Travailleurs expatriés temporaires : quels sont les défis ?

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Publié le 2022-05-11 à 08:00 par Asaël Häzaq
Les conventions internationales garantissent à tous les travailleurs expatriés les mêmes droits. Dans les faits, pourtant, il y a les expatriés et les autres, les cols blancs, mieux protégés que les travailleurs œuvrant dans des secteurs sous tension. L'image même diffère. Dans l'inconscient collectif, le travailleur étranger temporaire semble loin d'être « l'expatrié » de référence. Moins considéré, moins protégé, il est souvent exposé à plus de difficultés. Que dit le droit international en la matière ? Que font les États pour protéger les travailleurs expatriés temporaires ?

Protection pour les travailleurs expatriés temporaires : ce que dit la Convention internationale

Les travailleurs expatriés temporaires disposent, en principe, des mêmes droits et protections que les autres travailleurs. La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille rappelle que « […] l'un des objectifs de l'Organisation internationale du Travail […] est la protection des intérêts des travailleurs lorsqu'ils sont employés dans un pays autre que le leur […] ». La Convention s'appuie sur des principes fondamentaux déjà entérinés : droits de l'homme, promotion de l'égalité des chances…

Les « migrants » dont parle la Convention sont « […] les personnes qui vont exercer, exercent ou ont exercé une activité rémunérée dans un État dont elles ne sont pas ressortissantes. » Une définition similaire à celle d'un expatrié. Dans les faits cependant, on constate que les travailleurs expatriés temporaires sont rarement assimilés aux « autres expatriés », ceux en col blanc. La Convention elle-même n'emploie pas le terme « expatrié » qui correspond pourtant également à la situation vécue par ces travailleurs étrangers.

La Convention rappelle que ces travailleurs expatriés ont les mêmes droits que les nationaux de l'État dans lequel ils travaillent : contrat de travail, congés payés, droit de se syndiquer, sécurité sociale, liberté d'expression, droit d'être protégé, de circuler sur le territoire, de rentrer dans son pays… Toute forme de discrimination, d'esclavage ou de travail forcé est fermement condamnée. En cas d'atteinte à leurs droits, les travailleurs migrants et leurs familles « ont le droit d'avoir recours à la protection et à l'assistance des autorités consulaires ou diplomatiques de leur État d'origine ou de l'État représentant les intérêts de cet État ». Devant les tribunaux, ils ont les mêmes droits que les nationaux.

À ce jour, une vingtaine d'États ont ratifié les dispositifs de la Convention. Ils sont plus nombreux à n'avoir que signé ces dispositifs (Japon, Australie, Afrique du Sud, Russie…). Certains États, dont la Chine ou les États-Unis, n'ont encore mené aucune action (ni signature ni ratification).  

Dans les faits : quelle protection pour les travailleurs expatriés temporaires ?

Vent d'inquiétude sur l'Île-du-Prince-Édouard (PEI). L'île canadienne manque de bras et ouvre ses portes aux expatriés. Le tourisme, malmené pendant la Covid, reprend des couleurs. Mais, même au Canada, tout n'est pas parfait. L'institut Cooper, association caritative, soutient que l'État ne protège pas assez ces travailleurs temporaires, surtout en termes de droit au logement. Embaucher, oui, mais à condition d'offrir les mêmes conditions de résidence pour tous. Le problème n'est pas nouveau. L'institut Cooper reproche aux autorités canadiennes de privilégier leurs besoins de main-d'œuvre au détriment de la sécurité des travailleurs. 

En théorie, le Règlement canadien sur l'immigration et la protection des travailleurs étrangers temporaires stipule que « les travailleurs étrangers temporaires bénéficient des mêmes protections en milieu de travail et des mêmes droits que les Canadiens et les résidents permanents en vertu des lois fédérales, provinciales et territoriales applicables ». Le gouvernement reconnaît cependant des lacunes, malgré les efforts réalisés pour mieux protéger les expatriés temporaires. Le Règlement reconnaît que « […] de nombreux facteurs, comme leur statut temporaire et leur accès limité à de l'information au sujet de leurs droits, peuvent rendre les travailleurs étrangers temporaires plus vulnérables à de la maltraitance ou à de la violence. [...] » Le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) et le Programme de mobilité internationale (PMI), pensés pour « mettre en conformité [les] employeurs et protéger les expatriés" ne parviennent pas à remplir tout leur rôle.

Les difficultés rencontrées par le Canada se retrouvent chez les autres pays. Manque de volonté des gouvernements ? Urgence économique masquant les discriminations subies au quotidien ? Contrairement aux autres expatriés, qui ont accès à la résidence permanente, les expatriés temporaires sont souvent perçus comme une main-d'œuvre corvéable, mobilisable et démobilisable au gré des besoins des États. 

Le drame des travailleurs expatriés temporaires : le cas du Japon 

En théorie, les travailleurs expatriés temporaires ont les mêmes droits que les autres. En théorie seulement. Au Japon, les drames se ressemblent et s'accumulent. En janvier dernier, Fukuyama Union Tampopo, syndicat de défense des travailleurs, fait parvenir à la presse des vidéos datant de septembre 2020, montrant un « stagiaire » vietnamien se faire frapper par ses collègues. L'homme a intégré l'entreprise en 2019 ; les violences auraient commencé au même moment. Malgré des signalements en juin 2021, les violences continuent. Suite à la médiatisation de l'affaire, le ministère de la Justice japonaise a missionné les services de l'immigration pour faire cesser les « violations des droits humains à l'encontre des stagiaires techniques étrangers. » (citation France 24). 

Ce système des « stages » (officiellement, Programme de formation de stagiaire technique) existe depuis les années 90 et permet au « stagiaire » de rester 3 ans au Japon. Il n'a réellement émergé qu'en 2012, et a enchaîné les ratés. Le manque de protection des travailleurs expatriés temporaires est régulièrement pointé du doigt. Des entreprises peu scrupuleuses surexploitent, profitant du manque de transparence du système et des faibles contrôles. En 2016, le gouvernement vote une loi qui punit tout abus, comme la confiscation, par l'employeur, du passeport de l'expatrié, l'obligation de demeurer sur le lieu de travail, etc. Mais dans les faits, ces abus demeurent, comme l'atteste le syndicat Fukuyama Union Tampopo. Fin 2021, le Japon compte 1,73 million de travailleurs étrangers. La majorité possède un visa court (60%). Parmi eux, 350 000 sont des « stagiaires », venant principalement d'Asie. Des travailleurs qui remplissent les tâches que les Japonais ne veulent plus faire : métiers physiques, dangereux, ingrats, mal payés... Ils sont d'ailleurs considérés comme une main-d'œuvre « de seconde zone », comparativement aux immigrés en col blanc. 

Contrats temporaires à l'étranger : les risques 

Le principal risque du travailleur expatrié temporaire est une négation de son statut et de ses droits. Il n'est pas une « sous-main-d'œuvre » corvéable et déplaçable au gré des fluctuations économiques du pays d'accueil. Dans les faits, il est pourtant soumis à la violence verbale, physique et/ou psychologique de son employeur. Employeur qui profite du manque de connaissance du salarié étranger. Ce dernier ne maîtrise pas toujours la langue du pays, et, même s'il la maîtrise, il n'est pas toujours au fait de ses droits et recours. Confisquer le passeport, obliger à vivre sur le lieu de travail, interdire d'aller voir un médecin, refuser la sécurité sociale, payer en dessous du minimum salarial, pousser à l'avortement... sont des pratiques interdites et condamnables. Elles continuent pourtant de se pratiquer. Pire : les gouvernements eux-mêmes semblent ne pas mesurer l'ampleur du problème.

Pour faire face à son manque criant de main-d'œuvre (surtout dans la construction et l'agriculture) le Japon ouvre, en 2019, un nouveau visa temporaire de 5 ans maximum. Plus souple que les visas de travail classiques, il ne nécessite aucun niveau de japonais, ne permet ni accession à la résidence ni regroupement familial. Les associations dénoncent un système à deux vitesses, qui joue contre les plus précaires. Beaucoup pensent améliorer leur train de vie et celle de leur famille, et se retrouvent piégés à leur arrivée au Japon. Sans maîtrise de la langue et connaissance de ses droits, difficile de lutter. Ces expatriés temporaires seraient plus nombreux à être touchés par la mort liée au travail que les autres travailleurs. Les autres pays sont aussi concernés. Le marché du travail international montre ses limites. Pour les associations de défense des travailleurs, l'exigence économique ne peut se substituer aux droits universels de l'homme.