Les expatriés sont-ils une menace à l'emploi des jeunes ?

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Publié le 2022-10-11 à 14:00 par Asaël Häzaq
Les immigrés font traditionnellement les frais de la crise. La crise sanitaire et la crise économique remettent en question l'emploi des expatriés. En 2020, certains pariaient même sur la mort de l'expatriation, quand d'autres soulignaient les bénéfices d'une baisse de l'expatriation (et donc, de l'immigration dans le pays d'accueil) sur l'emploi, surtout celui des jeunes. Les expatriés sont-ils réellement une menace pour l'emploi des jeunes locaux ?

Expatriation, emploi des jeunes locaux et marché du travail international

Au sens large, l'expatrié est celui qui quitte son pays pour aller vivre, donc immigrer, dans un autre pays. L'expatrié est donc aussi un immigré. Les immigrés sont des cibles récurrentes pour expliquer la crise économique, la montée du chômage, les violences, l'insécurité, etc. Pourtant, il n'y a aucun lien entre immigration et baisse de l'emploi des jeunes. C'est même le contraire. Les jeunes, qu'ils soient locaux ou expatriés, bougent plus. Ils se forment à l'étranger via des échanges universitaires, Erasmus, ou d'autres programmes de mobilité internationale. En novembre 2021, le Conseil d'analyse économique (CAE) de France prône un « accroissement de l'immigration qualifiée ».

Les terres d'immigration comme le Canada, l'Australie ou les États-Unis l'ont bien compris. Il faut une mobilité internationale pour booster l'économie. Le marché du travail s'est internationalisé depuis longtemps. Les PDG des grandes firmes américaines sont majoritairement immigrés. La mobilité permet la circulation des idées et la création de nouveaux projets. Dans tous les domaines, les innovations sont le fait de partenariats entre plusieurs nationalités (cf. vaccins anti-Covid). L'immigration est donc un plus pour le marché du travail et le marché économique.

Mais la question migratoire reste souvent engluée dans des interrogations identitaires, qui gomment le bénéfice économique. L'économiste Philippe Legrain résume bien la situation dans son livre Them ans us : « L'immigration est aujourd'hui, sans doute, le sujet le plus controversé dans les pays occidentaux. Nos sociétés (relativement) ouvertes et libérales sont menacées par des personnes qui rendent responsables les étrangers en général, et les immigrés en particulier, pour tout ce qui selon eux ne va pas dans nos vies et sociétés. »

Expatriation et stratégies gouvernementales

Au Koweït, on a décidé de prendre parti pour le peuple. Comprendre, le peuple koweïtien. Et tant pis si le pays est majoritairement constitué d'étrangers. Au Koweït aussi, le « problème » des expatriés revient à chaque crise. Celle de la Covid n'y échappe pas. Selon le Conseil de la fonction publique, les jeunes koweïtiens seraient les premiers à revendiquer les postes traditionnellement occupés par les étrangers. Le Bureau des statistiques officielles compte 54,6% d'étrangers au ministère de la Santé, 20% à l'Éducation, 0,8 à la Défense et 0,9 au ministère du Pétrole, ministère qui a stoppé le recrutement d'étrangers durant la pandémie. Tous ces chiffres sont amenés à diminuer avec la mise en œuvre de la koweïtisation. Le problème semble insoluble. D'un côté, les jeunes se sentiraient lésés par des étrangers qui occuperaient toujours les plus hauts postes. De l'autre, les étrangers se sentiraient discriminés injustement.

Les Émirats arabes unis (EAU), qui comptent encore plus d'étrangers (90% de sa population), adoptent une tout autre politique. Ils mettent tout en œuvre pour devenir un poids lourd du marché de l'emploi international. Conscients que les immigrés font vivre le pays, ils leur ouvrent toutes les portes, y compris celles des ministères. Un service en ligne assure leur recrutement. Les très hauts postes restent néanmoins occupés par des fidèles de Mohammed Ben Zayed, président des EAU.

Un conflit « locaux contre expatriés » ?

« L'expatriation métropolitaine » menace-t-elle l'emploi des jeunes ? C'est ce que pense Eliane Tevahitua, représentante Tavini à l'Assemblée de Polynésie (groupe indépendantiste). Entre la France métropolitaine et ses collectivités d'Outre-mer, le torchon brûle. Eliane Tevahitua s'inquiète de l'arrivée régulière (et en hausse depuis la Covid) « d'expatriés de France métropolitaine », qui viendraient occuper des postes (et des hauts postes) au détriment des locaux. La ministre du travail Virginie Bruant s'insurge et rappelle que la Polynésie est en France. Quelqu'un qui voyage dans son pays n'est pas un immigré. La ministre évite de soulever la question qui fâche : celle de la différence de traitement ressentie par les locaux. En juillet 2019, Édouard Fritch, président de la Polynésie, a voté une loi sur « la promotion et la protection de l'emploi local ». Elle n'est toujours pas adoptée. Inadmissible, selon Eliane Tevahitua qui, dans une lettre ouverte, presse le président d'agir.

Dans les années 2010, la Polynésie était citée comme « destination phare pour le tourisme, mais cauchemar pour les jeunes chômeurs ». La Covid a remis le problème à l'ordre du jour. En 2021, la Polynésienne des Eaux développe son programme d'aide pour les jeunes. Chaque année, elle en recrute une centaine en contrats aidés ou en stage, pour repérer les futurs talents locaux. Les défenseurs de l'emploi des jeunes plaident pour une multiplication de ces entreprises. Ils affirment ne pas remettre en cause les bienfaits de l'immigration, mais plutôt rééquilibrer les forces, en donnant du travail aux locaux déjà sur place avant d'aller chercher des étrangers. C'est la politique des grandes puissances en matière d'immigration. Au Canada, aux États-Unis ou en France, l'entreprise doit d'abord justifier ne pas trouver d'employé local pour le poste qu'elle propose, avant de recourir à la main-d'œuvre étrangère.