Victimes de préjugés : des expatriées latina se confient

Vie pratique
  • jeune femme latina
    Shutterstock.com
Publié le 2022-03-04 à 08:00 par Ester Rodrigues
Voyager et vivre à l'étranger est le rêve de nombreuses personnes dans le monde entier même s'il semble que les femmes soient généralement plus vulnérables que les hommes et ce pour diverses raisons. Il n'empêche que la donne est en train de changer graduellement. Le Harvard Business Review 2019 a constaté une hausse de plus de 230% du nombre de femmes voyageant seules ces dernières années.

Selon Migración Colombia, entre janvier et octobre 2018, les femmes représentaient 44 % des visiteurs dans le pays et 52,6 % du nombre total de voyageurs en partance pour l'étranger au cours de la même période. Pourtant, selon ce même rapport, 8 femmes latino-américaines sur 10 se disaient prêtes à voyager seules.

Voyager en dehors de l'Amérique latine peut sembler une aventure passionnante pour les femmes à première vue. Il existe toutefois une question intrinsèque à l'origine des femmes : les Latinas sont souvent victimes de préjugés, quel que soit le pays dans lequel elles voyagent. Une situation d'ailleurs évoquée par la philosophe Simone de Beauvoir des années 90. Selon cette dernière, l'homme est défini comme un être humain et la femme comme une femme. Lorsqu'une femme voyage à l'étranger, nombre de ses choix sont donc influencés par son genre. En tant qu'auteur de cet article et expatriée d'origine latine vivant en Espagne, par exemple, lorsque les gens m'interrogent sur ma nationalité, ou que parfois simplement ils me jugent en fonction de la couleur de ma peau et de mes cheveux, ils ont tendance à penser que je suis une « femme facile ».

Des expatriées latina parlent de leur expérience en Europe

France

Lili Tucto, une expatriée péruvienne qui vit aujourd'hui à Paris. Elle est d'abord partie à l'étranger pour ses études et elle y est restée pour le travail. « J'ai toujours voulu vivre à l'étranger pour pouvoir rencontrer des gens de cultures différentes. » Elle estime qu'il existe différents stéréotypes sur les femmes d'origine latine en Europe : positifs et négatifs. « Certains nous perçoivent comme des femmes heureuses et ouvertes d'esprit. Il y a aussi ceux qui nous regardent d'un œil négatif en nous associant à l'infidélité et au manque d'engagement. » Heureusement, Lili ne s'est encore jamais retrouvée dans une situation discriminatoire ou de harcèlement. Au contraire, elle affirme avoir été bien accueillie jusqu'à présent. « Les personnes de mon entourage me traitent bien. Je suppose que le fait que je sois Latina ou issue d'une culture différente suscite l'intérêt ou la curiosité des gens. Je pense aussi que le fait de pouvoir parler couramment la langue aide beaucoup à s'intégrer naturellement. »

La France est une destination très prisée des expatriées latina qui souhaitent faire carrière à l'étranger. En 2019, il figurait au 11e rang des meilleurs pays du monde où travailler selon les classements annuels de HSBC Expat. D'ailleurs, il existe en France plusieurs programmes de soutien et d'accompagnement pour les expatriées souhaitant développer une activité dans le pays. Lili travaille actuellement dans le domaine de la gestion d'un programme d'entrepreneuriat et dispose d'une grande expérience du monde du travail. « Jusqu'à présent, j'ai reçu des commentaires positifs et j'entretiens des relations harmonieuses avec mes collègues en général. »

Espagne

Pour Georgina Santos da Silva, une expatriée brésilienne vivant à Madrid, en Espagne, le fait d'être Latina est une caractéristique sociale fondamentale dans sa vie. Dans l'édition 2019 de HSBC Expat Explorer Survey, l'Espagne se classait au quatrième rang des meilleurs endroits au monde où vivre et travailler. Forte d'une expérience antérieure aux États-Unis, Georgina a initialement déménagé en Espagne dans le but de s'épanouir au sein d'une culture plus proche de la sienne, mais aussi parce qu'elle voulait apprendre une autre langue. Elle estime toutefois qu'il existe en Espagne des stéréotypes associés aux femmes d'origine latine et particulièrement celle provenant du Brésil. « L'un de ces préjugés est le fait que nous sommes extrêmement sexualisés, et malheureusement, cela nous empêche souvent d'avoir des relations saines en dehors du Brésil. Certains vont même jusqu'à dire que nous tentons de nous marier pour pouvoir vivre ici. Nous sommes en quelque sorte considérées comme des chausseuses d'hommes occidentaux. » Par crainte d'être victime de préjugés, Georgina évite de révéler sa nationalité aux personnes qu'elle connaît à peine. « J'ai des origines africaines et je parle couramment l'anglais, donc je peux passer pour une Américaine. Mais, dès que je parle de ma nationalité, j'entends toutes sortes de connotations négatives ».

Intégration et sécurité

En dépit de ces préjugés, Georgina et Lili se sentent plutôt bien dans leur pays d'expatriation, tant que personne ne les embête. Georgina exprime toutefois ses inquiétudes en tant qu'expatriée : « J'ai toujours le sentiment que je n'appartiendrai jamais à ce pays. Les gens ont tendance à dire très clairement que je viens d'Amérique du Sud et que pour certains groupes politiques, y compris ceux qui sont au pouvoir à Madrid, cela constitue une menace. »

Autre problème auquel les expatriées sont souvent confrontées : la difficulté d'Intégration dans l'univers professionnel de leur pays d'accueil. Georgina est initialement arrivée en Espagne dans le cadre de ses études. Au terme de ses trois années d'études, elle a travaillé comme professeur d'art. « Il existe une très forte concurrence ici, principalement parce qu'on juge que les bons enseignants sont des natifs et que je ne suis pas non plus originaire d'un pays anglophone. Mais comme j'ai beaucoup d'expérience et de bonnes références, je n'ai pas rencontré énormément de difficultés pour trouver du travail dans ce domaine. Cependant, certains de mes élèves ont choisi de ne plus venir aux cours quand ils ont découvert que je suis d'origine brésilienne ».

Lorsqu'on a des difficultés à s'intégrer par manque d'interaction avec les locaux, on a souvent tendance à se rapprocher des expatriés ayant les mêmes origines que nous. C'est d'ailleurs une situation dont se plaignent de nombreux nouveaux expatriés, même s'ils font des efforts considérables pour s'intégrer. « J'ai des amis de différentes origines : latinos, européens, asiatiques. Je m'entends généralement bien avec eux, sans conflit. Cependant, il est plus facile de tisser des liens avec des personnes qui viennent de la même région que nous. Même si mes amis viennent de plein d'endroits différents, je suis parvenue à tisser des liens plus facilement avec d'autres expatriés originaires du Brésil. » Georgina reconnaît que la définition d'amitié n'est pas la même pour un Espagnol que pour un Brésilien.

Malgré les stéréotypes sexistes, se déplacer en ville ou sortir seule n'a pas été un problème pour ces expatriées en Europe. Georgina se dit soulagée car elle se sent plus libre : « C'est ce que j'aime le plus en Espagne. Je dois reconnaître que n'ai jamais vécu de situations où j'avais peur dans la rue. » Lili, qui vit à Paris, n'a pas non plus peur de se déplacer en ville, contrairement au Pérou. « J'ai même fait des voyages en solo en Europe au cours desquels j'ai rencontré de nombreuses personnes intéressantes. Au Pérou, c'est beaucoup plus difficile. J'habitais à Miraflores. Même si mon quartier est plutôt sûr, je devais faire preuve de plus de prudence quand j'allais au centre de Lima ou dans d'autres quartiers où il y a plus de monde. »

Comment les expatriées latino peuvent-elles mieux s'intégrer ?

Lili pense que le changement devrait se faire au niveau de l'éducation, non seulement pour les femmes expatriées en général mais aussi pour les femmes voyageant d'Amérique latine vers l'étranger. « L'éducation devrait aider les enfants d'aujourd'hui à être les décideurs de demain. Cela devrait les aider à assimiler l'importance de l'égalité des genres. Je pense que c'est une question à laquelle il faudrait répondre dès le plus jeune âge. » Elle en profite pour mettre l'accent sur l'importance de la sororité. En effet, Lili estime que les femmes devraient être plus solidaires, s'entraider lorsqu'elles vivent à l'étranger et faire entendre leur voix. « Ce serait sans doute plus facile en se réunissant dans des groupes ou des associations de soutien aux expatriées, par exemple. »

Pour Georgina, c'est aussi une question de temps. Selon elle, les nouvelles générations en Espagne commencent déjà à avoir une perception différente des femmes d'Amérique latine. « Je trouve qu'il y a une plus grande diversité culturelle de nos jours, différente de ce qu'ont vécu les générations précédentes. D'un autre côté, tant que nous serons simplement considérées comme des personnes venant de pays pauvres, cette perception selon laquelle nous sommes ici pour nous marier et avoir une vie meilleure ne fera que se perpétuer ».