Xénophobie : quels en sont les impacts sur les expatriés ?

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Publié le 2022-07-27 à 10:00 par Ameerah Arjanee
Selon un article paru récemment dans BBC Afrique, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, condamne les attaques contre les travailleurs étrangers dans le pays. Dans le township d'Alexandra, à Johannesburg, des travailleurs originaires d'autres pays africains sont victimes d'une recrudescence d'attaques violentes contre leurs personnes et leurs entreprises. 

Ils redoutent une répétition des émeutes xénophobes de 2008, au cours desquelles 62 personnes originaires du Mozambique, du Malawi et du Zimbabwe ont été tuées et plus de 600 autres blessées.

La xénophobie est définie comme la peur ou la haine des étrangers. Elle doit toutefois être distinguée du racisme, qui est un préjugé contre les personnes appartenant à d'autres groupes raciaux. Bien sûr, la xénophobie peut avoir un élément raciste si l'étranger est d'une race différente, mais ce n'est pas toujours le cas. Le Conseil de recherche en sciences humaines (HSRC) d'Afrique du Sud a identifié trois causes de xénophobie dans le pays : la privation relative (pauvreté), le sentiment d'exceptionnalisme (supériorité) et la citoyenneté exclusive (citoyenneté accordée exclusivement en fonction de l'ethnicité ou du pays d'origine).

Quand la pauvreté et l'inégalité économique engendrent la xénophobie

Alexandra, point névralgique de la violence xénophobe en Afrique du Sud, est un township dense et pauvre, situé juste à proximité du riche centre financier de Sandton, à Johannesburg. Les habitants du township peuvent constater cette manifestation brutale et physique de l'inégalité économique, tous les jours simplement en regardant à travers leur fenêtre.

Comme la classe politique et les grandes entreprises sont largement hors de portée, les Sud-africains d'Alexandra en arrivent à canaliser leur colère vers les migrants africains plus pauvres et sans défense, qui se trouvent à proximité, dans le township. Ce comportement est appelé « le processus du bouc émissaire », un mécanisme de défense psychologique qui consiste à projeter des reproches injustifiés sur les autres, afin de soulager le stress et de retrouver un sentiment de puissance.

Dans le rapport du HSRC, publié à la suite des émeutes de 2008, le sociologue Michael Neocosmos affirme que le traumatisme à long terme causé par l'apartheid, cette forme de discrimination institutionnalisée, aurait rendu les Sud-africains noirs pauvres plus craintifs lorsqu'ils s'en prennent aux Sud-Africains blancs et aux riches. Il devient plus facile d'accuser les propriétaires des petites entreprises, comme les barbiers, de « voler des emplois » et d'être la cause de la pénurie de logement dans le township. 

Cette tendance à faire des étrangers vulnérables des boucs émissaires ne peut disparaître que si l'on aborde et rectifie les raisons profondes de la pauvreté à Alexandra. Des organisations locales tentent d'y répondre, en lançant des initiatives communautaires, comme des clubs de football et de judo, pour favoriser une collaboration pacifique et une compréhension culturelle entre les Sud-africains et les travailleurs provenant du reste de l'Afrique.

En général, les expatriés de la classe moyenne et des classes aisées sont davantage protégés des phénomènes xénophobes les plus violents, mais cela ne signifie pas que le ressentiment économique ne peut pas être dirigé contre eux aussi. Dans certains pays, les expatriés d'Europe et d'Amérique du Nord peuvent recevoir des salaires beaucoup plus élevés que les locaux. Parfois, c'est à cause de la discrimination à l'encontre des locaux, d'autres fois, ce sont les exigences légales des permis de séjour qui en sont la cause. 

Il y a aussi l'exemple de l'île Maurice, où l'Occupation Permit (OP) pour les expatriés exige que le professionnel étranger reçoive un salaire d'au moins 60 000 roupies (1 331 USD) par mois pour pouvoir résider dans le pays. Ce salaire est quasiment le double du salaire moyen mauricien qui est de 33 766 roupies (748 USD) pour les locaux (Statistics Mauritius, 2021). Si cela peut susciter du ressentiment chez les Mauriciens de souche qui sont moins bien payés, les titulaires de l'OP sont à l'abri d'une xénophobie virulente. Ils peuvent subir ça et là des microagressions comme des quolibets ou des commentaires passifs-agressifs dans leur vie quotidienne, mais cela ne dégénère jamais en haine publique. 

Ce sont plutôt les travailleurs contractuels bangladais les plus pauvres qui font les frais de la xénophobie à Maurice. Ils travaillent pour de maigres salaires dans la zone franche, et les secteurs de la construction et des services. Des journaux mauriciens documentent leur mauvais traitement par certains employeurs, les brimades qu'ils subissent de la part de la police et le fait qu'ils servent de bouc émissaire pour maintenir le salaire minimum mauricien à un bas niveau.

Après les élections générales mauriciennes de 2019, les Bangladais ont été largement accusés d'avoir « saboté » les élections en votant sans avoir la citoyenneté. Seuls 45 Bangladais étaient inscrits comme électeurs du Commonwealth, mais ces chiffres ont été gonflés hors de proportion sur les médias sociaux, ce qui a engendré une théorie du complot xénophobe. Les cas de l'Afrique du Sud et de l'île Maurice, bien que présentant des degrés de violence antagonistes, montrent que la xénophobie découle souvent de la crainte des locaux de perdre leur pouvoir économique et politique, notamment en termes d'emploi, de logement, et des votes.

Quand la fierté culturelle excessive engendre le mépris des étrangers

Les deux autres causes de xénophobie citées par le Conseil sud-africain de la recherche en sciences humaines (HSRC), à savoir le « sentiment d'exceptionnalisme » et la « citoyenneté exclusive », ont trait au chauvinisme, qui se définit comme un patriotisme exacerbé, et à une fierté culturelle excessive. Lorsque les habitants sont exagérément fiers de leur histoire, de la réussite économique de la nation, de la puissance militaire de leur pays, ils peuvent être amenés à mépriser les étrangers en les considérant comme appartenant à des cultures de seconde zone, voire « inférieurs ». Ils peuvent entretenir des stéréotypes dégradants à l'égard de ceux qui viennent de l'étranger.

La xénophobie à l'encontre des expatriés à Singapour, par exemple, est souvent dirigée contre ceux qui viennent des pays asiatiques voisins, notamment la Malaisie, l'Indonésie, le Myanmar, la Thaïlande, l'Inde et la Chine. Singapour est la seule économie à revenu élevé de la région, avec un pouvoir d'achat et un niveau de vie comparables à ceux de l'Europe et de l'Amérique du Nord. Si la violence interethnique est absente de Singapour et que l'État dispose de lois pour l'harmonie multiculturelle, la xénophobie est encore subtilement présente sur le marché locatif, dans les universités et sur le lieu de travail.

Selon un article de CNBC datant de mars 2017, la xénophobie serait courante dans les pratiques de location à Singapour. De nombreux propriétaires précisent expressément dans leurs annonces « pas de Malais », « pas d'Indiens » et « pas de Chinois ». Des expatriés indiens ont rapporté que même si certaines annonces ne comportaient aucun mot discriminatoire, ils se sont sentis discriminés lors de leurs visites sur place, et se sont même fait dire verbalement par des agents que les propriétaires « préféraient » ne pas louer à des Indiens.

Certains de ces expatriés indiens ont le sentiment que leur bagage académique, leur salaire élevé et leur origine cosmopolite ne les protègent pas des préjugés négatifs. Parmi les stéréotypes xénophobes que les propriétaires singapouriens sont susceptibles de véhiculer à l'égard des autres Asiatiques, on peut citer le fait que ces derniers sont « désordonnés », qu'ils « ne font pas suffisamment le ménage » (non hygiéniques) et que leur nourriture « sent mauvais ». Cette étude montre que si les expatriés de la classe moyenne subissent rarement la violence à laquelle sont confrontés les travailleurs zimbabwéens en Afrique du Sud, ils peuvent néanmoins faire l'expérience de la xénophobie de manière plus subtile.

Quand la menace épidémique accroît la xénophobie

Dans le monde entier, la pandémie de Covid-19 a déclenché une nouvelle vague de xénophobie chez les immigrants et les expatriés chinois, et plus particulièrement en Occident. La nouvelle peur de la maladie, qui a été détectée pour la première fois en Chine, s'est trouvée amalgamée à de vieux stéréotypes sur le pays, à des politiques racistes d'extrême droite et à des tensions politiques préexistantes, notamment dans le contexte de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis.

Contrairement à la situation en Afrique du Sud, la pauvreté relative ne joue aucun rôle dans la génération de cette xénophobie. Au contraire, la menace de la maladie est le principal moteur de la peur dans ce cas-ci. Dans un article publié dans la revue BMC Public Health, Zhuang She et al. affirment que toutes les épidémies ont été associées à une hausse de la xénophobie. Auparavant, les Africains de l'Ouest ont été victimes de discrimination aux États-Unis pendant l'épidémie d'Ebola, tout comme les étrangers en Suisse pendant la crise de la grippe aviaire.

La vague de xénophobie née de la Covid a entraîné une augmentation exponentielle des cas de discrimination, de harcèlement verbal et d'agression physique à l'encontre des personnes d'origine chinoise vivant aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France, en Italie, en Espagne, en Grèce, en Allemagne, en Russie, en Australie, au Japon, en Corée du Sud et au Brésil.

Des commerces du quartier chinois de San Francisco ont été vandalisés, et plusieurs Chinois de la région de la baie ont été agressés par des inconnus dans la rue. En mars 2021, la ville a été témoin des images horribles d'une femme chinoise de 70 ans battue par un jeune homme dans un espace public. En 2021, un vieil Américain d'origine thaïlandaise a été assassiné dans le même quartier, la haine xénophobe s'étendant aux autres asiatiques.

En Espagne, des actes de violence similaires ont laissé un Sino-Américain dans le coma en 2020, suite à son passage à tabac par un inconnu. Selon Human Rights Watch, plus de 250 crimes haineux anti-asiatiques ont été signalés au Royaume-Uni uniquement au cours des trois premiers mois de la pandémie, c'est-à-dire de janvier à mars 2020. De nombreuses victimes étaient des étudiants étrangers, dont certains ont préféré quitter le pays dans la foulée. S'il n'y a pas eu de violence physique au Japon et en Corée du Sud, des commerces chinois ont été vandalisés là aussi. 

La xénophobie a parfois même été assumée par les autorités, comme en Italie, où un gouverneur régional a déclaré à la presse en 2020 que les Italiens étaient plus propres que les Chinois, qui, selon lui, « mangent les souris vivantes ». Il a par la suite présenté des excuses. En Russie, le réseau de bus public a commencé à signaler les passagers chinois à la police en 2020, ce qui a incité l'ambassade de Chine à envoyer une lettre à Moscou pour demander la fin de cette pratique xénophobe. Au Brésil, le ministre de l'éducation a tweeté une thèse conspirationniste selon laquelle la Chine planifierait la « domination du monde » par le biais du virus. Cette théorie du complot justement, a affecté des citoyens, des immigrants, des expatriés ou des étudiants chinois. Ils ont été pris pour les boucs émissaires des actions imaginaires de l'État chinois. 

Comme les termes « virus de Wuhan » et « virus de la Chine » contribuaient à alimenter la xénophobie, l'Organisation Mondiale de la Santé a instauré le terme officiel de « Covid-19 » pour éviter toute stigmatisation xénophobe supplémentaire. Aux États-Unis, le mouvement Stop Asian Hate est né en 2021 ; il organise des manifestations, des protestations et des rassemblements pour lutter contre le racisme et la xénophobie.