Pénuries de main-d'œuvre et métiers sous tension : sur quoi faut-il garder l'œil ?

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Publié le 2024-01-29 à 14:00 par Asaël Häzaq
D'un côté, des secteurs qui connaissent d'importantes pénuries de main-d'œuvre. De l'autre, des conditions d'accès qui peuvent ralentir les recrutements des travailleurs internationaux. Équivalence ou reconnaissance des diplômes, tests, concours... à quoi faut-il faire attention ?

France : exemple des praticiens à diplôme hors Union européenne  

Le statut des praticiens à diplômes hors Union européenne (PADHUE) survivra-t-il à la réforme de l'État français ? En 2020, le gouvernement instaure un nouveau statut pour les Padhue, pour une mise en application au 1er janvier 2021 (arrêté de 2021). Ces derniers pourront désormais exercer s'ils réussissent la nouvelle version des épreuves de vérification des connaissances (EVC) et suivent le parcours de consolidation des compétences (PCC). Le statut de praticien associé est créé, censé simplifier l'exercice des Padhue. Le 27 décembre 2023 est promulguée la loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels ou « loi Valletoux », du nom de Frédérique Valletoux, à l'origine de la proposition. La loi délivre aux médecins étrangers une autorisation temporaire d'exercice de 13 mois renouvelables une fois ; elle exige que les médecins réussissent les EVC. Le régime dérogatoire des Padhue prend fin le 31 décembre 2023. 

Mais la réforme est perçue comme un nouvel obstacle pour des médecins étrangers déjà diplômés et qui exercent en France depuis de longues années. Indispensables pour des hôpitaux et services de soins en manque chronique de médecins, les praticiens étrangers doivent déjà satisfaire aux exigences du ministère de la Santé et de l'Ordre des médecins. D'après les syndicats, entre 4000 et 5000 Padhue travailleraient en France. S'ils effectuent le même travail que les médecins français, le salaire ne suit pas. Pas plus que la reconnaissance des diplômes. Certains médecins affirment n'avoir pas pu se présenter aux EVC de leur spécialité. D'autres ont échoué alors qu'ils reçoivent les appréciations de leur direction. La faute, selon eux, à leur rythme de travail et à la précarité de leur situation, qui ne leur permettent pas de se préparer au concours dans des conditions optimales.

Quel avenir pour les médecins diplômés hors UE ?

Les syndicats (notamment le Syndicat unifié des praticiens à diplôme hors UE) en appellent au gouvernement. Comment contraindre des médecins en poste 50 à 70h (voire plus) par semaine à passer des concours pour exercer un métier qu'ils exercent déjà, et pour lequel ils sont déjà diplômés ? De nombreux médecins partagent leur point de vue et avertissent l'État : sans les praticiens diplômés hors UE, les hôpitaux seront encore plus saturés, les patients, encore plus en souffrance, et les médecins, encore plus débordés. 

Depuis le 1er janvier, 2000 à 3000 médecins diplômés hors UE risquaient de ne plus pouvoir exercer faute d'avoir validé les EVC. Le 3e janvier, plusieurs syndicats et associations lancent une pétition pour demander la réintégration de tous les Padhue et la fin des obligations de quitter le territoire français (OQTF) pour tous les médecins étrangers. 

Lors de sa conférence de presse du 16 janvier, le président Macron envoie un premier signal positif, et évoque des mesures pour « régulariser nombre de médecins étrangers qui tiennent parfois à bout de bras les services de soins [...] », mais sont confrontés à « une précarité administrative complètement inefficace. » Le 18 janvier, une centaine de médecins étranges manifeste devant le ministère de la Santé pour dénoncer la précarité de leur situation. Ils rappellent que la France n'a pas hésité à les solliciter durant la crise sanitaire, et déplorent les nouvelles contraintes qui pèsent sur eux. Message entendu par la ministre de la Santé Catherine Vautrin qui, appuyant les déclarations du président, déclare le 22 janvier « autoriser les Padhue à continuer de travailler pendant les mois à venir », mais sans donner plus de précisions sur les modalités de ces autorisations. Les syndicats restent mobilisés.

Monde : des pénuries de main-d'œuvre parties pour durer

Si la crise sanitaire explique une bonne partie de ces pénuries, les tensions existaient déjà avant la Covid. D'autres « crises » expliquent ces pénuries mondiales : crise démographique, crise des vocations, crise climatique, crise de la formation, crise du travail. Les métiers considérés comme « dangereux, sales et peu gratifiants » n'attirent pas les jeunes. Les professions ouvrières et agricoles peinent à recruter. 

Dans son rapport annuel publié le 10 janvier 2024, l'Organisation internationale du travail (OIT) tire la sonnette d'alarme. Si la croissance mondiale a légèrement dépassé les attentes en 2023, la reprise économique tourne au ralenti. Les pénuries de main-d'œuvre aggravent des déséquilibres déjà grands entre les États. D'après l'OIT, 77 % des entreprises rencontrent des difficultés de recrutement. Parmi les causes : les compétences des candidats ne correspondent pas à leurs attentes. Parfois, ce sont les diplômes qui coincent. Pas parce qu'ils ne correspondent pas, mais parce que l'État d'accueil ne les reconnaît pas ou impose des restrictions : obligation de passer ou repasser un examen, un test, obtention d'une équivalence des diplômes, etc.

Métiers en tension et recrutements : à quoi faut-il faire attention ?

Les candidats à l'expatriation voulant exercer une profession particulière doivent prêter attention aux éventuelles réglementations. En effet, certaines professions sont réglementées. Soumises à la validation d'un diplôme spécifique, d'un test ou examen professionnel, elles sont encadrées par des dispositifs législatifs ou administratifs qui permettent ou non d'exercer la profession. Ces contraintes ont une incidence directe sur le projet d'expatriation. Les professions réglementées sont classées par secteur (santé, enseignement, etc.) et type de poste.

La réglementation des professions varie selon les pays. De même, les documents demandés et exigences à satisfaire peuvent varier selon les pays. Au Canada, par exemple, on estime qu'environ 20 % des professions sont réglementées. Attention : au Canada, chaque province dispose de sa propre réglementation.  

Il convient tout d'abord de vérifier que le pays d'expatriation reconnaisse le diplôme. La reconnaissance des diplômes est différente de l'équivalence des diplômes. L'équivalence est une simple question de niveau : elle indique à quel niveau le diplôme correspond dans le pays étranger. Mais elle ne permet pas d'exercer. A contrario, la reconnaissance des diplômes permet, comme son nom l'indique, de reconnaître le diplôme à l'étranger. Mais elle ne supprime pas les autres exigences que peut imposer l'État d'accueil. Les professions réglementées dépendent souvent d'un Ordre (Ordre des médecins, par exemple) ou d'une association professionnelle qui peut exiger la réussite à un examen supplémentaire, très souvent payant. L'Ordre professionnel peut aussi exiger le passage d'une formation pour réexaminer les compétences du travailleur étranger. Pour mettre toutes les chances de son côté, mieux vaut commencer le plus tôt possible ses recherches sur le pays et ses normes en matière de profession réglementée.

Liens utiles :

Faire reconnaître ses diplômes en France : centre Enic-Naric

Canada : professions réglementées ou accréditées

CICDI : Centre d'information canadien sur les diplômes internationaux

US Department of Education : recognition of foreign qualifications

Australian Department of Education : qualifications recognition

United Arab Emirates Ministry of Education : recognition of foreign vocational qualifications

South Africa : evaluate foreign qualifications

UK : application for recognition of overseas qualifications