Durcissement des réglementations sanitaires en France : l'avis des expats

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Publié le 2022-01-11 à 06:37 par Asaël Häzaq
C'est une nouvelle tempête qui secoue la France. Depuis le 4 janvier dernier, date à la laquelle le président français accorde un entretien exclusif au journal le Parisien, rien ne va plus. L'affaire vire au clash mondial. Un peu plus de deux heures d'échanges concentrées en quelques phrases relancent l'affrontement entre pro et antivax. Et les expatriés ? Comment les immigrés et expatriés perçoivent-ils le durcissement des restrictions ?

Remise en contexte

Réinterrogé par le Parisien 3 jours après l'entretien fleuve, le président Macron comprend : « on peut s'émouvoir sur des formes d'expression qui paraissent familières » et maintient : « le projet de passe vaccinal est un mouvement complètement européen, qui met les restrictions sur les personnes qui ne sont pas vaccinées. » Que s'est-il passé le 4 janvier ? Avant que le monde s'enflamme – notamment sur les réseaux sociaux – le président répond à des questions de lecteurs. Une cadre infirmière l'interpelle quant à l'engorgement dramatique des hôpitaux, principalement occupés par des non-vaccinés : « Ces gens-là qui ne sont pas vaccinés sont ceux qui occupent à 85 % les réanimations. » Où en est l'obligation vaccinale ? C'est en répondant à cette cadre que le président expose sa stratégie pour « mettre la pression sur les non-vaccinés. », relevant qu'au fond, seule une minorité s'oppose à la vaccination. « Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français. Je peste toute la journée contre l'administration quand elle les bloque. Eh bien, là, les non-vaccinés, j'ai très envie de les emmerder. […] » Si l'exposé continue, c'est cette petite phrase qui a déchaîné toutes les passions, y compris auprès des expatriés. 

Restrictions, vaccination : un paradoxe entre les locaux et les expatriés ?

Si en France, certains s'émeuvent du vocabulaire employé par le président ou crient à la liberté totale du citoyen, à l'étranger, l'on s'alarme plutôt de ne pouvoir faire sa dose de rappel. Les nouvelles restrictions ne sont pas une surprise et ne semblent pas occuper l'essentiel des débats. C'est plutôt le manque d'informations et de communication entre les organismes d'État qui est pointé du doigt. Sur notre forum, des expatriés au Vietnam évoquent ainsi le silence du Consulat. « Il est peut-être plus sage de chercher à faire [la dose de rappel] ailleurs que d'attendre le consulat. Il ne donne aucune information », s'inquiète ainsi Pvinhxa. D'autres ironisent, comme Christian : « On se souviendra du Consulat pour les prochaines élections ! » Dan Nhacca renchérit : « Et dire qu'Emmanuel Macron veut « emmerder » ceux qui ne veulent pas être vaccinés ! […] En France, il faut « inciter », trouver des arguments pour que les citoyens acceptent de se faire vacciner. À l'étranger, les expats français, pour pouvoir être vaccinés, [doivent] faire des pétitions, des réclamations... ».

Ce n'est pas la première fois que les Français vivant à l'étranger disent ressentir un décalage entre l'action administrative en métropole et en dehors du territoire. Ils sont pourtant volontaires pour le vaccin, mais peinent à obtenir un rendez-vous. Et quand ce n'est pas la difficulté à obtenir la dose de rappel, c'est la difficulté à la faire reconnaître qui entre en jeu. À l'île Maurice, l'application BeSafeMoris provoque parfois quelques sueurs froides : problèmes pour faire valider sa dose de rappel faite en France, dysfonctionnements de l'application… « [Je] me bats depuis 3 semaines pour le même sujet : avant Noël, l'Ambassade m'a dit qu'elle ne gérait pas et que je devais voir avec les gars de BeSafeMoris. Je les ai appelés, ils m'ont dit qu'ils ne géraient pas, que c'était à l'Ambassade de le faire… », se désole Florian Jum. Finalement, il reçoit un mail lui « indiquant que les vaccins faits hors de Maurice ne peuvent pas être pris en compte pour l'appli BeSafeMoris, donc, qu'il faut que je voie avec le gouvernement... ». De son côté, Yul, expatrié en Belgique, explique que son parcours vaccinal n'est toujours pas reconnu côté français : « Je dois faire partie des Français non-vaccinés. Je me suis fait vacciner en Belgique, mais pour la France je ne le suis pas. […] Je pense que je ne dois pas être le seul expatrié dans ce cas-là. » 

Pour les expatriés, la phrase à retenir du discours présidentiel serait plutôt : « Je peste toute la journée contre l'administration quand elle les bloque. »

Restrictions : la citoyenneté des non-vaccinés est-elle réellement menacée ?

C'est en fait la transformation du passe sanitaire en passe vaccinal qui cristallise toutes les tensions. Après quelques rebondissements politiques, le texte est adopté en première lecture par l'Assemblée nationale (6 janvier) avant d'être soumis au Sénat (10 janvier). Prévu pour une application au 15 janvier, le passe pourrait finalement entrer en vigueur plus tard, certains menaçant déjà de saisir le Conseil constitutionnel. En pratique, les transports (avions, trains, autocars), espaces de loisirs, culturels, de restauration (sauf cantines), lieux de forums/séminaires professionnels… seront désormais soumis au passe vaccinal, avec des contrôles renforcés et des sanctions alourdies pour les fraudeurs, et un isolement plus long pour les non-vaccinés. Le message est clair : pour vivre tranquille, mieux vaut être vacciné. 

Le message fait réagir certains expatriés. Les uns s'empoignent à coups de discours socio-philosophique (la liberté est-elle conditionnelle ? Où commence-t-elle et où s'arrête-t-elle ?). Les autres comprennent le fond du discours présidentiel, tout en regrettant le vocable : ils en appellent à « plus de pédagogie », tout en reconnaissant qu'il est « quasi-impossible de faire changer d'avis le « noyau dur » des non-vaccinés ». Pour Sylvia, immigrée en Allemagne, le problème est mondial : « on a tout essayé. La pédagogie ne marche pas. Les gens demandent des infos mais courent aux fake news. Et quand les présidents crient, tout le monde joue les choqués. Mais les millions de morts, qui va encore crier pour eux ? Et tous ceux dont l'opération est repoussée à cause des non-vaccinés ? Les autres malades risquent, au mieux, une dégradation de leur état, au pire, une mort accélérée. Mais quand je parle comme ça, les gens m'insultent de « pro-Macron ». On marche sur la tête. » 

L'affaire des restrictions dépasse le strict cadre sanitaire pour glisser vers un « pour ou contre le gouvernement français ». La France est justement en pleine période électorale. Une situation explosive, qui, là encore, fait parler les expatriés et immigrés. Qu'est-ce qu'un citoyen ? Les propos d'Emmanuel Macron, sortis de leur contexte, dérivent vers une prétendue remise en cause de la citoyenneté. Et certains de commenter qu'un « Français expatrié ne serait pas un citoyen français, car ne travaillant pas en France. » Ce qui est, bien entendu, faux : « Sont citoyens français les personnes ayant la nationalité française et jouissant de leurs droits civils et politiques », explique le site ViePublique, appartenant à la Direction de l'information légale et administrative (DILA). Pour d'autres, c'est la définition d' « antivax » qui pose débat. Stan s'interroge sur Twitter : « un Français expatrié en Hongrie qui aurait reçu du Spoutnik V ou du Sinopharm serait-il antivax ? » La France ne reconnaît toujours pas les vaccins chinois et russe. Toute personne les ayant reçus doit faire une troisième dose avec un vaccin ARNmessager, pour que son schéma vaccinal soit reconnu complet. Rien à voir, donc, avec une opposition à la vaccination. 

Pour d'autres encore, il s'agit d'une question de principe : « Je suis expatrié depuis longtemps et non vacciné », clame un immigré en Suède. « Si je dois mourir du Covid, OK. Le vaccin empêche les formes graves, et alors ? On pourra toujours avoir la Covid alors ça revient au même. Je préfère mourir avec mes convictions et garder la tête haute. » Une vision extrême pour un climat sous tension extrême. « Si la France reconfine, on s'expatrie », préviennent certains, après le discours du président français. C'est encore l'ironie qui vient calmer les esprits… à moins qu'elle ne provoque de nouveaux incendies : « Ce qu'il faudrait, c'est exiler tous les non-vaccinés. Ils pourraient ainsi vivre leur liberté sans aucun « emmerdement » ».

À l'heure où le nombre de cas affole les compteurs français, la fracture entre les vaccinés et les non-vaccinés paraît plus profonde que jamais. Crise sanitaire, élections, gouvernance de l'Union européenne… Pour la France, 2022 s'annonce déjà comme l'année de tous les défis.