Pourquoi les médecins quittent-ils le Royaume-Uni ?

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Publié le 2024-05-22 à 11:00 par Ameerah Arjanee
Face à un profond sentiment d'insatisfaction, de nombreux médecins qui exercent au Royaume-Uni choisissent l'expatriation ou l'envisagent sérieusement pour un avenir proche. Ce phénomène touche principalement les jeunes médecins généralistes formés au Royaume-Uni, qui se sentent surchargés de travail, sous-payés et sous-estimés. Ils privilégient généralement d'autres pays anglophones, en particulier l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada, ou alors, pour certains, les Émirats arabes unis.

Les discussions avec le gouvernement britannique autour des salaires sont au point mort

Ces deux dernières années, les médecins en formation du Royaume-Uni ont multiplié les mouvements de grève, déterminés à faire entendre leur mécontentement et leurs revendications auprès du gouvernement. Au sein du NHS, le système de santé publique britannique, ces médecins peuvent être considérés comme étant « en formation » pendant au moins dix ans, le temps de cumuler suffisamment d'expérience avant de devenir titulaires.

D'après la British Medical Association (BMA), le principal syndicat des médecins au Royaume-Uni, les salaires des jeunes praticiens n'ont pas augmenté depuis 2008/2009. Cette stagnation, couplée à une inflation dépassant les 3 % et à la crise du coût de la vie, met leur situation financière en péril. Une enquête de la BBC réalisée fin 2023 révèle que certains médecins en formation gagnent un salaire horaire standard de seulement 14 livres sterling, soit à peine plus que le salaire minimum. Sans heures supplémentaires et travail le week-end, ces jeunes médecins peinent à subvenir à leurs besoins et à rembourser leurs prêts étudiants, qui s'élèvent entre 50 000 et 90 000 livres sterling par diplômé en médecine, selon Money Advisor.

Pour remédier à la situation, la British Medical Association (BMA) exige une augmentation de 35 % sur les prochaines années. Toutefois, le gouvernement n'a concédé qu'une hausse de 8,8 % en 2023, justifiant sa réticence par le coût élevé pour les finances publiques. Bien que les négociations entre le gouvernement et la BMA aient repris en mai, comme l'a annoncé la BBC, la situation demeure bloquée.

De jeunes médecins généralistes bien plus enclins à quitter le Royaume-Uni que leurs confrères plus expérimentés et spécialisés

L'insatisfaction qui secoue le National Health Service (NHS) n'affecte pas tous les médecins de manière égale. En effet, la crise frappe principalement les praticiens en début de carrière et ceux qui ne sont pas encore spécialisés.

Ce groupe englobe les médecins en cours de formation initiale, c'est-à-dire ceux qui sont dans les deux premières années suivant la fin de leurs études de médecine, ainsi que les jeunes généralistes débutants. Ils sont généralement âgés de moins de 40 ans.

En novembre 2023, le General Medical Council (GMC), l'instance régulatrice de la profession médicale au Royaume-Uni, publiait un rapport exhaustif intitulé « Identifying Groups of Migrating Doctors Research ». Fondée sur une enquête menée auprès de 13 % des médecins en exercice au pays, cette étude explore leur niveau de satisfaction professionnelle et leur intention de s'expatrier. Les réponses des praticiens ont été classées en six catégories distinctes : Profonds mécontents, Sceptiques du système, Épuisés, Développeurs de carrière mobiles, Ouverts aux opportunités et Heureux au Royaume-Uni.

L'étude révèle un constat alarmant : près de 60 % des médecins interrogés expriment un niveau de satisfaction professionnelle insuffisant, se classant dans les trois premières catégories. Seuls 8 % déclarent être « heureux au Royaume-Uni » et ne songeraient jamais à quitter le pays. Parmi les médecins « mobiles » et « ouverts aux opportunités », environ 35 % envisagent un départ uniquement pour des motifs indépendants de leur satisfaction au NHS, tels que le regroupement familial, une opportunité professionnelle passionnante ou le désir de découvrir de nouvelles cultures. Ces motivations, qualifiées de « facteurs d'attraction » (aspects positifs de la vie à l'étranger), contrastent avec les « facteurs de répulsion » (mécontentement envers le pays d'origine ou actuel). Il apparaît clairement que l'exode des médecins britanniques est principalement motivé par des facteurs d'attraction.

Les médecins satisfaits de leur vie au Royaume-Uni, ou susceptibles de partir uniquement pour des raisons d'attraction, présentent un profil distinct : il s'agit majoritairement de spécialistes âgés de plus de 40 ans, voire 50 ans. De plus, la plupart d'entre eux ont obtenu leur premier diplôme de médecine hors du pays. En d'autres termes, ce groupe est principalement composé d'expatriés ou d'immigrés et non de citoyens britanniques de naissance. Leur départ éventuel du Royaume-Uni serait principalement motivé par le désir de retrouver leur famille et de renouer avec leurs racines.

En revanche, les médecins nés et ayant grandi au Royaume-Uni, ou qui y résident depuis leurs études, expriment une forte intention de quitter le pays. Ces jeunes médecins généralistes, majoritairement formés au Royaume-Uni, évoquent plusieurs facteurs de mécontentement qui les poussent à envisager un départ :

  • Une rémunération insuffisante.
  • Une charge de travail est trop importante, ce qui entraîne un mauvais équilibre entre vie professionnelle et vie privée et souvent un épuisement professionnel. Il leur est donc difficile de fonder une famille ou de s'occuper de leurs enfants, s'ils en ont déjà, dans la vingtaine ou la trentaine.
  • Un profond scepticisme quant aux politiques du gouvernement concernant le NHS et un sentiment que ces politiques rendent de plus en plus difficile la fourniture de soins de qualité aux patients.
  • Les trop nombreux obstacles administratifs pour être promu médecin généraliste à partir du statut de médecin débutant ou pour devenir consultant ou médecin spécialiste. 
  • Le sentiment de ne pas être valorisé ni respecté au travail. Certains d'entre eux ont même été victimes d'intimidation et de discrimination au travail.

Les questions de rémunération, de langue, de système d'immigration et d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée

Où partent ces jeunes médecins ? La majorité d'entre eux aspirent à s'établir dans l'hémisphère Sud ou au Canada. L'Australie se révèle comme la destination la plus plébiscitée, avec 51 % des répondants à l'étude du GMC. Elle est suivie par le Canada, destination privilégiée de 29 %, et la Nouvelle-Zélande, choisie par 26 % des interrogés. Les Émirats arabes unis arrivent en quatrième position avec 16 %. Bien qu'il ne s'agisse pas techniquement d'un pays anglophone, l'anglais y est largement utilisé dans le milieu professionnel.

L'absence de barrières linguistiques constitue indéniablement un facteur de motivation majeur pour ces jeunes médecins. En effet, la communication avec les patients s'avère aisée dans les pays où l'anglais est la langue dominante. Ce facteur explique le faible nombre de médecins britanniques qui s'installent dans des pays européens proches, tels que l'Espagne ou la France, où la maîtrise de la terminologie médicale en français ou en espagnol est requise pour exercer dans le secteur public de santé. De plus, la similarité des systèmes de formation médicale au sein des pays anglophones du Commonwealth facilite l'homologation des diplômes.

L'existence de systèmes d'immigration avantageux constitue un autre facteur incitant les jeunes médecins à s'établir dans ces trois pays. En effet, à l'instar du Royaume-Uni, ces pays font face à une pénurie de main-d'œuvre dans le secteur de la santé et ont, par conséquent, assoupli les procédures d'immigration pour attirer ces professionnels hautement qualifiés.

Le Canada a pour objectif d'accueillir un million d'immigrants qualifiés sur son territoire d'ici 2025. Plusieurs voies d'immigration s'offrent aux médecins provenant du Royaume-Uni, notamment le programme d'Entrée express pour les travailleurs qualifiés (Express Entry Federal Skilled Worker Program - FSWP) et le programme des candidats des provinces (Provincial Nominee Program - PNP). Le système de points d'Entrée express est particulièrement avantageux pour les médecins, car il valorise leur diplôme supérieur et leur expérience professionnelle. De plus, la majorité de ces médecins désireux d'émigrer étant âgés de 20 à 30 ans, donc, loin de la retraite, ils obtiennent également des points supplémentaires en raison de leur jeune âge.

Bien entendu, l'obtention d'une autorisation d'exercer au Canada implique certaines démarches, comme c'est le cas pour les professions réglementées dans tous les pays. Les médecins provenant du Royaume-Uni doivent se préparer à faire évaluer leurs diplômes, à passer des examens et, dans certains cas, à suivre une formation complémentaire en résidence. La seule barrière linguistique concerne le Québec, où la maîtrise du français est requise pour exercer. Dans le reste du pays, l'anglais suffit. D'ailleurs, dans l'étude du General Medical Council, les médecins britanniques installés au Canada ont cité une meilleure qualité de vie (72 %) et un meilleur salaire (67 %) comme motifs principaux de leur satisfaction.

L'Australie offre également aux médecins étrangers un éventail de voies d'immigration, encore plus large qu'au Canada. Le visa de travailleur indépendant qualifié de sous-classe 189 (Skilled Independent Subclass 189 Visa) s'adresse tout particulièrement aux expatriés hautement qualifiés n'ayant pas été parrainés par un employeur australien. Le visa de travailleur qualifié parrainé par l'État de sous-classe 190 (Skilled State Sponsored Subclass 190 Visa) constitue l'équivalent pour les médecins ayant déjà obtenu le parrainage d'un prestataire de soins australien. Ces deux visas permettent à l'expatrié d'obtenir la résidence permanente.

Le visa provisoire régional de travail qualifié de sous-classe 491 (Skilled Work Regional Provisional Subclass 491 Visa) est, quant à lui, un visa de travail temporaire permettant à un médecin britannique de travailler pendant 5 ans dans un territoire australien spécifique. Pour l'obtenir, l'expatrié doit être désigné par le gouvernement du territoire concerné. Au bout de 3 ans avec ce visa, l'expatrié peut demander la résidence permanente. Il existe également le visa de pénurie de main-d'œuvre temporaire de sous-classe (flux moyen) 482 (Temporary Skill Shortage Subclass (Medium-Term Stream) 482 Visa), un visa temporaire destiné aux professions en pénurie de main-d'œuvre. Ce visa est généralement facile à obtenir, car de nombreux employeurs sont prêts à parrainer des professionnels étrangers pour l'obtenir. Bien que le visa 482 n'ait pas de limite d'âge, les autres visas énumérés ci-dessus ont une limite d'âge de 45 ans (ce qui n'est généralement pas un problème pour les jeunes médecins britanniques en début de carrière !).

En Australie, les médecins bénéficient d'une rémunération nettement plus élevée qu'au Royaume-Uni. En effet, les généralistes au Royaume-Uni gagnent entre 70 000 et 105 000 livres sterling par an, les plus jeunes se situant en bas de l'échelle. D'ailleurs, les médecins débutants perçoivent souvent moins de 40 000 livres sterling avant d'être promus au registre des médecins généralistes, un processus qui peut prendre une dizaine d'années. Ces chiffres proviennent de la plateforme de recrutement britannique Prospects.

En revanche, selon le cabinet de recrutement médical Alecto Australia, le médecin généraliste moyen en Australie gagne plus de l'équivalent de 100 000 livres sterling par an, certains pouvant même atteindre les 200 000 livres sterling. Cette disparité salariale importante entre les deux pays persiste même en tenant compte du coût de la vie élevé dans des villes comme Sydney et Melbourne.

Les médecins expatriés qui s'installent dans les zones rurales australiennes défavorisées en termes d'accès aux soins médicaux sont particulièrement bien rémunérés. En effet, comme l'indique Medrecruit, une autre agence de recrutement, les médecins exerçant dans les zones rurales australiennes bénéficient d'incitations financières gouvernementales à l'installation, d'aides à la relocalisation et à la rétention, ainsi que d'une faible concurrence en raison d'un ratio médecin-patient favorable. D'ailleurs, dans le rapport du General Medical Council, l'écrasante majorité des médecins britanniques déjà installés en Australie déclarent profiter d'une meilleure qualité de vie (87 %) et d'un meilleur salaire (80 %).

La Nouvelle-Zélande semble offrir aux médecins l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée le plus favorable. En effet, l'entreprise de ressources humaines Remote a classé la Nouvelle-Zélande comme le pays où cet équilibre est le meilleur au monde, l'Australie suivant de près à la quatrième place. D'ailleurs, dans le rapport du General Medical Council, 87 % des médecins provenant du Royaume-Uni installés en Nouvelle-Zélande ont déclaré que leur qualité de vie s'était améliorée.

Le site officiel du gouvernement, Te Whatu Ora | Health New Zealand, propose une section dédiée à l'emploi, répertoriant des postes vacants à court terme, des remplacements et des postes permanents. Kiwi Health Jobs est également une excellente plateforme pour trouver des opportunités dans le secteur de la santé publique et privée. Le réseau de santé Hauora Taiwhenua facilite le placement des médecins expatriés dans les zones rurales et urbaines du pays via ses équipes NZLocums et NZMedJobs.

Comme en Australie, les médecins expatriés qui s'installent dans des zones rurales défavorisées en termes d'accès aux soins médicaux en Nouvelle-Zélande bénéficient d'incitations financières et d'une rémunération plus élevée. Les salaires des médecins débutants démarrent au minimum à l'équivalent de 40 000 livres sterling, tandis que les généralistes plus expérimentés gagnent au moins 85 000 livres sterling.

Les médecins, qu'il s'agisse de généralistes ou de spécialistes, sont classés dans la liste verte des professions de niveau 1 en Nouvelle-Zélande. Cela signifie qu'ils peuvent prétendre à des visas permanents simplifiés. Le visa « Straight to Residence » et le visa « Work to Residence » constituent tous deux d'excellentes options pour les médecins de moins de 55 ans ayant déjà une offre d'emploi d'un prestataire néo-zélandais. Ces visas leur permettent également de faire venir leur famille en tant que résidents permanents.

L'exode des médecins du Royaume-Uni : un problème ancien qui s'aggrave

L'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada ne sont bien sûr pas les seules destinations attrayantes. Un nombre plus réduit de médecins britanniques choisissent également les Émirats arabes unis et les États-Unis. L'absence d'impôt sur le revenu aux Émirats arabes unis constitue un atout majeur pour eux, tandis que le système de santé privé dominant et les impôts relativement bas aux États-Unis leur permettent de gagner des revenus conséquents.

L'exode des médecins britanniques vers d'autres pays hautement développés n'est pas un phénomène récent, mais il s'est aggravé ces dernières années. En effet, le Royaume-Uni est un exportateur net de médecins vers les pays hautement développés depuis au moins le début des années 2000. Une étude de 2012 publiée dans le Journal of the Royal Society of Medicine par Avinash Sharma, Trevor W. Lambert et Michael J. Goldacre révèle que cette tendance a vu le jour il y a plus de vingt-cinq ans.

L'étude, intitulée « Why UK-trained doctors leave the UK : cross-sectional survey of doctors in New Zealand » (que l'on peut traduire par « Pourquoi les médecins formés au Royaume-Uni quittent-ils le Royaume-Uni : enquête transversale auprès des médecins de Nouvelle-Zélande ») a révélé que l'émigration de médecins du Royaume-Uni vers la Nouvelle-Zélande prend naissance vers 2005. Parmi les motivations principales, étaient cités la surcharge de travail, un mauvais équilibre entre vie professionnelle et vie privée et un désaccord avec le nouveau système de promotion mis en place au début des années 2000. Toutefois, l'intensification récente de ce phénomène est particulièrement préoccupante. En effet, comme le souligne le National Health Executive, elle pourrait bientôt coûter 5 milliards de livres sterling par an au NHS si aucune solution n'est trouvée.

Le départ des médecins du Royaume-Uni ouvre certes des opportunités pour les médecins expatriés des pays en développement. En effet, un nombre croissant de médecins originaires d'Asie du Sud, du Nigéria, d'Égypte et de pays européens moins riches comme la Roumanie et la Grèce s'installent au Royaume-Uni. Quoi qu'il en soit, il faut garder en tête que le coût de l'embauche de nouveaux médecins étrangers reste plus élevé pour le NHS que celui de la rétention des médecins déjà en poste.

Liens utiles :

Junior doctors guide to industrial action in England (bma.org.uk)

How much do junior doctors really get paid in England? - BBC News

Identifying groups of migrating doctors - GMC (gmc-uk.org)

Working as a doctor in Canada (bma.org.uk)

Working as a doctor in Australia (bma.org.uk)

Working as a doctor in New Zealand (bma.org.uk)

General practice doctor job profile | Prospects.ac.uk

GP Salary UK - General Practitioners Salary in United Kingdom (alectoaustralia.com)

How much do rural and remote doctors make in 2024? (medworld.com)

Kiwi Health Jobs

International Doctors - Hauora Taiwhenua (htrhn.org.nz)

Why UK-trained doctors leave the UK: cross-sectional survey of doctors in New Zealand - PMC (nih.gov)