilette et de maquillage, des produits de première nécessité, on peut payer ses factures, faire des photocopies, imprimer, scanner, on peut retirer de l'argent, envoyer du courrier, faire des achats sur internet si on ne possède pas de carte bleue, acheter des billets de spectacle ou de rencontres sportives.

On peut se faire livrer et expédier n'importe quoi dans des temps records (même des produits congelés). En cas d'absence lors de la livraison, le livreur repasse plusieurs fois et on peut également décider d'un autre horaire de livraison, même le dimanche.

On trouve des toilettes propres et gratuites n'importe où.

Les trains et shinkansen (TGV japonais) sont très fréquents et à l'heure, et on peut acheter son billet à la dernière minute.

Moins d'attente : que ce soit dans les administrations ou dans les hôpitaux ou cabinets médicaux, à la poste, à la banque, les attentes sont très courtes et il est inutile de prendre rendez-vous.

Les fêtes à la maison : en France j'étais plutôt habituée à de grosses fêtes de plusieurs dizaines de personnes, sans repas, mais parfois avec des DJs et tous les invités qui dansent. Ici, c'est plus calme. Le nombre d'invités est beaucoup plus restreint (moins de 10 personnes en général) et on se réunit autour d'un repas. Les invités restent rarement jusqu'à l'aube comme ça peut être le cas en France, et aident à ranger avant de partir. On n'écoute pas forcément de musique mais la télé est très souvent allumée en revanche.

Une autre différence que je rangerais personnellement plutôt du côté des points négatifs : une plus grande ségrégation hommes/femmes. Très souvent les femmes sortent entre elles et les hommes entre eux. Il y a même des restaurants plutôt destinés aux hommes et d'autres aux femmes. J'ai évoqué cette particularité dans l'un de mes derniers articles.

Quel est ton meilleur souvenir ?

Il y en a tellement, mais si j'en retenais 2 :

- l'anniversaire de mes 30 ans. Alors qu'on m'avait promis un petit dîner entre filles, mes amis m'avaient préparé une gigantesque fête surprise. Ils avaient réservé tout l'étage d'un club. Des amis dans la restauration avaient préparé un buffet, des DJs s'étaient succédé aux platines et j'avais aussi eu plein de cadeaux. Il y avait plus d'une trentaine d'invités.

- un camp un peu sauvage de 2 nuits sur une plage dans la préfecture de Shimane auquel 4 amis français venus me rendre visite avaient également participé. Le soir d'Obon, nous nous nous étions rendus dans le sanctuaire Shinto d'un petit village où se déroulait un spectacle de Kagura (danse locale avec des masques, des costumes, des dragons, des fumigènes et des feux d'artifice sur le son de la flûte et du tambour japonais). L'une de mes amies françaises et moi avions les larmes aux yeux et la chair de poule malgré la chaleur moite écrasante.

Est-ce qu'il y a des choses qui te manquent depuis que tu es installée à Hiroshima ?

Plus tant que ça. En dehors de la famille, des amis, je pense que ce sont surtout les terrasses de café et restaurant. On en trouve quelques-unes au Japon aussi, mais vraiment très peu par rapport à la France. Beaucoup de lieux n'ont même pas de fenêtre.

Le soleil qui se couche tard en été. Ici il fait nuit à 19h30 même à la fin du mois de juin.

La vie d'une expat à Hiroshima, ça ressemble à quoi ?

Je ne suis pas sûre que ma vie ressemble particulièrement à celle d'un expat, et j'en fréquente d'ailleurs assez peu. Mes amis les plus proches sont tous japonais.
Mes journées de semaine n'ont rien de particulier. Je pars travailler (à pied, une chose très appréciable qui n'est guère envisageable dans les grandes villes au Japon), je travaille de 10 à 19h, vais faire les courses et rentre chez moi quand je n'ai pas de sortie prévue ou de repas avec les collègues ou des clients. Ce qui diffère peut-être de la vie d'un employé en France, c'est le large choix de lieux où manger de vrais repas le midi pour 350-750 yens (2,70-5,75 euros) : plat de nouilles (udon, ramen, soba, shiru nashi tantan-men), plats cambodgiens, plats à base de riz (viande sur bol de riz, bibimbap coréen), menu complet japonais (riz, soupe miso et plat principal), etc.

Sinon, c'est plutôt le week-end ou pendant les vacances que j'ai des activités typiquement japonaises : aller se délasser au onsen ou au sento, en couple ou entre amis, faire des camps à la plage ou à la rivière au cours desquels on prépare des plats super sophistiqués, faire des barbecues où l'on veut (dans les parcs, sur les bords de rivières de la ville, au bord de la mer), aller à un matsuri (festival japonais), visiter des temples ou des sanctuaires, aller se promener à Miyajima, manger ou boire un café en terrasse au bord des rivières (la ville d'Hiroshima est traversée par 7 rivières), faire un nabe (sorte de pot-au-feu convivial japonais) chez des amis ou à la maison, aller au karaoké, faire le hanami sous les cerisiers ou aller admirer le koyo (feuillages rouge d'automne, dormir dans un ryokan (auberge traditionnelle japonaise), faire du shopping même le dimanche ou les jours fériés.

Qu'est-ce qui t'a donné envie d'écrire ce blog ?

J'ai créé mon tout premier blog lors de mon 1er voyage au Japon, parce que c'était la meilleure solution que j'avais trouvé à l'époque pour montrer toutes mes photos à la famille et aux amis.
Ensuite, j'en ai créé un nouveau un peu plus élaboré quand je suis revenue m'installer en 2007. C'était une sorte de journal quotidien, destiné là encore à mes amis et ma famille. J'y ai mis fin en 2011 d'abord parce que je n'avais plus d'appareil photo, puis parce que j'étais trop occupée avec ma nouvelle vie en entreprise. Il y a avait une certaine lassitude aussi.

J'ai redémarré avec le blog actuel l'année dernière, en 2014, après l'achat d'un appareil photo et dans une autre optique. Il est moins centré sur moi et mon quotidien, plus informatif et thématique. Je suis souvent exaspérée par les généralisations, la répétition de clichés que je lis partout sur le Japon alors j'ai envie de montrer qu'il existe un autre Japon, d'autres Japons, j'ai aussi envie de faire découvrir la région dans laquelle je vis : la Mer intérieure de Seto (ou Setouchi) et des lieux d'Hiroshima qu'on présente rarement dans les guides.

As-tu déjà rencontré du monde grâce à ton blog ?

Avec le nouveau pas encore mais beaucoup de personnes me contactent pour me demander des conseils. Avec l'ancien blog, oui, j'ai rencontré d'autres blogueurs français installés au Japon et avec qui je suis toujours en contact. On n'habite pas forcément dans les mêmes villes, mais lorsqu'on peut, on se rencontre. Je suis aussi allée passer des soirées avec des touristes de passage et fait la connaissance de 2 autres Français qui habitent à Hiroshima.

Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à celles et ceux qui souhaitent aller vivre à Hiroshima/au Japon?

Je passerai les conseils d'ordre purement pratique puisqu'on peut les trouver facilement en cherchant sur Internet.

C'est une question assez vaste et je crois que d'une certaine manière j'y réponds en filigrane tout le long de mes articles, mais pour faire court, je conseillerais à ceux qui souhaitent s'installer au Japon, d'oublier tout ce qu'ils lisent sur Internet à propos du Japon et des Japonais. D'oublier tous les clichés et d'être curieux et ouvert, de ne pas interpréter trop hâtivement ce qu'ils observent, d'être attentif et de beaucoup observer. C'est une culture basée sur un système de face extérieure et de face intérieure, alors il est important de ne pas s'arrêter à la première couche, mais au contraire de gratter lentement jusqu'à ce que l'on pénètre dans la partie interne du Japon et de ses habitants afin d'apprécier complètement la vie sur place.

Apprendre la langue, vraiment. C'est la clé. Ne pas juger les habitants du pays tant qu'on ne maîtrise pas suffisamment la langue pour avoir de vraies conversations avec eux.

Jud à Hiroshima