L'impact de la restriction de mouvement sur la santé mentale des expatriés

Vie pratique
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Publié le 2021-02-15 à 14:00 par Maria Iotova
Nous avons discuté de l'impact des restrictions de mouvement sur la santé mentale des expatriés avec Lisl Foss, psychothérapeute et expatriée chevronnée. D'autre part, Hannah et Miriam Mold, deux expatriées britanniques nous parlent de leur séjour au Royaume-Uni pendant la pandémie et de leur intention de retourner à Vancouver et à Melbourne, leurs villes d'adoption respectives.

La crise sanitaire mondiale a contraint certains expatriés à rester dans leur pays d'accueil tandis que d'autres ont choisi ou ont dû rentrer chez eux. Il existe une autre catégorie unique d'expatriés : ceux dont la visite dans leur pays d'origine a coïncidé avec la pandémie de COVID-19. Leurs projets de voyage ont été compromis par des restrictions gouvernementales ou encore des préoccupations personnelles.

Conseil d'une experte : « Profitez de l'instant présent »

Le manque de concentration, l'anxiété, la dépression, la peur, l'incertitude, l'irritabilité, l'ennui, la solitude et la frustration ne sont que quelques-uns des sentiments et symptômes que nous avons tendance à éprouver pendant la pandémie. Ce sentiment résulte de notre perte de contrôle sur la situation et quand on a l'impression que l'avenir ne nous réserve plus rien. Malgré l'incapacité de planifier ou de prendre le pouvoir de nos vies, Lisl Foss, psychothérapeute, estime qu'il y a tout de même des changements positifs à prendre en compte. Selon elle, il faudrait prendre ces changements comme une opportunité pour grandir davantage et développer de nouvelles compétences et attitudes.

Pour reprendre ses dires : « Le changement fait partie de la vie et peut conduire à de nouvelles façons de faire les choses qui, au final, sont pour le meilleur. Ce n'est pas la première fois que nous traversons une crise mondiale. Dans le passé, nous avons fait preuve de résilience et d'ingéniosité, ce qui nous a permis de canaliser nos sentiments pour rendre le monde meilleur. Apprenez donc à vivre l'instant présent tout en gardant l'œil sur l'avenir ».

Comment peut-on faire face à la détresse psychologique en plein cœur de la crise de COVID-19 ?

Concentrez-vous sur ce qui se passe autour de vous et vivez l'instant présent. Prenez plaisir aux petites choses et ne faites pas de plans précis. Gardez en tête que les choses finiront par s'améliorer tôt ou tard comme c'est l'une des lois de la nature. Adressez-vous à un problème à la fois et soyez ouvert à l'idée de faire les choses différemment. Considérez chaque défi comme une opportunité d'acquérir une nouvelle compétence ou de vivre une expérience que vous n'auriez peut-être pas eue sans la pandémie. Faites du sport régulièrement, mangez sainement et dormez suffisamment. Restez en contact avec vos amis et vos proches.

L'industrie du voyage a été la plus touchée par la COVID-19, étant directement liée à l'expatriation. Quel est l'impact des restrictions de voyage sur la psychologie des voyageurs de longue date et des personnes dont le mode de vie était rythmé par des déplacements fréquents ?

Cette situation peut entraîner des sentiments de frustration et d'impuissance à un niveau accru. La difficulté d'accéder aux personnes et aux ressources dont nous avons besoins ailleurs est une situation difficile à gérer. Cela pourrait conduire à l'anxiété, par exemple, lorsque l'on n'arrive pas à être productif au travail. La difficulté à respecter les délais peut entraîner des préoccupations liées à la sécurité de l'emploi ainsi que les questions financières. Certaines personnes ont tendance à réagir à cette situation en travaillant plus dur et plus longtemps, ce qui pourrait avoir un impact sur leur santé et leur bien-être. D'autres risquent tout simplement de se retirer et de sombrer dans la dépression.

L'isolement social peut entraîner un sentiment de solitude et nous conduire à penser que notre vie n'a plus aucun sens. Comment peut-on gérer de tels sentiments ?

Ayez une routine quotidienne et essayez de la respecter dans la mesure du possible. Ajoutez-y quelques occasions pour vous faire plaisir et vous changer les idées. Essayez d'échanger régulièrement avec vos proches et amis sur les réseaux sociaux. Faites une immersion dans des mondes différents en lisant des livres qui traitent de sujets qui vous passionnent. Faites du sport régulièrement afin que les endorphines puissent améliorer votre humeur. L'isolement peut aussi être une opportunité pour étudier quelque chose de nouveau ou pour participer à des conférences en ligne et à des wébinaires dans votre domaine d'expertise afin d'approfondir vos connaissances. Anticipez les moments auxquels vous pourriez vous sentir vulnérable au sentiment de solitude et essayez de trouver un moyen pour discuter avec quelqu'un pendant cette période.

Comment peut-on soutenir la santé mentale de nos amis, de notre famille, de notre partenaire ou de nos enfants pendant la pandémie ?

Il est important de réaliser que tout le monde se sent stressé en ce moment. Donc si quelqu'un est impoli ou fait preuve de méchanceté, cela pourrait en dire plus sur son propre état d'esprit que sur ce qu'il ressent à votre égard. Faites une impasse sur la situation plutôt que d'avoir des rancunes. Demandez aux personnes qui vous entourent comment ils vont et si vous pouvez faire quelque chose en particulier pour les aider. Faites des compliments à votre entourage sur les petites choses qui retiennent votre attention, par exemple, si quelqu'une porte une robe que vous aimez ou si quelqu'un a bien fait quelque chose. Essayez de voir le côté amusant des choses et partagez cette perspective avec votre entourage (le cas échéant). Encouragez les personnes autour de vous à faire du sport et à rester en contact avec leurs amis et leur famille via les réseaux sociaux.

Selon vous, quels sont les symptômes à identifier lorsqu'on souffre de détresse mentale ?

Le désespoir et l'envie de pleurer, l'incapacité de se motiver à faire des choses, la difficulté à dormir et les changements d'appétit sont quelques-uns de ces symptômes. Il y a aussi la fatigue, même le matin au réveil, la perte d'intérêt pour des choses qui vous plaisent habituellement, l'irritabilité persistante ou le sentiment d'inquiétude pour l'avenir. On a ainsi tendance à se retirer de notre entourage et à s'isoler davantage.

Deux expatriées britanniques nous parlent de leur retour

C'est en fin 2018 que Hannah s'est installée à Vancouver, en Colombie-Britannique, avec son compagnon et un permis vacances travail (PVT) en poche. Peu de temps après leur arrivée, ils ont tous deux eu la chance de trouver des emplois qui leur permettaient de concilier vie professionnelle et vie privée et d'explorer la nature et la culture de leur pays d'accueil. En mars 2020, Hannah et son compagnon se sont offerts des vacances à Hawaii, une destination hivernale très prisée par les habitants de la Colombie-Britannique. Des vacances qui devaient durer une dizaine de jours. Mais pendant leur escapade à Maui, un endroit où ils captaient à peine le signal téléphonique, la pandémie se répandait comme une traînée de poudre aux quatre coins du monde.

Au cours de leurs deux dernières nuits à Hawaï, ils ont fini par apprendre que le Canada envisageait pour la première fois des restrictions d'entrée pour les ressortissants non canadiens et qu'une quarantaine de 14 jours leur serait imposée en cas de retour. En une semaine seulement, la situation s'est détériorée. Hannah et son compagnon sont parvenus à embarquer sur leur vol régulier pour le Canada le 16 mars, mais cela n'aurait pas été possible après deux jours puisque le Canada avait choisi de fermer ses frontières.

À la fin du mois de mai, Hannah a dû rentrer au Royaume-Uni en raison des problèmes de santé de son père. Sans la pandémie, elle serait probablement déjà retournée au Canada à l'heure qu'il est. Elle a toutefois choisi de rester un peu plus longtemps, du moins jusqu'à ce que les deux pays assouplissent leurs restrictions de voyage. Aujourd'hui, une quarantaine de deux semaines dans des hôtels désignés est imposée à tous les voyageurs.

Quelle est la situation actuelle au Canada et au Royaume-Uni ?

Le Canada est un pays vaste. Je sais qu'en Ontario et au Québec, la situation s'est rapidement détériorée, mais je pense qu'elle a été plutôt bien gérée en Colombie-Britannique. Je fais entièrement confiance à l'agent de santé provincial qui, à mon avis, a mis en place des restrictions appropriées. Au Royaume-Uni, c'est une toute autre histoire. La population étant plus dense, les taux d'infection sont plus élevés, ce qui explique le fait que des mesures plus strictes ont été mises en place. En Colombie-Britannique, l'action a été dirigée par l'agent de santé provincial qui ne fait partie d'aucun parti politique, ce qui a contribué à son efficacité. Ici, c'est la politique qui a primé, je suppose. Je ne fais pas confiance au gouvernement actuel pour bien faire les choses.

A quel point était-ce important pour vous d'être auprès de votre famille en ces temps sans précédent ?

En raison de la santé de mon père, cela a été très important. Sinon, je pense que j'aurais bien pu passer ces quelques derniers mois au Canada.

Votre employeur est-il compréhensif et favorable au fait que vous travaillez à distance en dehors du Canada ?

Je travaille pour une organisation fantastique. Mes collègues, ainsi que mon directeur m'ont apporté un soutien incroyable. J'ai des heures de travail décalées (je commence plus tard au Royaume-Uni), mais comme tout le monde travaille à distance pendant la pandémie, cela ne fait aucune différence.

Quel a été votre situation psychologique pendant l'année écoulée ?

Je suis une personne très pragmatique de nature. Donc j'ai une approche très pratique à l'égard des confinements et des restrictions sanitaires. J'essaye de ne pas me laisser envahir par l'ennui, ma frustration ou mon inactivité. Je suis optimiste et pleine d'espoir la plupart du temps, et je pense que cela m'a aidé. Même si la lumière au bout du tunnel semble encore très lointaine, je crois fermement qu'elle se rapproche !

Comment gérez-vous le stress et l'anxiété liés à la pandémie ?

Je gère généralement bien le stress et l'anxiété, alors la COVID-19 ne m'a pas vraiment posé de problème. Bien sûr, cela n'a pas toujours été facile. Il m'arrive d'être frustrée, mais compte tenu de la situation autour de moi, je me dis que ça aurait pu être pire. Je pense que c'est particulièrement dû au fait que mon travail occupe la majeure partie de mon temps. J'imagine que je vais prendre un certain temps pour m'adapter à la normalité et être à nouveau à l'aise dans une foule de personnes. Mais j'ai vraiment hâte d'y être.

Avez-vous constaté des changements dans votre bien-être et votre santé mentale au cours de l'année écoulée ?

Je dors plus. Mais je pense que c'est peut-être parce que je travaille à des heures décalées. Je fais aussi moins de sport parce que je fais moins d'activités que d'habitude. En temps normal (surtout au Canada), je profite pleinement du plein air. D'ailleurs, j'ai hâte d'y retourner.

Faites-vous confiance aux systèmes de santé des deux pays ?

Je fais confiance au NHS. Il est vrai que les hôpitaux sont saturés, et c'est un sujet qui suscite de vives préoccupations. Mais dans l'ensemble, le système de santé britannique est très performant. J'espère que cette crise fera prendre conscience au gouvernement de la valeur du NHS afin qu'il soit mieux encadré. Je ne connais pas aussi bien le système de santé canadien car je n'ai encore jamais eu l'occasion de l'utiliser, mais on ne m'a donné aucune raison de ne pas lui faire confiance.

Qu'est-ce qui vous a le plus manqué de votre pays d'expatriation pendant votre séjour au Royaume-Uni ?

La liberté et le plein air. Même avec des restrictions sanitaires, j' aurais pu faire bien plus de choses à Vancouver qu'à Londres, y compris des randonnées, la luge, entre autres. Contrairement à nous qui sommes coincés ici, les Canadiens ont toujours la chance de sortir et profiter d'une vie sociale dans la mesure du possible.

Selon vous, y a-t-il un côté positif à la crise de COVID-19 ?

Sans la pandémie, je n'aurais pas pu travailler à distance aussi longtemps. Je travaille dans le secteur de l'événementiel qui s'est digitalisé en grande partie pendant la crise.

Comment votre entreprise vous apporte-t-elle son soutien en matière de santé mentale pendant cette période ?

L'entreprise possède un département de conseil et de soutien qui nous est rappelé dans les info-lettres mensuelles du PDG. Nous bénéficions également de sessions en ligne deux fois par mois. Il s'agit bien souvent de méditation, d'exercices légers, entre autres. L'entreprise garde également les appels vidéo ouverts pour qu'on puisse avoir des échanges les uns avec les autres après ces séances.

Miriam, la sœur de Hannah, a pour sa part quitté le Royaume-Uni en 2016. Elle a séjourné en Nouvelle-Zélande pendant environ trois mois avant de s'installer en Australie. Miriam a la double nationalité, ce qui lui permet de vivre et de travailler en Australie. Comme sa sœur, Miriam est rentrée en Angleterre fin mai, et ce, pour les mêmes raisons. Aujourd'hui, elle attend la baisse des prix des billets d'avion et que les vaccins contre la COVID-19 soient déployés afin de pouvoir retourner en Australie où très peu de restrictions sont en vigueur pour le moment et où les bars, restaurants, clubs et plages sont ouverts.

Miriam nous parle également de sa santé mentale au Royaume-Uni au cœur de la pandémie. « La partie la plus difficile c'est le fait que ce n'est pas là où je veux être. C'était totalement imprévu. Je suis maintenant incapable de voyager librement entre l'Australie et l'Angleterre, et ça c'est assez difficile à supporter. Venir d'Australie, qui est maintenant plus ou moins un pays sans COVID-19, et rester coincé dans un pays confiné, en plus du fait que mon père soit malade, a été une étape difficile. Je suis généralement de nature très positive et heureuse, et j'ai beaucoup d'amis et proches ici, mais les restrictions sanitaires m'empêchent de les voir et de profiter de la vie. Je dirais que j'arrive à gérer mon état d'esprit et que je me sens plutôt bien. Cependant, c'est mon corps qui réagit à mon anxiété et mon stress. En plus de devenir anémique, j'ai des troubles de santé intestinale ainsi que des troubles dermatologiques.

Pour mieux faire face à cette situation, Miriam discute régulièrement avec ses amis tout en réfléchissant à ce que l'avenir lui réserve. « Je fais des projets très légers. Je me suis rendue compte que tout le monde vit la même chose, alors cela facilite l'acceptation. Écouter de la musique et des podcasts et me concentrer sur ce que je peux contrôler (par exemple, faire du sport, cuisiner, apprendre en ligne, marcher) sont des choses qui aident ».

Il n'empêche que la pandémie a changé la vie de Miriam de manière positive. Aujourd'hui, plus que jamais, c'est en Australie qu'elle souhaite vivre et, sans doute, pour toujours. « J'ai démarré une activité secondaire pendant la crise. J'ai toujours été passionnée par la pâtisserie et pour l'instant j'en fournis à deux magasins. Bien sûr, je passe énormément de temps avec ma famille et j'ai eu la chance de renouer avec certains de mes amis dont je m'étais éloignée depuis mon départ. Si au début je voulais absolument trouver un emploi pour gagner ma vie, je me suis résolue à changer de carrière et à faire quelque chose que j'aime réellement ».

Texte par Cécile Lazartigues-Chartier