20 ans d'expatriation au Canada : la grande aventure d'une jeune Française

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Publié le 2022-07-01 à 10:00 par Nelly Jacques
Lucile est venue au Canada pour ses études. Elle a suivi une formation sur-place, puis une deuxième pour se réorienter professionnellement. Elle a vécu des années au Québec puis a fait le choix de déménager sur la Côte Ouest, à Vancouver. Après deux décennies à découvrir ce pays et à se familiariser avec sa culture, elle nous raconte son expatriation au Canada.

Pouvez-vous nous parler de votre jeunesse, de ce qui vous a amené à envisager de vivre au Canada ?

J'ai grandi à Poitiers. Mon grand-père maternel avait déjà envisagé d'émigrer au Canada, au Québec. Avec mes parents, quand j'étais jeune, j'ai visité le Québec dans un jumelage. Ma sœur a fait un stage au Québec et voulait aussi y vivre. Donc, dans la famille, le Québec c'était déjà très présent. On écoutait des chansons de Québécois, comme Diane Dufresne, Robert Charlebois, Felix Leclerc, bien avant Céline Dion ou Garou. Quand j'étais au collège, je voulais être scénographe, donc faire des décors de cinéma. Pour moi, je n'allais pas être acceptée dans les écoles françaises, donc j'ai regardé à l'étranger. Je voulais depuis longtemps aller à l'étranger. Quand j'ai vu que le Québec offrait une formation pour devenir scénographe, j'ai passé le concours de l'école nationale de théâtre du Canada et j'ai été acceptée.

Vous avez donc intégré l'école nationale de théâtre ? Comment s'est passée votre intégration dans la ville, dans la culture québécoise ?

J'avais donc un visa étudiant pour 3 ans. Mon intégration s'est très bien passée puisque les élèves qui étaient à l'école de théâtre avaient la même passion que moi. J'étais dans un environnement très artistique et très stimulant intellectuellement. C'est une école qui est ouverte aux étrangers et aux Canadiens, pas juste aux Québécois. Du coup, j'étais avec plein d'autres cultures. L'ambiance était vraiment comme dans le film Fame ou la série Fame pour celles et ceux qui connaissent.

Il y a 20 ans, le Québec n'était pas une destination aussi populaire que maintenant. Si vous allez à Montréal, vous trouverez des produits français dans beaucoup de magasins. À l'époque, c'était seulement dans des magasins spécialisés. Au début de mes études, je côtoyais principalement des Québécois et j'ai eu une bonne intégration. J'ai appris les classiques de la culture québécoise (théâtre, émissions de télé, expressions, etc.). Donc j'ai eu assez rapidement les mêmes références.

D'un point de vue professionnel, comment s'est passée cette formation. Vous en êtes ressortie sur quelle note ?

Ma formation a duré 3 ans. Pour moi, elle a été difficile puisque j'ai eu l'obstacle de la culture scolaire. Je n'étais plus dans un système avec des enseignants diplômés, un programme ministériel et des notes. C'était sous forme de rétroaction de projets et c'était des artistes invités et non pas des professeurs. Maintenant que je suis enseignante, je vois le côté manquant de la formation à mon époque tels que la didactique ou l'établissement de critères d'évaluation. Pour moi, ça a été un choc psychologique de passer d'une organisation institutionnalisée à une organisation plus libre. Sans compter que je devais me refaire des nouveaux amis, que ma famille n'était pas là, ma cellule proche était à former de nouveau. Donc en plus d'arriver dans un nouvel environnement scolaire, j'avais aussi un nouvel environnement social à créer. Et pour moi, ça a été très difficile.

Quand je suis sortie de l'école, j'ai eu quelques contrats en costumes de théâtre, mais je devais gagner de l'argent pour payer mes factures. Donc j'ai cherché des petits boulots.

Qu'avez-vous décidé de faire ensuite ? Pourquoi être restée sur place ?

Dans ma tête, c'était plus simple de rester au Québec que de retourner avec toutes mes affaires en France. Dans la dernière année de mon visa étudiant, j'ai demandé ma résidence permanente. C'est pour cette raison que j'ai décidé de rester à Montréal, parce que c'était plus simple d'un point de vue logistique et parce que la ville est agréable. Pour payer mes factures, j'ai été caissière, vendeuse, animatrice… Le travail que j'ai beaucoup aimé faire était celui de tutrice parce que je l'avais déjà fait en France. C'est lors de cette expérience professionnelle dans un centre de tutorat que j'ai découvert le métier d'orthopédagogue, mon travail actuel (à savoir enseignante spécialisée pour intervenir et évaluer les difficultés d'apprentissage).

Vous avez donc choisi de vous réorienter professionnellement. Pour faire quoi, comment ?

Je devais retourner à l'université pour compléter une formation de premier cycle de quatre ans en enseignement spécialisé à temps plein avec quatre stages pour devenir orthopédagogue. D'après la définition de l'association des orthopédagogues du Québec, un orthopédagogue c'est : « un pédagogue spécialisé dans le domaine des sciences de l'éducation qui évalue et qui intervient auprès des apprenants qui sont susceptibles de présenter, ou qui présentent, des difficultés d'apprentissage scolaire, en lecture, en écriture ou en mathématiques, incluant les troubles d'apprentissage. » Après, selon le milieu, on peut avoir différentes responsabilités. C'est pour ça que j'ai décidé de créer un podcast pour parler de mon métier parce qu'il a différentes facettes. Il s'appelle « micro ouvert sur l'orthopédagogie ». Lors de notre première saison, on présente différents portraits de l'orthopédagogie dans différents milieux. À la saison 2, on se concentre plus sur leurs interventions et comment évaluer aussi. 

À présent, vous vivez à Vancouver. Comment vous y sentez-vous ? Comment avez-vous vécu la transition Québec-Canada anglophone ? 

Effectivement, cela fait 2 ans bientôt que je suis à Vancouver. Je suis arrivée pendant la pandémie, donc qu'il n'y avait pas vraiment d'activités sociales. Je restais beaucoup avec la communauté francophone alors, depuis septembre dernier, j'ai décidé de faire des activités plus sociales pour pouvoir faire plus de rencontres. Un de mes objectifs était d'améliorer mon anglais. Les activités sociales me forcent ainsi à le pratiquer. Quelquefois je me retrouve dans de drôles de situations, surtout par rapport à mon accent, des questionnements par rapport à la prononciation. Du fait d'avoir vécu à Montréal, j'ai quand même appris quelques mots usuels en anglais. Donc ça m'aide. Et, à Montréal, j'avais travaillé dans des milieux anglophones et étudié dans une université en anglais. Donc, j'avais quand même une meilleure base que celle que j'avais quand je suis arrivée au Québec. Après, vivre en Colombie-Britannique, c'est assez similaire au niveau de l'administration, ça reste le Canada, donc je n'ai pas eu de grandes surprises.

Cela fait des années que vous vivez au Canada. Vous sentez-vous encore Française ou avez-vous complètement intégré votre nouveau pays ?

Ça fait presque 20 ans maintenant que je vis au Canada. Est-ce que je me sens Française ou Canadienne ? En fait, je n'ai pas la réponse. Pour les Canadiens, je suis Française parce que j'ai un accent encore français pour eux, parce que j'ai des références culturelles françaises, parce que toute ma famille est en France. Du point de vue de mes amis français, ils me voient Française, mais quand même aussi Canadienne puisque je suis au Canada, parce que j'ai passé toute ma vie d'adulte au Canada. Alors, c'est une ambivalence de culture. Quand je rentre en France pour les vacances, j'ai toujours une période d'adaptation, un petit choc culturel, des codes sociaux que je n'ai plus vraiment, auxquels il faut que je m'habitue, ou pas. Et j'essaye en fait de naviguer là-dedans.

J'ai des références culturelles françaises et j'ai des références culturelles québécoises. Maintenant, j'essaye aussi d'avoir des références culturelles canadiennes anglophones, pour être un peu plus dans la compréhension de la société canadienne anglophone de l'Ouest. Donc, c'est un heureux mélange de tout ça et j'aime aussi partager, échanger avec d'autres personnes qui ont différentes cultures. Et même pour mes élèves, je présente toujours ça comme une richesse. Je suis toujours fascinée de rencontrer des jeunes enfants qui parlent déjà 2 ou 3 langues, qui naviguent avec 2 ou 3 cultures. Je trouve ça très fascinant.

Quelles sont les différences culturelles entre la France et le Canada qui vous touchent que ce soit en bien ou en moins bien ?

Je dirais qu'au sein même du Canada, déjà, entre le Québec et la Colombie-Britannique, il y a des différences de mentalités. Il ne faut pas oublier que le Canada, c'est quand même le 2ème plus grand pays au monde et, à travers les provinces, il y a des différences culturelles.

La différence entre la France et le Canada :  le Canada est un jeune pays. La France est très marquée par son histoire, par tous ses héritages culturels, artistiques, et c'est très mis en avant. Il y a beaucoup de programmes aussi pour les jeunes. Tandis qu'au Canada, c'est encore en progression et ça dépend aussi des budgets des provinces et des villes. Certaines villes, comme Montréal par exemple, mettent en avant la culture alors qu'en Colombie-Britannique, ce sont plus les sports, même s'il y a de merveilleux musées et des artistes talentueux. À Vancouver, on a l'océan et les montagnes, donc ça se prête plus aussi à des activités extérieures avec de grands espaces verts.

En France, la nourriture est très importante et c'est ce qui manque le plus. C'est ce plaisir de manger, le respect du terroir, des produits dans son assiette. Je trouve ça une richesse incroyable. Mais la mentalité des Canadiens est beaucoup plus dans l'ouverture. Je fais des généralités parce qu'il existe aussi des Français très ouverts. Au Canada, je sens plus de possibilités. Retourner aux études à 33 ans, ici, ça ne posait aucun problème, je n'ai jamais eu aucune remarque par rapport à ça.  En France, refaire des cours universitaires à 33 ans, je pense qu'on m'aurait vraiment regardé bizarrement. Je sens en Colombie-Britannique comme au Québec, une tolérance de l'individu, un respect et une conscience du bien-être de la personne et de la personnalité.

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