Expatriation professionnelle : les nouvelles frontières du marché du travail

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Publié le 2023-07-05 à 09:00 par Asaël Häzaq
Flexibilité toujours plus étendue, semaine de 4 jours, télétravail international, nomadisme numérique, intelligence artificielle, travailler plus, travailler moins, travailler mieux… Le marché du travail se transforme à grande vitesse, impulse de nouvelles organisations et manières de concevoir et répartir le travail. Comment ces transformations impactent-elles l'expatriation ? Aurait-on tendance à vouloir moins travailler lors d'une expatriation professionnelle ?

Toujours plus de flexibilité : une aubaine pour les expatriés ?

Le succès du nomadisme numérique et du télétravail international force à de nouvelles organisations du travail. Certes, les nomades numériques travaillent bien souvent sous le régime juridique de l'entreprise individuelle. Mais leur mode de travail est bien plus un mode de vie. Même constat pour les expatriés télétravailleurs qui, eux, restent salariés. Leur mode de travail implique une réorganisation nécessaire de l'entreprise, à tous les niveaux. Expatriés nomades et télétravailleurs ne sont bien sûr pas les seuls concernés par la flexibilité. Tous les autres salariés le sont aussi.

Des législations en faveur d'une plus grande flexibilité ?

États-Unis, Royaume-Uni, Danemark, Italie, Pays-Bas, Allemagne, France… À chaque pays son système de flexibilité. Le principe est simple : davantage de souplesse pour les entreprises, tout d'abord en termes de licenciements, mais aussi pour le recrutement. Dans les États frappés par la pénurie de main-d'œuvre, de nouvelles mesures ont été mises en œuvre pour faciliter le recrutement des expatriés. Nouveaux visas en Allemagne ou au Japon, assouplissement des règles d'obtention du permis de séjour en Slovénie, augmentation du nombre de travailleurs étrangers à Taïwan (dans certains secteurs)… La flexibilité est-elle pour autant une aubaine pour les expatriés ? Dans tous ces pays (comme dans les autres États), la crise sanitaire a constitué un défi majeur, révélant les limites de l'ultra-flexibilité. Zoom sur quelques États.

États-Unis

Le marché du travail américain est connu pour sa grande flexibilité. Une flexibilité perçue comme un atout pour attirer les travailleurs, notamment les talents étrangers : télétravail, régulation des heures de travail, semaine de 4 jours de plus en plus populaire (chez les grandes entreprises…). Le principe « at-will employment » résume bien la pensée américaine. Il signifie qu'un employeur est libre de remercier son salarié à tout moment, sans préavis ni justification. Le principe est toutefois tempéré par le Worker Adjustment and Retraining Notification Act de 1988 (WARN act), qui oblige les entreprises de plus de 100 salariés à respecter un préavis de 60 jours calendaires. Le choc de la Covid-19 a ébranlé le système, sans pour autant remettre en cause ses bases.

Danemark

On ne présente plus le modèle danois de la « flexicurité (ou flexisécurité) ». D'un côté, un assouplissement des règles du licenciement pour les entreprises. De l'autre, un renforcement de la sécurité pour les salariés et de la protection des demandeurs d'emploi, notamment concernant la formation et la recherche d'emploi. Une stratégie en « gagnant-gagnant » qui entend s'adapter aux fluctuations économiques. Le modèle fait des émules, notamment dans la France d'Emmanuel Macron qui, depuis 2017, se tourne progressivement vers plus de flexibilité. Mais les détracteurs reprochent au modèle danois de pencher davantage vers le volet « flexibilité », surtout depuis la crise financière de 2008. La pandémie a constitué un nouveau défi, avec plus de 50 000 salariés licenciés entre mars et août 2020.

France

On l'appelle la « flexisécurité » à la française. D'un côté, la flexibilité, avec la réforme du Code du travail en 2017 (loi El Khomri, qui pose les bases d'une plus grande flexibilité), et les « ordonnances Macron » toujours en 2017, qui font un pas de plus dans la flexibilité. De l'autre, la sécurité, avec la loi Travail de 2016 qui renforce le droit à la formation (le futur président Macron est alors ministre de l'Économie), la simplification du recours au télétravail (ordonnances de 2017) et la réforme de l'assurance chômage de 2019. En parallèle un besoin de talents étrangers toujours plus criant, comme l'a rappelé le Conseil d'analyse économique dans son rapport de 2021. Au début de la crise sanitaire, la France, comme nombre d'États, notamment européens, a mis en pause ses mesures de flexibilité pour soutenir entreprises et travailleurs.

Semaine de 4 jours, la flexibilité « gagnant-gagnant » ?

On la présente comme la solution antistress, la clé pour l'épanouissement professionnel. Sur le papier, la semaine de 4 jours, c'est travailler moins d'heures tout en gardant le même salaire. Les gains de productivité induits par l'amélioration des conditions de travail compenseraient la « perte » ressentie par les entreprises. La semaine de 4 jours serait meilleure pour la santé, pour l'écologie (moins de temps dans les transports, moins d'outils énergivores allumés, etc.) et l'économie ; elle lutterait aussi contre l'absentéisme au travail et permettrait d'attirer davantage de travailleurs étrangers. Les partisans de la semaine de 4 jours, expatriés comme locaux, sont unanimes : la semaine de 4 jours permet de travailler moins en termes de volume horaire, mais mieux, avec un bien-être au travail permettant une meilleure productivité.

En 2022, l'Espagne s'est mise à la semaine de 4 jours. Toujours en 2022 (en été), l'Irlande et le Royaume-Uni testent la semaine de 4 jours durant 6 mois. Les premiers retours sont positifs. En septembre, la Belgique se met aussi à la semaine de 4 jours, mais sous les critiques des syndicats. Car contrairement à l'Espagne, à l'Islande, ou à l'Islande (pionnière, l'Islande s'y est mise dès 2015) le parlement belge n'a pas proposé une semaine de 4 jours avec réduction du temps de travail. En Nouvelle-Zélande, aux États-Unis, en Australie et en Argentine, quelques grandes entreprises font l'essai de la semaine de 4 jours. D'autres pays, comme le Japon, l'Allemagne ou la France restent perplexes. Les grandes entreprises japonaises semblent préférer la flexibilité à la semaine de 4 jours.

Les défenseurs du système reconnaissent qu'il n'est pas transposable dans tous les secteurs, mais insistent sur la nécessité d'une réflexion globale, à l'heure où les transformations du marché du travail s'accélèrent. Pour les entreprises qui ont sauté le pas, la semaine de 4 jours, flexibilité « gagnant-gagnant », est un atout pour recruter les talents étrangers.

Quand IA transforme le marché du travail international

Lorsqu'elle publie son communiqué de presse, le 23 mai 2022, l'Organisation internationale du travail (OIT) constate une reprise effective du marché du travail international. Mais les heures travaillées ne sont pas encore au niveau de 2019, surtout dans les pays les plus frappés par les crises. L'OIT voit une reprise fragile, avec des secteurs en pénurie certes pourvoyeurs d'emploi, mais qui laissent sur le côté des millions d'autres demandeurs d'emploi. Pour Guy Ryder, Directeur général de l'OIT, « Il est désormais plus essentiel que jamais de travailler ensemble et de privilégier la création d'une reprise centrée sur l'humain.» Pas sûr que toutes innovations concernant l'intelligence artificielle vont dans ce sens.

Peu avant le communiqué le l'OIT sortait (le 3 mai 2023) le rapport du Forum économique mondial (WEF) fait un constat inquiétant, du moins, selon les points de vue. Près d'un quart des emplois dans le monde se transformera d'ici 5 ans, grâce ou à cause de l'IA. Là encore, tout est une question de point de vue. Alors que la mobilité internationale a repris et que de nouveaux profils d'expatriés voient le jour, l'IA, notamment l'IA générative (comme chat GPT) obligerait à de nouveaux rééquilibrages tant en matière de métiers qu'en matière d'organisation et de temps de travail. S'expatrier pour occuper un poste de comptable, de secrétaire ou d'agent de banque aura peut-être moins d'intérêt. Ce sont, selon WEF, les métiers qui ont le plus de chances de disparaître (avec les caissiers et les commis).

Expatriation et rapport au travail : travailler plus ou travailler moins ?

Pour rester compétitifs, les expatriés d'aujourd'hui et de demain devront, non pas travailler moins, mais bien travailler plus. WEF recommande de se former dès maintenant et tout au long de la vie. Car l'IA sera effectivement créatrice d'emplois (69 millions), mais elle en détruira 83 millions (d'après l'étude de WEF, reposant sur 45 économies, soit 673 millions d'actifs). Si les destructions d'emploi sont supérieures aux créations, c'est en partie dû aux grandes performances des IA. Elles ne suppléaient plus seulement les travailleurs pour les tâches physiques et pénibles. Elles sont et seront de plus en plus capables de raisonner et de communiquer. Certes, elles restent pour l'instant faillibles dans le raisonnement, et ont toujours besoin de l'humain. Mais pour les chercheurs, le temps joue en leur faveur.

D'où la nécessité, pour les travailleurs internationaux et nationaux, de se former tout au long de la carrière pour rester dans la course (et notamment, se former pour mieux comprendre les IA...). D'après WEF, cette formation continue fera davantage partie des demandes des employeurs. Une formation qui intégrera une nécessaire flexibilité pour s'adapter aux transformations du marché du travail. Plutôt que d'être hyperspécialisé dans un domaine, l'expatrié de demain serait plutôt résilient, adaptable et capable de changer rapidement de casquette, de se reconvertir dans les secteurs qui recrutent. Force de proposition, WEF a mis en place sa propre plateforme de formation (Reskilling Revolution).

Les expatriés ont-ils tendance à moins travailler ?

D'où vient cette idée que les expats seraient plus enclins à lever le pied ? Peut-être les images de nomades numériques ou de télétravailleurs internationaux travaillant au bord de l'eau font-elles penser à une vie de vacances, et non de travail. Peut-être les aspirations (se réaliser autrement, mieux gérer vie professionnelle et privée…) font-elles penser que les expatriés travailleraient moins. Mais ces aspirations sont aussi partagées avec les locaux. Les nomades numériques et autres expatriés travaillent en fait autant que les travailleurs ordinaires.

Qu'on se le dise : le « travailler plus pour gagner plus » a cédé la place au « travailler mieux pour gagner mieux. » Une meilleure organisation dans le travail, une meilleure coupure entre la vie professionnelle et la vie privée… L'expatriation a changé, tout comme les profils d'expatriés. Même lorsque l'argent est le principal moteur d'une expatriation, il n'est plus le seul argument qui motive le départ. Il s'inscrit plutôt dans une réflexion globale sur la vie à construire. Au fond, les travailleurs d'aujourd'hui sont prêts à travailler non pas moins, mais plus, parfois sur un temps plus réduit. Ils sont prêts à organiser leur travail différemment pour mieux profiter de leur vie à l'étranger.