Bonjour les globe-trotters!
Je me permets de faire partager mon expérience personnelle sur Lisbonne, qui apparaîtra je le sais, comme un cheveux sur la soupe à l'heure où la capitale portugaise est unanimement adulée. J'espère que ces mots pourront vous distraire et peut-être vous être utiles. Bien entendu, je respecte sans réserve tout ceux qui aiment Lisbonne, et pourront aussi respecter mon opinion encore une fois très personnelle.
Pourquoi pas Lisbonne ?
On vous promet dix ans d'exonération fiscale, des palais chargés d'histoire et un peuple chaleureux comme son soleil et ses plages, et c'était presque vrai…
En arrivant à Lisbonne pour la première fois en 2014, j'ai été saisi par le potentiel d'un centre historique jalousement préservé depuis sa dévastation lors du tremblement terre, raz-de-marée et incendies de 1755 : de belles places, dont la grandiose praça do comercio donnant sur la scintillante mer de paille, de jolies points de vue depuis les nombreux miradouro des sept collines, des parcs à la végétation luxuriante et de belles façades couvertes d'azulero graphiques et colorés. En plus, à trente minutes de voiture, après le Cascais des russes à lèvres de canard et Cayenne turbo blanches, s'étendent les côtes de l'Atlantique, paysage d'une grande beauté quasiment vierge de constructions avec ses grandes plages, dunes sahariennes, vents violents et vagues spectaculaires faisant le bonheur des surfeurs. C'était le mois de mai et en Suisse il pleuvait, évidemment. A Lisbonne, on quittait déjà veste et pullover pour profiter d'un soleil merveilleusement ventilé par une petite brise sur-mesure pour le farniente…
Bref, pouvoir jouir d'autant de plaisirs tout en restant en Europe, alors, pourquoi hésiter ! J'y suis allé ! Et j'en suis revenu…
Orgueil et frustrations
Le petit pays a vécu une crise économique terrible et sans les milliards d'aide externe et investissements et dépenses étrangers, il ne fait aucun doute que son PPA aurait chuté au niveau des pays africains. Avant cela, le fier Empire avait déjà subit la désillusion de perdre la quasi totalité de ses colonies, réduit comme peau de chagrin jusqu'à la révolution des œillets de 1974. Aujourd'hui, le pays capitaliste porte une dette colossale, équivalente à son PIB, et la timide croissance profite inégalement au secteur des services à Lisbonne, première bénéficiaire des milliards européens, et depuis 2013, des centaines de millions d'investisseurs étrangers permettant aux immeubles pombalins en ruines de retrouver toute leur splendeur ! A quatre mille euros du mètre carré, on pouvait alors acheter des propriétés aux meilleurs endroits du centre ville, Baixa, Principe Real, Alfama, … Le boum touristique entraîna ensuite une hausse annuelle de 30% des prix du centre ville, soit le rendement des bienheureux investisseurs majoritairement étrangers. Les développeurs immobiliers portugais ont eux aussi profité de ce miracle pour faire fortune en maximisant leurs marges avec de la sous-traitance roumaine, ukrainienne, sénégalaise ou pakistanaise, délaissant leur jeunesse oisive aux joies de la fumette.
Ainsi, les humiliations se sont succédées pour le plus grand nombre et la frustration de perdre encore et toujours a fait naître des sentiments particulièrement pesant. Jalousie et xénophobie se manifestent alors dans un repli protectionniste. Honte à nous les investisseurs qui avons pris des risques financiers personnels en transformant des quartiers en ruine à prostituées et deals en belles rues aux magnifique palais originaux, car nous avons incité les développeurs portugais à rompre en toute légalité les baux à loyers des anciens locataires ayant eux-mêmes dégradé, tagué et craché sur leur propre patrimoine. Une partie des logements est destinée aux touristes qui vont rester plusieurs jours dans Lisbonne et participer grandement à l'économie portugaise de service sans laquelle le pays s'écroulerait plus bas que terre. Et l'autre partie, non négligeable, reste à disposition de tous ceux qui ont un bon travail ou un bon capital, dont de nombreux portugais, médecins, avocats, entrepreneurs. L'injustice sociale du capitalisme touche Lisbonne comme n'importe quelle autre ville civilisée en ne permettant pas aux couches modestes de posséder un bel appartement neuf au centre ville, mais cela n'est pas vraiment la faute ni des investisseurs étrangers, ni des développeurs portugais, mais le fait d'inégalités globales qui font tourner le monde tel qu'il est à ce jour.
Bien sûr, le touriste qui paie ne se rendra pas compte de grand chose lors de son week-end easyjet, il aura droit à des sourires pour son argent. Mais le résident investisseur pourra se sentir fatigué d'être détesté, jalousé et si peu aidé par cette communauté renfermée.
Marijuana, coke, hashish ?
A moins que vous n'ayez plus de soixante ans ou que vous voyagiez en famille, on vous aura sans doute posé cette question de nombreuses fois au milieu des grandes places de Lisbonne ou dans les ruelles touristiques de Bairro Alto. Des dealers roumains ou maghrébins vous proposeront en toute légalité de la fausse résine de cannabis pouvant vous envoyer fissa à l'hôpital. Mais que fait la police ? Rien. Car la fausse résine n'est pas de la drogue… Le résident à tête de touriste étranger devra donc subir quotidiennement, et plusieurs fois par jour selon son trajet en ville, les interceptions plus ou moins insistantes, voire violentes selon la réaction que l'on y opposera, de ces faux dealers, véritables rebus de l'humanité. J'ai personnellement essayé diverses techniques pour éviter le problème, esquiver, dénoncer, se bagarrer, rien à faire, cette saleté est tenace et il est impossible de l'ignorer. Par contre, la vraie coke, l'héroïne, le crack et la « bonne » marijuana existent bien au centre ville, marché détenu en toute décontraction par la jeunesse portugaise dans le pittoresque quartier de Mouraria. Ces véritables dealers sont plutôt sympas, mais encore faut-il accepter leurs clients qui viendront préparer leur crack sous vos fenêtres, cambrioler poliment vos appartements ou subtiliser pacifiquement votre portemonnaie pour se payer leur plaisir personnel.
Au royaume canin
En Inde la vache est sacrée et au Portugal, c'est apparemment le chien. Dans les grandes rues touristiques, le phénomène est absent. Mais dans les ruelles moins fréquentées, les heureux propriétaires laissent volontiers leur animal se soulager discrètement le soir tombé sans se soucier de leur devoir civique… Alors, au clair de lune, regardez ou vous mettez les pieds… Un pic-nic dans un parc ? Choisissez bien votre endroit, car les chiens y sont libérés et leurs courses folles pourraient bien nuire à votre tranquillité. On est loin de New York ou les chiens ont droit à leurs parcs, afin qu'ils puissent s'y défouler et socialiser, tout en respectant le tranquillité des êtres humains en quête de repos bien mérité. Mais à Lisbonne, c'est la liberté de l'animal avant la vôtre. Très peu pour moi donc.
L'humidité la moitié de l'année
Parler de Lisbonne en ne mentionnant que le beau temps reviendrait à ignorer six mois de pluie et d'humidité de son calendrier. Alors, mieux vaut prévoir un budget de chauffage conséquent car l'électricité est loin d'être gratuite et les isolations souvent superficielles. On peut penser que c'est un bonheur de jouir de plus dix degrés en décembre, mais croyez-moi, avec une telle humidité, mieux vaut un bon hiver enneigé. Bref, Lisbonne de mi-octobre à mi-avril, c'est moche, triste et très inconfortable.
Plages bondées ou plages tempétueuses, l'océan demeure glacial
Fais ton choix camarade ! A l'ouest, les plages donnant frontalement sur l'atlantique sont peu fréquentées en semaine mais incessamment balayées de rafales de vents tempétueux. Alors, prenez un grand parasol, orientez-le bien et surtout amarrez le à moitié dans le sable pour vous abriter enfin de la tempête ! Côté Caparica, l'océan est docile mais les plages bondées comme à Antalya ! Pour se baigner, il faudra l'aimer « rafraichissante » ! Frileux et amoureux du calme, restez plutôt au bord de votre piscine, pour autant qu'elle ne soit pas partagée avec les sparadraps des airbnbs...
Le crasseux, le beauf et le fêtard
Ryan air et easyjet drainent un tourisme de masse par toujours intéressé à visiter églises et ruines romaines. Lisbonne a libéralisé la fumette, médiatisé des petites fêtes locales en bamboulas géantes et changer certains quartiers entiers (Alto bairro, Chiado, …) en hauts-lieux des plaisirs nocturnes. Les incivilités et la vulgarité sont au rendez-vous et vous ne serez pas surpris d'être réveillé à quatre heures du matin par des anglais hurleurs en train de grimper nus sur un réverbère… Pisser contre les façades, fussent celles d'une église, ne pose plus aucun problème et vomir est de bon ton. Pour ceux qui sont jeunes et souhaitent vraiment se déconnecter de la société de consommation, vous ne vous sentirez pas seul à Lisbonne. A condition que vous aimiez les dread lock et détestiez le savon. Si tendre la main dans la rue à vingt ans vous branche, un grand avenir vous est promis sur les pavés lisses (et glissants) de Lisbonne ! Avide des « arts » de la rue, le touriste de base trouvera son bonheur en photographiant les innombrables statues humaines, l'homme qui tient assis dans le vide, l'aveugle sans yeux joueur d'orgue à bouche en plastique ou la bande d'acrobates à tambours harangueurs de foule.
Crachat à tout âge
Mon réveil matin à Lisbonne ? Le raclement de gorge suivi du rejet de salive caractérisant le crachat… Je me suis demandé qui pouvait bien être encore adepte de cette pratique disparue depuis un bon siècle en terres civilisées ? Mon enquête approfondie me laissa pantois, puisque les heureux membres de cette congrégation comptent autant de locaux que d'étrangers, et que même la grand maman portugaise à sa fenêtre ne cachait pas son plaisir salivaire. Fatigué d'esquiver les projectiles glaireux, je me suis un jour pris à réprimander une jeune femme prise sur le vif avenida Libertad (oui oui, sur l'artère du luxe de Lisbonne), et j'ai compris par son regard éberlué, que je luttais contre des moulins à vent. Une autre fois, je m'en suis pris à un jeune homme pour les mêmes raisons. Celui-ci m'a alors totalement déconcerté, me disant qu'il avait mal à la gorge tout en me prenant amicalement par l'épaule… Sympa le gars, mais mon problème de réveil matin n'était pas résolu pour autant !
Un patrimoine pas si culturel que ça
Lisbonne et ses deux mille ans d'histoire… Ah bon ? Où ça ? Le théâtre romain ? Un tas de quelques pierres. Sinon, les traces antiques ont toutes disparues. Les ruelles moyenâgeuses sont authentiques sans toutefois présenter un réel intérêt outre leur charme pittoresque. Le style manuélin est généralement rococo pour qui aime les excès de fioritures, excepté le monastère des hiéronymites (Jeronimos) de Belem, probablement seul chef-d'oeuvre architecturale de la ville.
Alors, c'était bien ?
Bon, vous l'aurez compris, à part côté portemonnaie et quelques belles rencontres qui se comptent sur les doigts d'une main, Lisbonne a été une déception pour moi. En partant, un médecin portugais m'a littéralement supplié de rester : « On a besoin de gens comme vous ! » Trop tard, la coupe était pleine pour moi ; trop de vulgarité, trop de xénophobie, trop d'incivilités. Je ne m'attendais pas à recevoir une médaille pour avoir participé avec mes propres économies, à mes propres risques, à l'essor et l'embellissement de Lisbonne, mais espérais au moins vivre harmonieusement dans une communauté respectueuse. Alors, je la quitte sans regret, comme sa grandiose pianiste Maria Joao Pires.
Adeus Lisboa !
Raison : à la demande de l'auteur, la dernière phrase [porte à confusion]a été supprimée.