De la France au Danemark au nom du « Hygge »

Interviews d'expatriés
  • expat au Danemark
Publié le 2021-03-15 à 14:27 par Veedushi
Aude est originaire de Rhône-Alpes, en France. Lors d'une année d'échange Erasmus à Milan, elle fait la rencontre d'un jeune Danois qui est aujourd'hui son époux et le papa de leurs quatre filles. Passionnée par le Hygge, elle nous parle de son expatriation au Danemark et de sa conquête du bien-être.

Pouvez-vous vous présenter brièvement et nous parler de votre parcours ?

Je m'appelle Aude, je suis Française et j'ai 44 ans. Je suis originaire de Rhône-Alpes (avec aussi des racines Bretonnes). Je suis mariée avec un Danois depuis 2003. Nous avons 4 filles entre 7 et 16 ans. Nous nous sommes rencontrés en Italie, à Milan, pendant une année d'échange Erasmus.

Avant de venir nous installer au Danemark, nous avons habité à San Francisco, aux États-Unis pendant presque 3 ans (avec un an de transition en France entre les deux).

Depuis combien de temps vivez-vous au Danemark ? Qu'est-ce qui vous y a attiré ?

Cela fait va faire 10 ans cet été que nous habitons au Danemark. Nous étions venus dans l'optique de rester entre 3 et 5 ans puis de repartir dans un autre pays. Nous étions dans une période entre-deux, nous revenions d'une expatriation aux États-Unis et nous ne voulions pas rester en France.

La raison principale pour laquelle nous avons choisi le Danemark est que nous voulions que nos enfants apprennent la langue (nous parlons français majoritairement à la maison). Nous savions aussi que la qualité de vie correspondait à ce que nous recherchions.

Comment s'est passé votre installation ? Avec un peu de recul, pouvez-vous dire que vous vous y êtes intégrée facilement ?

Nous n'avons eu aucun problème d'installation, mon mari étant parti en avance pour faire toutes les démarches (trouver un appartement, etc.) car il travaillait déjà là-bas. Nous venions de passer une année au cours de laquelle il passait une semaine en France avec nous puis une semaine au Danemark, donc le fait de retrouver la cellule familiale dans son entièreté a sûrement joué dans ma façon de percevoir positivement cette installation.

Côté administratif, en revanche, j'ai mis plus de 7 mois à recevoir ma carte jaune (la carte de sécurité sociale). Ce n'est que lorsque j'ai pu fournir un contrat de travail que la situation s'est débloquée. C'est une situation un peu inédite et pas représentative. Normalement pour les personnes venant de l'Europe, cela prend grand maximum trois mois.

La question de l'intégration est difficile à répondre, car mon mari avait déjà une base d'amis sur laquelle s'appuyer. Donc nous avions donc un support autant avec la famille sur place que pour les amis. Par contre, de mon côté, l'intégration a été très lente. Je parlais déjà un peu danois, mais cela restait limité. Ce n'est que lorsque j'ai commencé à prendre des cours de danois de façon intensive que j'ai pu vraiment interagir avec les Danois (quand ma troisième fille a eu une place en crèche). Mon intégration a concrètement commencé à ce moment-là.

Mais la majorité de mes amis/connaissances sont soit des français, soit les amis danois de mon mari, soit des personnes (Danoises ou autres) étant ou ayant été dans un couple ayant deux nationalités différentes. Au final avec le recul, c'était exactement pareil quand nous étions aux États-Unis. On a tendance à lier des amitiés avec des personnes qui ont des choses en commun avec nous.

Vous êtes titulaire d'un diplôme d'architecte mais travaillez actuellement comme modératrice et agent service clientèle pour un site internet. Qu'est-ce qui explique ce changement de carrière ?

Disons qu'après mon diplôme en 2004, j'ai tout de suite eu mes deux premiers enfants (sur Paris). Puis nous sommes partis aux États-Unis quand elles avaient 1 an et 3 ans. Il était important pour moi d'être présente à 100% pour au moins la première année de chacun de mes enfants.

La carrière d'architecte est très chronophage en termes d'heures passées à travailler, ce qui n'était pas compatible avec cette vision d'éducation. De plus, faire des charrettes est encore toujours quelque chose de normal dans beaucoup d'agences d'architecture et je n'avais aucune envie d'en refaire (faire des charrettes : passer des nuits blanches pour finir les projets).

Quand nous sommes arrivés au Danemark (avec notre 3ème qui avait 6 mois), je ne me voyais pas reprendre l'architecture (même si j'adore l'architecture danoise). Pour garder une qualité de vie de famille, je souhaitais donc avoir un travail qui soit en accord avec mes besoins et envies. L'entreprise pour laquelle je travaille me permet d'avoir accès à une grande flexibilité : je travaille à la maison, je peux arranger mon temps de travail autour des rendez-vous des enfants quand il le faut. Et quand elles sont malades, c'est beaucoup plus simple.

Même si ce n'est pas dans mon domaine d'études, j'ai pu acquérir ainsi de nouvelles compétences dans des domaines très divers comme la sécurité sur internet pour les enfants, le service clientèle et d'autres notions. Ce choix de travail, me permet aussi d'avoir du temps libre pour faire d'autres choses, comme mon blog sur le « hygge » (Vivrelehygge.com), être figurante et m'impliquer dans ma communauté.

Justement, comment définiriez-vous le marché du travail danois ? Y existe-t-il des opportunités pour les expatriés, particulièrement en cette période de crise ?

Le Danemark n'a pas été épargné par la crise actuelle. Les secteurs de la restauration et de la vente au détail sont particulièrement touchés, ainsi que les métiers liés à la culture et au divertissement. Ce n'est donc pas un climat propice actuellement pour les expats qui voudraient venir travailler dans ces milieux.

Il n'est pas non plus possible de venir faire des stagiaires (je ne suis pas sûre que les stages qui avaient été prévus avant la crise puissent avoir lieu si la personne n'est pas déjà sur le territoire danois). Après il y a toujours des secteurs qui continuent à embaucher (comme celui de la construction qui est en pleine expansion), mais j'avoue ne pas connaître suffisamment le marché du travail danois pour en dire plus.

Les entreprises utilisant les nouvelles technologies, la recherche ne semblent pas avoir été impactées et donc il est possible qu'il y ait des opportunités pour les expatriés dans ces secteurs.

Quelle est la situation actuelle au Danemark ? Quelles sont les mesures sanitaires qui sont en place ?

Pour l'instant le Danemark a relativement bien géré la crise Covid, même s'il y a eu des incohérences sur certains points. L'entrée au pays des non-Danois a été restreinte au fur et à mesure des mois. Il est actuellement impossible de venir au Danemark pour du tourisme, ou même rendre visite à sa famille à moins d'avoir une raison sérieuse.

Certains postes frontières avec l'Allemagne ont été fermés, et une surveillance accrue est effectuée sur les restants. En effet, les contrôles liés à la COVID-19 à la frontière n'étaient plus fait après une certaine heure, ce qui fait que beaucoup de personnes en profitaient pour passer après. Ce qui a entraîné le durcissement des mesures de ce côté- là.

Toute personne arrivant sur le territoire Danois doit fournir un test négatif de moins de 72h puis rester pendant 10 jours en isolement (les Danois et résidents danois peuvent passer un test au bout de 4 jours et s'il est négatif, ils peuvent arrêter l'isolement).

Les consignes du gouvernement sont de travailler au maximum depuis chez soi et de limiter les contacts avec les autres personnes en dehors de notre cellule familiale (réunion de 5 personnes maximum).

Le port du masque est obligatoire dans les magasins et les transports publics. Mais on peut encore se promener sans masque dans les espaces ouverts, en ville, à condition d'observer une distance de 2 mètres avec d'autres personnes. Mais souvent seule une distance de 1 mètre est respectée.

Depuis le 1er mars 2021, les commerces faisant moins de 5 000m² sont de nouveau ouverts, et les activités sportives extérieures ont repris avec un maximum de 25 participants (pour 5 auparavant). Les restaurants, cafés sont toujours fermés (mais peuvent fournir du « prêt à emporter »). Certains lieux culturels (comme le zoo) vont rouvrir, mais il faudra fournir un test négatif de moins de 72h pour y accéder. Le gouvernement commence à parler d'un passeport vaccinal pour permettre d'ouvrir de nouveau le pays à une clientèle touristique.

Concernant les écoles, la maternelle (et équivalent danois) est toujours restée ouverte depuis août.

Les niveaux du CP au CM1 qui ont été en mode cours à la maison tout janvier et un peu de février, ont repris le chemin de l'école en présentiel. Mais aucun mélange entre niveau et même entre les différentes classes d'un même niveau n'est fait.

À Copenhague, les niveaux du CM2 à la Terminale sont en cours à la maison depuis environ deux semaines avant Noël (un peu plus pour les lycéens) et aucun changement de ce côté. Pareil pour les étudiants. Mes deux aînées sont ravies de travailler à la maison, même si voir leurs amis leur manque. Dans d'autres parties du Danemark, l'ensemble des élèves (pas les étudiants) ont repris l'école en présentiel. C'est un peu du cas par cas par région suivant les taux de contamination.

Le bien-être, le bonheur, le respect de l'autre et de soi, sont des choses qui vous tiennent particulièrement à cœur. Pensez-vous les avoir trouvé au Danemark ?

Parmi les pays dans lesquels j'ai habité, le Danemark est celui qui est le plus avancé sur les sujets de l'égalité homme/femme, l'acceptation de la différence (par rapport aux LGBT+), l'éducation sans violence, une corruption moins présente. Les gens ont plus confiance en l'autre, et certains comportements qui pourraient choquer dans certains pays sont tout à fait normal ici, comme laisser son landau avec le bébé dedans à l'extérieur d'un café pendant que le/les parents vont boire quelque chose (ils choisissent juste une place prêt de la vitre pour avoir quand même la vue sur le landau).
D'une certaine façon, je ressens les Danois comme se focalisant sur des choses plus simples, celles de la vie de tous les jours. Le bien-être de l'individu est important pour la société.

La relation avec la hiérarchie est totalement différente par rapport à la France: il s'agit plus d'une hiérarchie plane ou une relation de confiance et de respect se développe dans les deux sens. Et cela autant entre les patrons/chefs d'équipe et les employés qu'entre les professeurs et les élèves. D'ailleurs, seul le tutoiement est utilisé (le vouvoiement est maintenant seulement utilisé quand on parle de la Reine). Tout n'y est pas parfait (il y a une extrême-droite qui prend beaucoup de place par exemple au niveau politique), mais dans l'ensemble il y fait bon vivre.

Je pense qu'au Danemark, j'ai trouvé un équilibre de vie qui me convient. Et depuis un/deux ans, je me vois bien vieillir ici. Mais je ne dirais pas non pour repartir en expatriation dans un autre pays pour découvrir une autre culture.

Que signifie le « Hygge » pour une expatriée française et comment peut-on s'y identifier ?

Le « Hygge » n'est pas seulement que le côté cosy, bien-être chez soi, en famille et avec des amis. En effet, il s'inscrit dans la société danoise dans son ensemble. Dans la mesure du possible, tout aménagement de l'espace va être pensé en fonction du « hygge » : il s'agit de trouver comment rendre ces derniers agréables autant sur le côté fonctionnel que sur le côté visuel ou physique pour les personnes qui utilisent ces espaces. Cela apporte une qualité de vie très agréable.

Les expatriés habitués à travailler jusqu'à 18/20h en semaine voient leur rythme de travail complètement bouleversé : une journée de travail typique Danoise étant de 8h à 16h30, entre 16h et 17h. C'est lié au fait que les crèches et garderies ferment à 17h pile.

Pour beaucoup d'étrangers, il est difficile de vivre le « hygge » avec les Danois. Parce qu'en effet les groupes d'amis ne s'ouvrent pas forcément aux autres facilement. Le « hygge » avec les amis est possible si l'on peut être soi-même sans masque. Mais le « hygge », qui est plus une philosophie de vie qui est intégrée à la société, fait que l'on peut en tant que Français(e) vivre le « hygge », même si ce n'est pas forcément avec les danois. Il suffit de vivre dans l'instant présent, non pas dans le paraître mais dans l'être. De faire attention à ce qui est autour de nous et peut-être parfois revenir à des plaisirs plus simples.

Le temps libre que l'on a après une journée de travail permet d'avoir un équilibre vie privée-vie professionnelle. Et c'est là que se trouve le « hygge » : dans cet équilibre. Dans le fait de savoir apprécier les moments de partage, de joie, et de bien-être.

Vous êtes aussi maman de quatre enfants franco-danois. Avez-vous rencontré des difficultés jusqu'à présent, que ce soit au niveau de leur scolarité ou de leur socialisation ?

Comme nous ne pensions ne rester que quelques années, nous avions fait le choix de les mettre à l'école française. Et pour l'instant, nos enfants restent dans le système français parce que l'approche de cette école est plus proche du mode d'éducation que nous souhaitons : une éducation à la française mais adoucie par l'influence danoise. Les retours de nos connaissances, dont les enfants sont dans le système danois, ne sont pas forcément très positifs.

L'année prochaine, il est possible que notre deuxième (14ans) passe dans le système danois pour sa seconde, pour être dans une école qui propose une option informatique/dessin. Il est possible que l'année prochaine, la vision que j'ai de l'école Danoise (manquant de structure) soit changée ou renforcée !

Le fait qu'elles soient dans une école française n'a pas favorisé l'apprentissage du danois. Quand nous sommes arrivés, les heures de danois étaient quasiment inexistantes dans l'école (ce qui nous a fait bizarre car nous pouvions comparer par rapport aux heures d'anglais que nos enfants avaient à La Pérouse, le lycée français de San Francisco). Depuis notre arrivée, le Lycée Prins Henrik essaye d'augmenter les heures de danois (mais en tant que parents d'enfants franco-danois, nous trouvons que cela n'est pas suffisant dans les petites classes).

Pour nos deux aînés, le danois a vraiment décollé vers le CM2 et elles sont maintenant en DLM (danois langue maternelle). Notre aînée va passer l'année prochaine son bac danois en plus du bac français, et pourra donc étudier au Danemark si elle le souhaite (mais elle a envie de changer découvrir un autre pays pour ses études ; ni la France, ni le Danemark ne l'intéressent).

Notre troisième est restée le plus longtemps dans le système danois et n'est rentrée à l'école française qu'en grande section et garde un bon niveau en Danois. Notre quatrième a décidé qu'elle n'aimait pas le danois (elle a 7 ans) mais le comprend très bien (et le parle quand obligé). Je crois que l'apprentissage du Danois a été la plus grande difficulté rencontrée, de par les choix que nous avons fait. J'ai des enfants qui se contentent d'un petit cercle d'amis. Donc leurs amis sont ceux qu'ils se sont fait à l'école (beaucoup de francophones/danois). La langue parlée avec ces derniers va donc dépendre de ces amis (français pour notre 1ère et 4ème, anglais et français pour notre 2ème et danois pour notre 3ème).

Avez-vous des conseils à donner aux personnes qui souhaiteraient s'expatrier au Danemark ?

Apprenez le danois ! Si vous pouvez un peu avant, et sinon sur place.

Participez à des activités avec des Danois.

Essayez d'avoir un contrat avant de partir

Bien se renseigner auprès de l'ambassade de France au Danemark sur toutes les démarches à entreprendre.

Prendre contact avec les associations francophones : certaines proposent des ateliers pour trouver un travail. Cela peut être d'une grande aide lorsqu'on est un conjoint-suiveur.

Prenez bien conscience à l'avance des inconvénients liés à la vie au Danemark :

  • le temps (gris) et le manque de soleil,
  • le fait que la vie est chère,
  • l'intégration pas forcément facile auprès des Danois (surtout si vous n'êtes pas dans une grande ville),
  • le fait que les Danois aiment respecter les règles (et que les autres les respectent aussi). D'un point de vue français, j'ai parfois vraiment envie de râler à leur place et dire zut à certaines règles !


Autant le système de santé est gratuit comme en France, les relations avec les médecins manquent souvent du côté social/humain, et il faut parfois vraiment insister avant d'être écouté pour agir.

Comme pour chaque expatriation, bien peser les pour et les contre.

C'est un pays nordique et la façon d'agir n'est pas la même que pour les pays du sud de l'Europe. Mais à mes yeux la vie y est douce.

Partagez votre expérience d'expatrié !

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